Pendant qu’il est question d’écologie jusqu’à la psychose sociale, on ne parle plus d’architecture. La preuve avec le Conseil régional de l’ordre des architectes (CROA) Bourgogne-Franche-Comté où sont discutées les vertus d’un « végétoscope » permettant de papoter avec « le peuple des plantes ». Farce suivie d’un débat mortifère ?
Mardi 25 avril 2023, à Chalon (Saône-et-Loire), un laboratoire de recherche privé nommé Végétale Vallée* a présenté lors d’une conférence de presse une découverte sensationnelle : il est possible désormais de communiquer avec les plantes, toutes les plantes. Un dispositif « tactile et chimique », appelé « végétoscope », dont Isabelle Foliot, bio-chimiste, et Morgane Da Silva, chercheuse en phytosociologie (sic) sont les inventrices, permettrait de communiquer avec un monde végétal dont nul ne soupçonnait encore l’incroyable Q.I. En effet, grâce à ce traducteur du quatrième type « les hommes peuvent poser des questions à tous les végétaux et… obtenir des réponses ».
Une annonce extraordinaire qui, pour citer un témoin nommé E.V.,* n’a pas manqué de susciter dans un auditoire nombreux des réactions fortes « allant de l’enthousiasme extatique d’un esprit troublé à l’hystérie larmoyante d’une jeune architecte manifestement travaillée par des passions peu compatibles avec l’exercice d’une profession pourtant marquée de coutume par la rigueur et la dignité ». En voilà un à qui on ne la fait pas !
Et personne n’était au courant ? C’est une caméra surprise ?
« Nous n’avons eu de cesse de travailler dans l’ombre. Nous avons ainsi évité les écueils de compromission et de mise en lumière de fragiles travaux. Nous aurions encore protégé nos résultats sans l’intervention des plantes elles-mêmes. Leur refus soudain est catégorique. Elles ne veulent plus traiter avec des humains appartenant à la communauté scientifique. C’est leur attitude qui a conséquemment induit la révélation précoce de nos travaux », explique doctement Morgane Da Silva, la phytosociologue. Dit autrement, soulignent les inventrices du Végétoscope, pour décider de partager ou non avec le monde entier réuni à Chalon cette découverte hallucinante, « ce sont les plantes qui ont tranché ». Pas avec un sécateur quand même…
Et JSL, le Journal de Saône-et-Loire, d’être le premier le 26 avril à sortir le scoop avec ce titre : Végétale Vallée, une découverte qui va révolutionner le quotidien.
Le rapport à l’architecture ? Les prospects sont immenses.
En effet, l’enthousiasme de la jeune architecte hystérique larmoyante (appelons-la Jeanne) et d’une autre (appelons-la Frédérique) qui l’accompagnait à la conférence de presse, a suffi à susciter une discussion en grand appareil au sein du CROA Bourgogne-Franche-Comté.
L’objet de cette réunion est décrit dès le début** de cette discussion ayant fuité : (une voix mâle, celle apparemment de l’ordonnateur de la réunion, appelons-le Théo) « C’est une invention qui suscite pas mal de questionnements, notamment quant à son impact sur notre métier d’architecte, sur la profession et on doit prendre de l’avance. Le but est de formuler une proposition en tant qu’ordre des architectes de Bourgogne-Franche-Comté. La découverte vient de notre territoire, donc on doit être les premiers à réagir ».
Surtout ne pas se faire rattraper par le buzz !
Tout esprit doué d’une intelligence moyenne comprend bien la difficulté du sujet. Faudra-t-il demander l’autorisation aux roses avant de les tailler ? Faudra-t-il les connaître chacune par son petit nom ? Faut-il que l’homme intervienne si elles sont jalouses entre elles ? Le Petit Prince de Saint-Exupéry parlait déjà avec sa rose et lui aussi déjà cherchait à la protéger. Un architecte contemporain le Petit Prince ?
C’est l’avis de Frédérique, de retour au CROA Bourgogne-Franche-Comté. « Ce que je veux dire est que tout pousse à penser que les plantes sont de véritables partenaires du don (sic). On ne peut pas les ignorer, on ne peut plus les ignorer. J’y étais à cette conférence de presse et un homme a pris la parole pour rappeler que des peuples (Lesquels ? nde) font ça (Quoi ? nde) avant nous, oui, ne faisons pas les surpris, ce serait complètement hypocrite ». Ceux qui ne sont pas d’accord sont des hypocrites, ce n’est pas compliqué !
Une clarté convaincante : (voix de femme, on l’appellera Léa) « je suis d’accord pour reconnaître l’importance de cette découverte, on ne peut plus continuer à parler des végétaux comme si c’étaient des objets, ce n’est plus possible en tout cas. Les végétaux semblent être comme un peuple d’un point de vue scientifique dont l’idée se considère et je pense qu’il faut vraiment la prendre en compte. Ce serait un bien plus grand peuple que les humains d’ailleurs. Je pense que le temps de l’humilité a sonné ».
Ô peuple des plantes, que me voilà désormais ton fidèle serviteur comme dirait le Génie d’Aladin !
Walt Disney ? À Chalon ?
Jeanne en perd à nouveau ses moyens rien que d’y penser. « Il est essentiel que nous reconnaissions l’importance et la valeur de cette communication avec les végétaux. [… Il s’agit] de trouver un équilibre entre nos besoins et ceux de la nature. On fait partie de la nature, on est la nature. En travaillant en harmonie avec les plantes, on peut créer des espaces qui favorisent la santé, le bien-être et la durabilité. On peut enfin avoir l’opportunité de repenser notre relation avec l’environnement. Ça me rend dingue que vous ne vous rendiez pas compte. Je me calme si je veux. (au bord des larmes, quitte la discussion) ».
Qu’est-ce qu’on se marre au CROA Bourgogne-Franche-Comté…
Surtout, voilà des hommes et des femmes de l’art qui n’ont pas du tout de temps à perdre. Par exemple à propos de la souffrance des herbes quand on les coupe en quatre. S’il faut demander son avis à la pelouse avant de la tondre, peut-être serons-nous surpris, la pelouse nous expliquant comment elle veut être tondue, comme une belle coupe chez le coiffeur. Et si elle ne veut pas être tondue la pelouse, qu’elle en souffre, que ça lui rappelle de mauvais souvenirs ?
Sujet d’importance en tout cas puisque, à l’heure où ces lignes sont écrites, les charpentes de Notre-Dame sont reconstruites à la hache. Un chêne centenaire, a-t-il vraiment envie de se faire hacher menu si le bûcheron lui demande ses instructions ? Il aurait mieux valu en ce cas prévoir pour Notre-Dame une flèche contemporaine en matériaux de synthèse.
Surtout, que signifie ce monceau de sottises ? Jeanne, Frédérique et les autres qui partagent désormais cette hystérie sociétale autour du végétal ont-ils/elles déjà construit un hôpital, des logements, un musée, ces trucs pour les humains qu’il faut bien poser quelque part avant que les extraterrestres ne nous offrent la lévitation ? Tant que l’homme ne respirera pas du carbone pour expirer de l’oxygène, comme les plantes justement, son existence même est une pollution et un désastre pour ces peuples des plantes, lesquelles broutées inlassablement ont crié leur malheur pendant des millions d’années sans que personne ne les entende sauf enfin, au XXIe siècle, en France, des illuminées chalonnaises !
Il convient encore de mettre cette discussion de haute volée en regard de la doxa en vogue au Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA), notamment, qui impose désormais de se préoccuper du « vivant ». Voici de plus ce qu’explique Christine Leconte sa présidente*** : « La recherche de proximité fait aussi qu’une diversité de métiers se crée. Certains architectes continuent à faire de la maîtrise d’œuvre, d’autres ne s’inscrivent plus forcément à l’ordre et créent des cabinets de concertation, des cabinets de participation des habitants, de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, de l’assistance à maîtrise d’usage ; en somme, des métiers connexes à la maîtrise d’œuvre, qui sont l’écosystème de l’architecture. Aujourd’hui, la reconnaissance de cette diversité des pratiques est essentielle ».
Biodiversité des pratiques même, par exemple celles de Jeanne, Frédérique et leurs adeptes qui « ne continuent pas à faire de la maîtrise d’œuvre » ? Bonjour l’architecture de proximité avec ces architectes-là s’il devient impossible de tailler une haie sans l’imprimatur du figuier adjacent ! Les maires des communes rurales, dans ces fameux déserts architecturaux qui font la fierté de notre pays, vont adorer ! Sans parler, en Bourgogne, de la délicate taille des vignes…
D’ailleurs Christine Leconte et la déléguée générale de Fibois France, Céline Laurens, ont signé le 11 avril 2023 « une convention de partenariat visant à favoriser, auprès des acteurs de la maîtrise d’œuvre, des modalités plus durables et plus respectueuses de l’environnement, s’appuyant sur la ressource bois », à condition bien sûr qu’aucun arbre ne soit maltraité, voire incompris, durant l’exploitation. Bientôt Le CNOA, tout à fait dans son rôle comme d’aucuns persistant « à faire de la maîtrise d’œuvre » peuvent le constater, pour promouvoir le végétoscope ?
Avant la création prochaine de nouvelles normes et réglementations prenant en compte la parole des végétaux, forcément victimes innocentes, et multipliant par cent le coût de la construction, quelques dernières considérations : les herbes, bonnes et mauvaises, parlent-elles le même langage entre elles, ici en France et ailleurs ? Ou faudra-t-il au végétoscope le traducteur idoine ? Y a-t-il une différence culturelle entre une herbe américaine et une herbe jamaïcaine ? Les pivoines croient-elles en dieu ? Les salades préfèrent-elles pousser en graine plutôt que d’être dévorées dans leur prime jeunesse par les humains qui les ont plantées ? La salade montée en graine, elle est enceinte ?
Heureux sommes-nous aujourd’hui dans notre riche pays de pouvoir nous émerveiller ainsi de telles innovations fantastiques mais c’est seulement parce que cette fois l’objet de la réunion a fuité. Combien d’autres de ces réunions intellectuellement spectaculaires dans tous les CROAs du pays dont on ne sait rien ?
Pour finir, soyons assurés que, pour l’image de l’architecture et des architectes français, il s’agit là d’un débat qui ne peut qu’impressionner leurs consœurs et confrères du monde entier.
D’ailleurs sans doute que les Majors seront bientôt heureuses de facturer aux architectes par appartement deux jardinières dotées d’un végétoscope permettant sur la terrasse de tailler le bout de gras avec son ficus en prenant l’apéro.
Forcément non végétarien l’apéro car qui a envie d’entendre pleurer ses carottes et radis ?
Christophe Leray
*Pour en savoir plus, le site de Végétale vallée
**Pour écouter l’intégralité de la discussion ayant fuité : https://www.youtube.com/watch?v=HVAXN8JAF6Q&t=114s
*** In l’entretien accordé le 17/05 à la Fondation Jean Jaurès par Christine Leconte