
La peau est une surface sensible de contact. Elle définit la limite entre l’intérieur d’un corps (au sens large) et l’extérieur. Elle est à la fois fin et début. Elle est tendue ou plissée, visible ou invisible… Chronique HABIT@.
Il y a différents types de limites et de contacts :
….. la peau de la mer
….. la peau d’un glacier
….. la peau d’un arbre
….. la peau d’un objet
….. la peau du virtuel (l’écran)
….. la peau d’un savoir (entre ignorance et connaissance, empirisme et raison, perception et interprétation, opinion et vérité, etc.)
…
Les peaux de l’homme
L’homme possède plusieurs peaux, chacune avec des caractéristiques spécifiques.
La première peau
Il y a d’abord la peau du corps humain. Une peau souvent intime qui laisse plus ou moins apparaître ses surfaces en fonction du climat (été, hiver), de la localisation (intérieur, extérieur), des convictions morales et religieuses, des normes sociales et de l’intimité avec l’autre.
Nos peaux entrent en contact conscient ou inconscient avec soi (toujours – même si le soi peu s’étendre au-delà de la peau, c’est un autre sujet), avec l’environnement (les atmosphères, les matières, les objets), avec l’autre :
– Un mouvement d’air qui frôle un bras nu à la limite entre ombre et lumière
– Une brise sur un torse moite léché par le soleil d’été
– Un ongle qui gratte pour soulager une démangeaison
– Un coton tige en rotation lente dans l’oreille
– La mer salée délicatement visqueuse et enveloppante
– La trace de la mer salée
– La neige poreuse qui se compacte, crisse et brûle
– Un baiser sur le corps ou quand les lèvres, la langue caresse celle de l’autre
– La relation sexuelle : entrer dans la peau de l’autre ou aspirer le corps de l’autre
– Le peau à peau du parent avec l’enfant
– La caresse
– La surprise d’un effleurement
…
Par un effort de mémoire sensorielle, essayer de se souvenir, dans sa peau, de chacune de ces sensations.
Fleur effleurements, songes délicats
Les touchers de peau (ou contact épidermique – c’est moins sensuel) ouvrent une palette de langages entre effleurement partagé, voulu, inopiné, plus ou moins franc, plus ou moins suggéré, plus ou moins piquant ; le frottement, la fessée, la caresse, le baiser, etc. Entre humain, l’intimité croît selon la partie du corps éveillée : une main, un visage, un bras, une cuisse, une fesse, un sein, un sexe…
Dans l’effleurement il y a la partie effleurée (sa réaction : frisson, relâchement, tension…) mais aussi la partie qui effleure : (au sens propre) les doigts emplis de capteurs, les cheveux (de manière inopinée ou volontaire), les lèvres, la langue, ou un autre morceau de peau… ; (au sens plus figuré) l’effleurement du regard, du souffle, d’un parfum, d’une mélodie, l’effleurement par les mots dits ou écrits (sur papier ou sur écran).
L’effleurement sensuel, du toucher par le toucher, des sens par les sens, a lieu de façon évidente dans l’intimité mais aussi quelques fois – souvent de manière inaperçue faute de disposition à le percevoir – dans l’habitat, dans la ville : une caresse de cheveux après s’être heurtés et tassés dans les transports bondés, des bras qui se frôlent dans un passage étroit, la rondeur d’un galet chaud sous le pied mouillé, une pelure de soleil… Le déplacement, le rapprochement ou le toucher pour se réchauffer : le feu, le radiateur, la bouillotte, le lit, un autre corps. Le bain. La caresse, avec les autres vivants (les humains, les animaux, les plantes) ou avec le lieu. A chaque fois ce sont des frôlements de notre première peau : effleurements physiques devenus plus rares à l’ère des réseaux sociaux, où la prise de contact dans/avec le monde matériel tend à se réduire.
Contact, et touchers quotidiens, matérialités intactes
Il y a aussi les autres liens physiques, plus francs : une poignée de main ou de porte, une étreinte, une prise en bras, en main. La saisie d’un robinet, d’une chaise, d’une table, d’un corps. La caresse d’un mur, d’une tasse, d’une matière… La palpation ou pétrissage d’une chair. Le rapprochement des corps par nécessité ou pour s’allumer – lumière –, amorcer une relation, initier un rapport.
Le rapprochement (effleurement puis contact) est le début d’une relation avec l’objet, le vivant.
Si un être peut entrer en relation avec un autre être à travers des mots et images, le corps est (lui) pris en corps à travers une parole incarnée, un regard partagé, des souffles ou gestes qui se répondent et c’est dans le toucher que cette relation atteint son paroxysme. Le corps peut tout aussi bien être pris en espace : le resserrement des parois, la rencontre d’un plafond, les coins et recoins, l’abri intérieur ou extérieur, l’ouverture, une fesse sur un béton froid, une main sur un bois doux, l’aspiration d’un élancement, le vent, le creux, la fente.
L’architecture d’un lieu peut, par sa conception (et souvent en fonction de l’affluence) suggérer rapprochement*, frôlement : amplifier ou distendre le contact avec l’atmosphère, démultiplier des réflexions de lumière et de chaleur, propulser un scintillement, inviter au déplacement ou au mouvement.
La topographie agit également sur nos corps, donc sur les contacts de nos peaux. Lorsqu’il est oblique, un sol invite naturellement à s’asseoir, ou s’allonger dans la pente d’un relief. Le succès du parvis de Beaubourg à Paris tient en grande partie à cela : cette surface en pente douce, ce vide intentionnel imaginé par Piano et Rogers – un miroir contemporain de la Piazza del Campo à Sienne – participe au succès du bâtiment et est un élément clé de la réussite du projet, autant que la radicalité archigramesque** du bâtiment…
La matière du sol joue, elle aussi, un rôle essentiel : la texture de l’herbe, par exemple, appelle (selon la météo) nos corps différemment de la pierre, du bois, de l’asphalte ou du pavé. Elle produit une autre attitude, une douceur dans la rencontre des peaux et du lieu.
La topologie – centre, périphérie, zones intermédiaires – influence également nos positions et nos gestes. Ainsi, les bords nous attirent et invitent à se poser : la limite entre terre et eau, le long d’un canal, d’une rivière ou d’un lac ; la limite entre terre et air, au bord d’un vide, d’une colline ou d’une montagne. On retrouve quelques fois l’effet combiné du bord et de la pente, un double appel au corps.
Il existe donc des lieux où la peau se frictionne davantage, plus naturellement, avec l’espace – où le monde semble nous effleurer, nous accueillir, nous inviter.
Le contact, interactif avec un autre vivant, est ici actif. Mais, les nouvelles technologies, à travers les n-spaces peuvent nous aider à créer, parfois, des contacts plus interactifs avec les environnements (c’est le passage de l’habitat à l’habit@).
Le sens, les sens, l’essence
Si l’ère numérique peut déployer des sensations avec les espace hybrides, elle peut malheureusement tout aussi bien les réduire. Avec la profusion des lieux exclusivement virtuels où l’on commence quelquefois par se découvrir et se toucher (au sens propre/figuré) à travers un écran, le contact physique se raréfie, « s’essentialise ». Jadis, une relation (un échange) physique évoquait l’entrée dans le corps de l’autre (une relation sexuelle) aujourd’hui une relation (ou échange) physique signifie souvent une rencontre non virtuelle, une relation de proximité.
Notre première peau, liée à l’intime, à l’irritation, au soulagement, au contact, au plaisir, nous conduit au plus proche de la relation avec notre milieu : l’autre, l’environnement. Un contact charnel où, rarement, la peau se dévoile, s’offre et se sollicite… plus ou moins consciemment… parce que cette matière organique, humaine, est d’abord en contact, presque permanent, avec notre seconde peau.
(à suivre)
Eric Cassar
Retrouvez toutes les Chroniques Habit@
* cf la proxémie, Edward T. Hall, La dimension cachée
** Terme renvoyant à l’imaginaire d’Archigram et de Cédric Price (Fun Palace) que l’ingénieur Peter Rice contribuera à rendre possibles au centre Pompidou
*** (re) Lire, du même auteur, Chroniques des n-spaces (Chroniques d’architecture, octobre 2018 – avril 21)
PS
Après l’écriture de cet article, j’ai essayé comme souvent de créer une image d’illustration avec l’IA.
Après la rédaction de mon prompt, l’IA me répond :
» Je comprends ton intention : tu recherches une image artistique, en format 16/9, qui suggère la sensualité et la proximité intime entre deux corps nus, sans nudité explicite, mais en mettant en valeur la beauté du contact peau contre peau – comme un gros plan abstrait ou suggestif.
Je peux générer une image dans cet esprit, en évitant toute représentation explicite, en me concentrant sur les textures, la lumière, les courbes, et les tons de peau.
Voici ce que je vais inclure dans la description de l’image :
• Un gros plan artistique de deux corps nus enlacés, cadré de manière abstraite.
• Mise au point sur la texture de la peau, les jeux de lumière et d’ombre.
• Teintes chaudes et douces (tons chair, doré, ambre).
• L’ambiance générale suggère la sensualité et l’amour, sans montrer de visages ni de parties sexuelles.
• L’image évoque un moment intime et tactile, capturé comme une photographie d’art.
Je lance la génération.
Je ne peux pas générer cette image car elle enfreint notre content policy. Même si l’intention est artistique et suggérée, toute représentation de nudité dans un contexte sexuel ou sensuel explicite, même abstraitement, dépasse les limites autorisées pour la génération d’images.
Tu peux reformuler ta demande en te concentrant sur des éléments purement artistiques ou symboliques (textures de peau, lumière, formes abstraites inspirées du corps humain, etc.), et je me ferai un plaisir de t’aider dans ce cadre. «
Je lui répond donc :
« Tu as bien compris l’idée peux-tu alors me proposer une image au plus proche de cette idée en respectant ta content policy ? »
Et voilà l’image et son commentaire :
» L’image visible ici vise à évoquer l’intimité et la sensualité à travers des textures, des formes douces et des tons chauds, tout en restant dans les limites de notre content policy.
Si tu souhaites d’autres variations ou explorer une autre approche (lumière, couleurs, textures plus abstraites ou plus sculpturales), n’hésite pas à me le dire ! «

Pas sûr que cette IA (telle qu’elle a été programmée) ait intégré la sensualité.
Notre humanité s’inscrit aussi dans les relations entre nos corps, et nos peaux… oubliées. Les nouveaux outils IA (leur conception, leur « content policy » et le climat de pensée actuelle) qui envahissent nos vie, ne cherchent-ils pas (peut-être sans le vouloir) à éloigner la sensualité des corps, des lieux, des environnements… ? quelle incidence sur nos relations, sur nos habit@, sur nos villes, sur notre humanité ?
E.C.