Kate Otten est architecte, à Johannesburg, en Afrique du Sud. Une femme de l’art sans doute puisqu’elle revendique le caractère féminin de son agence qui compte une dizaine de personnes, des femmes en très grande majorité. Au caractère brutal d’une ville longtemps ségréguée, de la haute couture enfin, comme une plaie se doit d’être suturée.
Contexte
Je n’avais que quelques heures pour rejoindre l’architecte Kate Otten à Johannesburg, en Afrique du Sud. J’avais pris rendez-vous mais le temps pressait et je ressentais comme une vague appréhension. Sans doute étais-je d’avance impressionnée. Johannesburg est une ville d’Afrique du Sud dont l’histoire, le système politique inique et l’apartheid ont laissé des traces visibles d’une lutte au corps. Comment Kate Otten, une femme architecte, parvient-elle à pratiquer son métier dans sa ville et son pays ?
C.A.
Carol Aplogan : Pourriez-vous décrire le style, l’architecture, à Johannesburg ?
Kate Otten : Je pense que c’est assez difficile à décrire car il n’y a pas un seul style. Je pense aussi que les choses sont très différentes à Johannesburg, une ville bien plus jeune que ne peut l’être une ville comme Paris. De plus, comme beaucoup d’autres villes en Afrique du Sud, Johannesburg a été en quelque sorte également victime du régime de l’apartheid et c’est donc une ville très divisée.
Il y a la partie centrale et historique où des gens très différents vivent désormais mais strictement séparée des townships dont Soweto (South West Township) demeure, je pense, le plus connu de Johannesburg.
Je pense que l’un des objectifs les plus importants, pour les architectes comme moi et d’autres personnes impliquées dans la ville et son environnement, est de parvenir à combler le fossé – une sorte de «no man’s land» en partie du au régime des années de l’apartheid – qui existe entre un milieu spécialement urbanisé et étudié – le centre de Johannesburg – et tous ses environs. Il est de fait très difficile pour les gens d’aller et venir entre les zones blanches et les zones noires. Donc je pense que, pour les professionnels de l’environnement et de la construction, l’un des aspects les plus importants de notre implication est d’essayer de combler cette lacune.
Quelles sont les règles administratives auxquelles vous êtes soumis dans votre pays ?
Je pense qu’elles sont assez complexes. Nous avons beaucoup de règlements et nous devons obtenir nombre d’autorisations pour que les choses avancent. Pour être honnête, cela devient de plus en plus difficile et de plus en plus long et compliqué.
Il y a désormais cependant des règles intéressantes pour ce qui concerne le patrimoine, qui m’intéresse énormément et pur lequel je suis très impliquée, notamment le fait que la réflexion patrimoniale est devenue partie intégrante de la manière dont nous devons travailler et fonctionner.
Si les bâtiments ont plus de 60 ans (c’est très très drôle de dire cela à des Français puisqu’en France, les bâtiments sont beaucoup plus vieux) ou ont quelque chose de significatif avec une valeur historique et patrimoniale, il faut maintenant, avant toute modification, soumettre le projet en amont aux autorités avec un devoir de respect à l’égard de l’environnement déjà bâti. Je dois dire que qu’il y a eu longtemps un grand manque de respect pour notre patrimoine et, à bien des égards, il y a eu beaucoup de réhabilitations réalisées par des cowboys (certains ne font que ce qu’ils aiment faire !), à tel point que beaucoup de gens sont frustrés aujourd’hui.
La réglementation ralentit souvent le début du chantier mais, cela dit, je suis certaine que ce n’est pas aussi grave qu’en Europe, en Angleterre par exemple.
Nous savons qu’à Johannesburg, il existe des problèmes de sécurité et de sûreté. Avez-vous à cet égard des spécificités pour construire des maisons ici ? En est-il de même dans tout le pays ?
Je pense qu’il faut se méfier du battage médiatique et que la réalité est beaucoup plus nuancée. Je pense aussi que chacun en tant personne est plus ou moins maître de ce qui lui arrive dans sa vie. Cela dit, si vous vous faites construire une maison, vous devez vous sentir heureux et en sécurité dans cet espace.
Plus largement, je pense que mon travail n’est pas nécessairement plus axé sur la sécurité que dans une autre partie du monde. Je pense que c’est une question d’attitude. Pour moi, plutôt que de concevoir des bâtiments à partir de la peur que je sais être parfois là, construire des bâtiments positifs, qui invitent les gens à se sentir à l’aise et bienvenus, est déjà un état d’esprit. Vous pouvez vivre toute une vie avec la peur, vous pouvez aussi mener votre vie à partir d’éléments positifs et de toutes les choses nouvelles qu’apportent l’ouverture d’esprit. C’est davantage la position à partir de laquelle je travaille.
Quelles sont les influences de votre Architecture ?
Quand j’étais à l’université, l’Architecture Islamique m’intéressait beaucoup car il s’agissait d’étudier quelque chose qui venait d’autres parties du monde, différente de la tradition Occidentale. Je suis toujours très intéressée par l’artisanat et l’architecture locale ou vernaculaire d’un lieu. Quand j’étais jeune, j’ai donc beaucoup voyagé, notamment en Inde et dans d’autres parties de l’Afrique. L’Architecte égyptien Hassan Fathy est pour moi un grand homme car, alors même qu’il était un moderniste, il a construit de beaux bâtiments en utilisant des méthodes très traditionnelles et a su établir un mouvement merveilleux entre les deux tendances. Plus récemment, mes centres d’intérêts se sont déplacés vers les architectes sud-américains qui font un travail intéressant.
Demeure la recherche sur ce qu’est l’architecture africaine. C’est un grand défi en général, en particulier pour les architectes travaillant ici dans le contexte de Johannesburg. Sur ce grand continent, il y a d’incroyables beautés esthétiques et une forme particulière de compréhension qui, pour moi, est la partie la plus intéressante.
Qu’en est-il de votre bureau et de votre équipe ?
Je pense que, ces dernières années, vu l’économie mondiale et l’humeur du temps, les choses se sont en quelque sorte décalées ou ont changé. Historiquement, j’ai eu une pratique qui a été largement féminine avec, au maximum, une dizaine de personnes de personnes à l’agence, dont moi-même. Historiquement c’est une industrie qui a été dominée par les hommes ; aussi je pense donc qu’il est précieux de remercier celles qui ont eu la gentillesse de tirer les capacités des femmes vers le haut.
Nous avons récemment quitté l’agence dont nous avions l’habitude, un espace que j’avais construit comme une maison mais finalement utilisé comme bureau. La coupe du monde, un évènement fantastique ici, est devenue un beau prétexte pour sortir de cet espace où nous étions depuis trop longtemps.
Maintenant, à l’agence, nous sommes plus au calme et moins sous les radars, mais l’année prochaine, sans vouloir en dire trop, nous allons être en mouvement, en public.
Nous travaillons en effet en collaboration avec d’autres agences d’architectes ce qui est un nouveau contexte pour nous. Il s’agit de collaborations fructueuses dans le cadre de marchés publics et cela m’intéresse beaucoup.
Propos recueillis par Carol Aplogan
Texte issu d’un entretien filmé, l’interview est visible dans son intégralité (sous-titrages français, anglais)
Voir le site de Carol Aplogan
Cet article est paru en première publication sur le Courrier de l’Architecte le 27 novembre 2013