Le vendredi 8 mars 2019, à l’académie d’architecture, tout ce que compte la profession d’institutions a révélé ses «73 propositions pour l’architecture des territoires et des villes», la contribution des architectes* au Grand Débat National, un document argumenté de 27 pages. Une somme indigeste ?
Avant de s’interroger sur son utilité, il faut dans un premier temps relever la quantité de travail fournie : 73 propositions, chacune argumentée en quelques lignes, le tout accompagné de cinq contributions autour de cinq thèmes**, dont quatre «en résonance» avec les thèmes du grand débat national. Une production qui ne manque pas de défauts mais un travail fouillé, documenté, argumenté, au risque de la redondance d’ailleurs.
«Les architectes proposent des innovations organisationnelles, des modifications juridiques, des améliorations de leur enseignement et de leur profession qui est, par la Loi de 1977, d’intérêt général». Tout un programme. Et précis puisqu’il va jusque dans les détails de la température des logements qui «pourrait être mieux modulée, suivant les espaces, les jours et les saisons, pour une plus grande efficacité énergétique» (proposition 41).
Pourtant, avec tout le respect dû aux sommités réunies pour élaborer ce texte, au fil de la lecture, d’aucuns de découvrir des «il faut» partout – une trentaine de fois, y a plus qu’à ! – et beaucoup de conditionnel. Il faut par exemple en finir «avec la spéculation, les hausses sans fin des loyers, les prix de vente». Certes. «Un devoir d’ingérence international s’impose». Certes !
Cette litanie de vœux plus ou moins pieux pour beaucoup ressemble à l’architecture ou l’aménagement du territoire pour les nuls. «Parce que c’est son cœur de métier, l’architecte concevra les solutions les meilleures et les plus créatives», indique la proposition 47 sans fausse modestie. Un effort de pédagogie qui, il est vrai, est sans doute souvent nécessaire, comme dirait Martine.
Alors chacun des auteurs y va de son grigri. Citons la création d’un «observatoire des territoires européens» (proposition 51), encore un autre machin comme aurait dit de Gaulle. Ou l’intégration «dans l’éducation nationale comme discipline obligatoire, de la maternelle à la fin du secondaire, la sensibilisation à l’espace, l’enseignement de l’architecture et de la ville» (proposition 56). Et les arts vivants ? C’est vrai que c’est déjà la joie dans nombres de collèges et lycées des banlieues ou zones périurbaines. Ou encore la création d’une charte de bonne conduite, non de deux chartes (propositions 58 et 59), ou d’un nouveau label (proposition 69) dans un pays qui en manque cruellement.
Parfois des articles posent carrément problème. Le 63 par exemple entend «favoriser une structuration des entreprises d’architecture». Il faut «encourager le développement des compétences, les garanties financières, une meilleure gestion, une taille critique suffisante voire le regroupement des agences…», souligne le texte. Taille critique ? Regroupement des agences ? Voilà qui mérite débat tant ces questions ne sont pas tranchées.
A qui donc s’adresse donc ce long inventaire à la Prévert ?
A l’occasion, quand les architectes se parlent entre eux, le texte est carrément pompeux. Voir le chapitre Démocratie et citoyenneté : «Pour nous professionnels, il ne peut être question de « non-villes », c’est à nous de les concevoir et de les proposer». Certes. Comme à Saclay par exemple où les architectes se ruent sur les concours, chacun sachant qu’il concourt à la catastrophe mais espérant contre l’évidence qu’elle n’aura pas lieu ? Puisque les millions de contributions au Grand Débat vont être gérées par des calculs savants, bonne chance aux algorithmes pour faire sortir un message cohérent pour ce qui concerne les architectes.
De fait, il y a un précédent récent. L’initiative logement organisée par le Sénat fin 2017 a été un grand succès si l’on compte le nombre de contributions soumises par tous les acteurs du secteur, y compris celles des institutions signataires de ce nouveau texte. Ca a donné la loi ELAN ! Il est à craindre pareillement que ces 73 propositions parmi des millions de contributions seront inaudibles en regard de la puissance de la communication des majors et des entreprises. Construire mieux plus vite et moins cher, comment les algorithmes du gouvernement feront-ils la différence entre qui dit et fait quoi ?
Même le nombre des propositions interpelle. Un véritable exercice commun de synthèse n’aurait-il pas dû aboutir à dix fois moins de ‘propositions’, chacune peut-être dix fois plus pointue et efficace ?
La politique est une question de rapport de force. Pour établir un rapport de force politique il faut le soutien de la population, ce à quoi sont parvenus les gilets jaunes parce qu’ils exprimaient, au départ, une difficulté d’existence parfaitement comprise par le plus grand nombre.
Ce cahier de doléances des architectes aurait pu, dû, en quelques points clairs donner aux citoyens l’envie de se motiver, de s’interroger sur leur espace de vie, de trouver quelques clefs relatives aux enjeux de l’architecture et de l’urbanisme, de comprendre comment ils se sont retrouvés prisonniers dans un no man’s land inhospitalier.
A la place, ces 73 propositions sont tellement indigestes pour le citoyen lambda qu’il n’en finira jamais la lecture, sans parler des cinq essais/tribunes qui suivent. Bref, un document qui sera lu au mieux par des architectes déjà convaincus ou décrypté par une architecture informatique inconsciente au sens propre.
Certes, des propositions se révèlent audacieuses, comme la N° 16 qui prône de densifier horizontalement les villes en constatant que «dans les ZAC, l’espace libre entre bâtiments entraîne une discontinuité urbaine bien pire que les grands ensembles […] créant des univers non urbains bien plus dramatiques». Idem pour le «concept de hauteur comme levier de densification». En finir avec les ZAC telles qu’on les connaît aujourd’hui serait un bon début. Sauf que de telles mesures doivent s’insérer dans le cadre d’une politique globale, compréhensive de la ville, pas dans une série d’articles disparates qui ne sont finalement, pour la plus grande part, qu’un état des lieux, triste certes. La preuve, le communiqué de presse accompagnant le document évoque un ‘Diagnostic’.
Même si les pseudo penseurs du gouvernement peuvent manquer de perspicacité, ils ne sont pas non plus complètement sots et n’apprendront pas grand-chose non plus des 73 propositions des architectes et ce symbole d’unité déployée au sein de la profession pour l’occasion ne les impressionnera guère.
Plutôt que 73 propositions ad libidum, il eut sans doute été plus percutant de proposer une politique qui ne soit pas un amalgame de toutes les sensibilités des architectes. D’ailleurs, c’est la dernière chose dont parle le communiqué de presse : «Créer un grand ministère de l’architecture, de l’habitat, du cadre de vie et de la transition écologique, ayant une responsabilité interministérielle étendue».
Peut-être est-ce de là qu’il aurait fallu partir, imaginer ce ministère, pour quelle politique ? Pour ce ministre, quelles sont les priorités et à qui sont-elles destinées ? Aux architectes ? A la population ? Laquelle ? Celle des grandes villes ou celles des villes rurales ? Qu’est-ce qui est possible avec la loi ou par décret ? Plutôt qu’une collection de bonnes intentions, quelle feuille de route pour le/la ministre durant ses 100 premiers jours à la tête d’un tel ministère ?
Même si il ou elle y retrouvera sans doute les rancunes cuites et recuites entre architecture contemporaine et patrimoine qui ont cours au ministère de la Culture, pour citer la partie ‘Refonder une politique publique de l’habitat’ du texte, quelle serait donc, selon les institutions réunies de l’architecture, la «mère des réformes» ? «Il faut baisser beaucoup le coût de réalisation des logements neufs en faisant baisser radicalement et mécaniquement le coût du foncier». Bah oui, il suffisait d’y penser.
Pour résumer, ce vaste travail dont témoignent les 27 pages de ce document n’aurait pas dû être la fin de la réflexion mais là même où elle devait commencer. Il eut été plus intéressant de voir toutes ces institutions se mettre d’accord sur une ligne d’action claire, avec quatre ou cinq priorités bien définies ; le logement, et/ou la transparence des barèmes, des honoraires et des marges, et/ou la sanctuarisation des terrains, souplesse des PLU, modulation de la taxe foncière, sont autant d’exemples accessibles au plus grand nombre et qui peuvent être défendues avec vigueur et déclinées quel que soit le contexte. Ce qui permettrait aux architectes de s’adresser à la société publique d’une même voix avec une chance d’être entendus.
L’architecture est politique par définition. Les élections qui se profilent, les Européennes bientôt et, surtout, les Municipales l’année prochaine, seraient alors autant d’occasions pour les architectes de marteler leur message et, partout en même temps dans tous les recoins du pays, d’exprimer au nom de l’intérêt général un point de vue unitaire, clair, ambitieux et partagé.
On peut rêver…
Christophe Leray
*Outre l’Académie d’architecture, ont activement contribué à l’élaboration de ces 73 propositions : l’Union nationale des syndicats français d’architectes (UNSFA) ; le Syndicat de l’Architecture ; la Société Française des Architectes (SFA) ; la Mutuelle des Architectes Français (MAF) ; la Maison de l’Architecture ; l’association Architectes et Maîtres d’ouvrage (AMO) ; l’association Architectes Français à l’Export (AFEX) ; le Pôle de formation Environnement, Ville & Architecture d’Ile-de-France (Pôle EVA).
Retrouvez tous les articles de notre dossier Grand Débat des architectes
• Architectes, encore un effort pour être républicain
• 73 Propositions
• Aménagement du territoire priorité nationale
• Refonder une politique de l’habitat – De l’efficacité de la dépense publique
• Transition écologique – Ce qu’architecture et architectes peuvent proposer
• Démocratie et citoyenneté – De la ville et de la civilisation européenne
• Recourir au savoir-faire des professionnels