Tim Drewitt, le vice-président du RIBA (Royal Institut of British Architects), était l’un des invités des Rencontres de la maîtrise d’œuvre organisées fin avril 2004 à Paris, il revient sur les différences entre systèmes anglais et français autour des grands thèmes qui font débat aujourd’hui en France. Entretien.
Christophe Leray : Comment est organisé le permis de construire en Angleterre ?
Tim Drewitt : Nous avons à peu près la même chose dans le sens où chaque département, chaque grande ville à son plan d’urbanisme et que nous avons besoin d’autorisations pour faire construire un bâtiment neuf ou rénover ou aménager un bâtiment existant. Mais il y a plusieurs différences avec le système français car notre ‘permis de construire’ se déroule en plusieurs phases.
En premier lieu, nous demandons un ‘outline planning’ qui ne nécessite pas d’esquisses détaillées mais un plan du terrain avec le plan masse. S’ils considèrent ne pas avoir besoin de dessins plus détaillés à ce stade du projet, les ‘urbanistes’ donnent, ou non, leur accord en fonction du plan d’urbanisme. Dans certains cas cependant, ils peuvent être amenés à demander des esquisses plus précises.
La seconde phase, appelée ‘Full Planning Commission’, correspond à votre ‘permis de construire’. On doit alors fournir les plans de façade, les plans, les coupes et définir l’usage ; que mettre ici ou comment diviser là. Mais ce système est moins compliqué que le vôtre car il n’est pas demandé de détails de construction ; nous n’avons pas à ce stade à fournir le plan des évacuations de fluides par exemple.
Il faut noter que c’est à ce moment là que, en Angleterre, le terrain prend de la valeur. Si par exemple vous obtenez l’autorisation de transformer une maison de cinq étages en cinq appartements, la valeur du terrain va beaucoup augmenter. Du coup, beaucoup de maîtres d’œuvre ne construisent jamais, se contentant d’obtenir l’agrément de la ‘Full Planning Commission’ avant de revendre le tout à quelqu’un d’autre qui lui s’occupera de la construction proprement dite.
A ce moment seulement interviennent les ‘Building regulations’, les règles de construction, très strictes, mises en place par le gouvernement. Chacun doit se conformer à ces règles et chaque étape de la construction – fondation, évacuation des fluides, étanchéité, etc. – est ensuite scrupuleusement et systématiquement contrôlée par un inspecteur de la mairie, payé par l’architecte selon un barème lié à la valeur de l’ouvrage. En France, vous n’avez pas cette contrainte, vous pouvez construire en carton si vous le souhaitez. Le système en France n’est pas très pertinent mais attention, si vous demandez des règles, vous les aurez et vous ne les aimerez pas.
Enfin, dernière différence, alors qu’en France un permis de construire, même accepté par la mairie, est susceptible d’un recours pendant deux mois, au risque d’annulation de ce permis, en Angleterre la consultation a lieu, pendant trois semaines, avant l’octroi de la ‘Full Planning Commission’.
C’est lors de la construction que tous les dessins et détails de la construction doivent être fournis. Ils sont réalisés par nous-mêmes (architectes. NdR), comme le ferait un bureau d’études. Cela permet de discuter, de trouver des compromis. Quand le bâtiment est terminé, il reçoit un certificat de conformité, d’ailleurs le plus souvent exigé également par le solliciteur, maître d’ouvrage public ou privé. Je pense qu’il s’agit là d’un bon système car il protège l’architecte, le maître d’ouvrage, le constructeur et l’acheteur éventuel.
Je déjeunais récemment chez des amis en France qui avaient fait réaliser une extension de leur maison et qui avaient des soucis juridiques avec l’architecte car quelque chose n’allait pas. Le seul document dont ils disposent est le permis de construire, qui n’indique pas la façon dont l’ouvrage a été construit. En Angleterre, le maître d’ouvrage dispose au final de tous les dessins, de tous les détails de construction et les relations avec l’architecte en sont beaucoup plus apaisées.
Des praticiens français reprochent le manque de préparation technique des étudiants lors de leur formation. Les architectes anglais ont la réputation de mieux maîtriser ces aspects. Quelle est la teneur de l’enseignement de l’architecture en Angleterre ?
Nous avons le même problème qu’en France. Je pense néanmoins qu’il est très important que les étudiants ne soient pas bouleversés par la technique. L’architecture est d’abord une histoire de conception et il faut donc laisser aux étudiants le temps de faire des esquisses sans avoir à se préoccuper si, techniquement, cela peut être construit ou non. La psychologie de l’architecture, la façon d’imaginer l’architecture, n’ont rien à voir avec la technique même s’il reste important de découvrir un peu de technique pendant ces études.
Le problème est que les gouvernements successifs ont coupé les budgets de nos écoles. Or, jusqu’au milieu des années 80, les professeurs étaient des praticiens, des constructeurs et les étudiants disposaient de tuteurs qui construisaient et transmettaient leur savoir-faire. Or nous nous dirigeons aujourd’hui vers un corps de professeurs professionnels qui ne construisent plus.
C’est après l’école que le jeune architecte est confronté aux techniques de construction, tout simplement parce nous faisons nous-mêmes nos propres études, nos propres détails de construction et qu’il devient lui-même partie intégrante du système. En France, le jeune diplômé n’a pas le bénéfice de techniciens travaillants dans le même bureau, dans la même pièce, à côté et avec lui. Sans cette proximité, il est difficile d’apprendre.
Tout dépend aussi de qui l’étudiant dispose comme tuteur. S’il a un professeur qui n’a jamais construit un bâtiment, tant pis pour lui. Quand j’étais étudiant, j’avais choisi un tuteur qui connaissait parfaitement la théorie et un autre constructeur, comme ça j’avais tout ce qu’il fallait (rires).
Une ‘Licence d’exercice’ apprise sur le tas donc ?
Plus ou moins. Les études sont constituées de cinq ans d’école et deux ans, d’apprentissage disons, qui doivent être passés dans une agence, dont une qui se déroule durant les cinq premières années. Ces six années sont sanctionnées par un examen dont le critère n’est pas tant la technique que le professionnalisme de l’architecte, contrôle de chantier, relation avec le client par exemple. Car en réalité, la seule façon de bien apprendre la technique est d’aller sur les chantiers.
J’ai une petite agence mais j’emmène les étudiants et les jeunes architectes sur les chantiers, ne serait-ce que pour qu’ils puissent y aller seul plus tard. Ils voient ainsi comment ça se passe, comment parler avec le client, etc. Mais cela prend du temps. De fait beaucoup de jeunes architectes en Angleterre démarrent leur agence rapidement ; ils doivent alors apprendre très vite.
La connaissance technique permet ensuite de meilleures relations avec les entreprises. Il n’y a rien de pire pour un entrepreneur qu’un architecte qui n’a aucune idée de la façon de construire. Ainsi, si un artisan me dit «ce sera plus facile comme ça, plus simple et mieux», je discute et, s’il a raison, je change les dessins. Beaucoup d’architectes répugnent à cette attitude tout simplement parce qu’ils ne savent pas construire et, avant qu’ils ne s’en rendent compte, c’est l’entreprise de construction qui a pris le pouvoir.
Un dernier aspect doit être pris en compte. Avant 1930/1935, tous les bâtiments étaient construits de la même façon et un architecte n’avait pas nécessairement besoin de connaître les détails car ils étaient tous les mêmes. Mais aujourd’hui, avec le changement des techniques et technologies, un architecte est vite dans la mouise s’il ne sait pas comment construire ce qu’il dessine car les entreprises elles-mêmes ne savent pas toujours comment faire. On constate de plus en plus souvent l’importance de connaître les systèmes de construction et de mise en œuvre des matériaux, ne serait-ce que pour pouvoir réparer. Du coup, on voit de plus en plus d’architectes spécialisés dans un domaine de construction.
En France, de fait, les bureaux d’études ont pris le pouvoir. En Angleterre, puisque nous sommes notre propre bureau d’études nous avons moins de problèmes puisque nous pouvons travailler directement avec les sous-traitants. Je pense que, pour que les architectes puissent revenir au centre du processus de construction, ils doivent maîtriser la technologie, savoir encore mieux que les entreprises ce qui doit être fait et comment le faire.
Le gouvernement français, dans sa promotion du partenariat public privé (PPP), vante les qualités de son équivalent anglais, le P.F.I.. Cette comparaison est-elle pertinente ?
Votre gouvernement dit que tout va bien en Angleterre, ce n’est pas vrai. Même Margaret Thatcher avait dit qu’il ne fallait pas privatiser les chemins de fer, que ce serait un désastre. C’est John Major (Premier ministre conservateur anglais qui a succédé à Margaret Thatcher. NdR) qui l’a fait. On s’aperçoit en fait que le risque n’est pas réellement assumé par le privé. Si par exemple on utilise des investissements privés pour construire les sous-marins de la flotte britannique, et que les entreprises font faillites, la flotte n’aurait plus de sous-marins ? Quand on signe un P.F.I., l’entreprise est responsable pour trente ans. Mais que se passe-t-il si l’entreprise est vendue ou si elle fait faillite ?
Les programmes P.F.I. prennent au moins quatre ans à mettre en place, les deux premières années étant exclusivement consacrées à l’aspect financier. Ensuite on demande aux architectes de se dépêcher et seuls les gros cabinets peuvent alors le faire. Et encore, le nombre d’agences qui peuvent se lancer dans ce type de contrat se réduit chaque année au point qu’il n’y a pas aujourd’hui assez d’agences pour répondre à la demande. On peut d’ailleurs remarquer que pas un projet mené sous forme de P.F.I. n’a gagné un quelconque prix d’architecture en Angleterre. De fait, on assiste à un changement de ‘moralité’ car la première responsabilité d’une entreprise est vis-à-vis de ses actionnaires, pas du public. Or le public, ce sont nos clients et il est de notre devoir de les servir au mieux.
De plus le P.F.I. impose des augmentations d’échelle. Ce n’est pas rentable pour une école par exemple mais cela le devient pour dix. Par exemple, un ‘arrangement’ avait été passé avec une grande entreprise pour construire tous les cabinets médicaux dans toutes les grandes villes anglaises, soit plus ou moins le même dans chaque ville. Pour mener à bien de tels projets, il faut une surface financière énorme qui écarte obligatoirement toutes les petites agences. Quand j’étais jeune architecte, je pouvais construire des écoles, aujourd’hui, avec le P.F.I., je ne peux plus car il me faudrait en construire dix et je n’ai pas les ressources humaines pour le faire.
D’ailleurs, et c’est significatif, nous assistons en ce moment à l’arrivée sur le marché anglais de grandes agences américaines ce qui va encore réduire notre marge de manœuvre. Enfin, si nous construisons des boîtes de haricots et si construire la boîte est notre boulot, les entreprises, avec tout le respect qu’on leur doit, sont surtout intéressées par les haricots. Depuis que les P.F.I. ont été mis en place, notre travail est beaucoup plus difficile.
Propos recueillis par Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 5 mai 2004