Les faits divers, s’ils ne peuvent valoir généralité, possèdent toujours leur mystère propre. Il en va également de l’architecture. A l’heure de boucler cette troisième saison, Chroniques d’architecture revient vers une série de sujets finalement non réalisés alors que ce n’était pourtant ni l’envie ni les raisons qui manquaient. Voici donc les articles auxquels vous avez échappé depuis l’été dernier.
Balard pour toujours (41 ans au moins)
En février 2018, la Cour des comptes consacre un rapport à Balard, le nouveau ministère de la Défense, construit par ANMA, et au Partenariat-Public-Privé (PPP) qui en a permis la réalisation. Parmi les perles de ce rapport, la Cour note qu’en janvier 2009, soit avant le début du dialogue compétitif, la délégation pour le regroupement des états-majors et services centraux du ministère des armées (DRESD) a rencontré, à titre exploratoire, les trois principales entreprises de bâtiments et travaux publics françaises qui ont, par la suite, été candidates : Eiffage, Vinci et Bouygues Bâtiment Île-de-France. «Il reste», note la Cour, «que les principes de la commande publique impliquent une stricte égalité de traitement des candidats et prohibent ce type de contacts exploratoires». Bah tiens.
En substance, le rapport indique surtout que ce projet a coûté 1,5 Md€ de plus que prévu. Une paille ! Sans surprise, la Cour relève que les économies prévues avec ce PPP ne sont pas au rendez-vous et mets en avant un pilotage déficient de l’opération. «Les principes initiaux – l’autofinancement du projet par le ministère des armées, les ressources affectées au paiement qui devaient provenir des économies réalisées – n’ont pas été respectés», constatent les Sages qui relèvent qu’une dotation budgétaire spécifique pour un montant approchant 948 M€ sur la durée du contrat (33 M€/an), a dû être inscrite afin de contribuer à hauteur de 22 % au financement global.
Facture finale selon la Cour : le besoin total de financement (4,3 Md€ 2010) représente une redevance annuelle moyenne de 143 M€/an. Pendant 41 ans, faites le calcul.
On aurait bien aimé à la rédaction en faire un article puisque les PPP, en dépit des faits, continuent d’avoir leurs promoteurs. Comme en témoigne le TGI de Renzo Piano à Paris par exemple. Et puis le temps a passé.
Une surélévation amovible devenue pérenne
En juin 2017, le tribunal administratif de Paris avait annulé la désignation du lauréat de l’opération relative à la «sous-station Voltaire», une ancienne sous-station électrique, qui proposait cinq salles de cinéma et un restaurant. Le projet étant contesté par une association, la ville s’était défendue en expliquant que le projet était «amovible», ce qui nous avait bien fait marrer à Chroniques.
Le 15 mai 2018, après un an de procédure, la cour administrative d’appel donnait finalement raison à la mairie et à l’exploitant. Miracle, le restaurant de Thierry Marx n’a donc plus besoin d’être amovible. Bienfait de la justice sans doute.
On aurait bien aimé à la rédaction, pendant que le projet prenait un an de retard, discuter avec Olivier Palatre, l’architecte, de ce qu’il pensait de ce bâtiment immobile, puis amovible, puis non. C’est le genre d’histoire et de guéguerre qui doit finir par les soûler les architectes, non ? Et puis le temps a passé.
Bâtiment maudit, maudit bâtiment
Le 30 octobre 2017, le collège Claude Monet de Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne) a définitivement fermé ses portes pour raisons de sécurité. Quelques jours plus tôt, la chute de morceaux de béton de la façade dans la cour avait conduit le département à boucler l’établissement. Le Parisien (27/11/2017) précisait que, au printemps précédent, le toit de la cantine s’était effondré en raison de fortes pluies.
GTM, l’entreprise qui a construit l’équipement livré en 2009, assure ne rien savoir de l’effondrement du toit de la cuisine et se défend : «Ce sont de petits éclats de béton de 100 g qui sont tombés, pas des blocs d’1,5 kg. Des cailloux déjà présents dans la cour sont plus gros que ce qui est tombé dernièrement», indique l’entreprise. Patricia Leboucq, l’architecte, s’étonne également dans l’article cité de la décision drastique de fermeture du collège.
Renseignements pris, le 7 mars 2018, le conseil départemental a proposé la construction d’un nouveau collège définitif de 700 places. L’ancien collège Claude Monet sera rasé.
Patricia Leboucq, qui exerce en libéral depuis 1986, n’était pourtant pas une débutante en livrant le collège, qui n’était pas son premier équipement de ce type. Neuf ans la durée de vie du bâtiment ? Qu’est-ce qui a bien pu se passer ?
En attendant les résultats de l’expertise judiciaire, forcément longue et pleine d’éléments retors, quels sont les dessous de cette étrange histoire ? On aurait bien aimé à la rédaction discuter avec Patricia Leboucq pour en savoir plus. Et puis le temps a passé.
Du bruit et de la fureur
Plus étonnant encore cette histoire, dans une autre école, primaire cette fois, à Colombes (Hauts-de-Seine). Deux ans après son ouverture, un projet à 26 M€ de travaux conçu par Dominique Coulon, l’établissement a dû fermer et dispatcher ses 200 élèves dans les écoles voisines à cause de «sérieux problèmes acoustiques».
Chacun sait que l’acoustique, dans une école primaire, est un enjeu primordial et Dominique Coulon n’est pas un débutant non plus. De fait, la cause fut assez rapidement identifiée. Nulle erreur de conception mais une mauvaise mise en œuvre du plâtre projeté, matériel utilisé pour l’acoustique. «Ce plâtre mélangé à de l’eau, nous l’utilisons sans problème dans d’autres groupes scolaires. Mais là, il a été mal installé si bien qu’il s’avère cinq fois moins performant qu’il ne devrait l’être», précise Olivier Nicollas, l’architecte en charge du dossier, cité par Le Figaro (27/02/17).
L’entreprise a apparemment reconnu son erreur puisqu’elle a installé des panneaux acoustiques dans deux classes. Quid des 19 autres ? Aux bisbilles juridiques et compromis financiers aléatoires s’ajoutent les règlements de compte entre élus, la majorité ayant basculé entre-temps. De fait, c’est l’occasion d’apprendre que cette école est vraiment surdimensionnée puisque l’établissement, prévu pour 21 classes, n’en a jamais compté plus de 15, faute d’effectifs. Les mêmes désormais dispersés aux quatre vents en attendant les décisions des juges. Deux ans la durée de vie d’un bâtiment ?
On aurait bien aimé à la rédaction discuter avec Dominique Coulon de la façon dont un projet peut sans avertir partir en vrille. De la responsabilité de l’architecte, de celle de l’entreprise, de celle encore du maître d’ouvrage, il y avait là matière à un bon papier. Et puis le temps a passé.
Le jour d’après…
Le 1 juin 2017, l’AFP nous apprenait qu’un entrepreneur, un architecte, une agence immobilière et des propriétaires avaient été condamnés pour la mort d’une jeune femme suite, selon le procureur, à «une succession de fautes, bien au-delà de la simple négligence». L’effondrement d’un garde-corps défectueux avait entraîné la chute létale de la victime.
Pour cette succession de négligences et erreurs humaines, le tribunal a condamné l’architecte à un an d’emprisonnement avec sursis, l’entrepreneur intervenu en 2010 à 200 jours-amendes à 10 euros (2.000 euros) et sa société à 10.000 euros d’amende. Il a aussi déclaré coupable la société immobilière et lui a infligé une amende de 10.000 euros. Les propriétaires ont écopé d’une amende avec sursis. «Ces peines», précisent l’AFP, «sont plus lourdes que celles requises en ce qui concerne les amendes mais plus légères concernant l’emprisonnement : le procureur avait demandé 18 mois de prison avec sursis pour l’architecte et un an de sursis pour l’entrepreneur».
En tout état de cause, malgré la mort de cette jeune femme, ces peines sont suffisamment légères pour comprendre qu’il n’y avait nulle malignité de la part des condamnés. Mais là n’est pas le plus important. Je ne sais pas pour l’entreprise, l’agence immobilière ou les propriétaires de l’appartement, mais pour l’architecte ?
Comment réagir en tant qu’homme de l’art quand quelqu’un meurt dans votre bâtiment par votre (en partie) négligence ? Retourner le lundi à l’agence comme si de rien n’était et se plonger dans le travail ? Disparaître en Patagonie ? Changer de métier ? La peine infligée par le tribunal n’est rien. C’est le jour d’après que ça commence.
A la rédaction, nous aurions bien aimé décrypter plus avant les ravages et les conséquences quand cette peur immémoriale de l’architecte – que son bâtiment s’écroule – devient réalité. Et puis le temps a passé.
Règlements de comptes à OK Corral
Pour finir, une dernière histoire hallucinante. Le Parisien rapportait en juin 2017 que la maire de Cerny, Essonne, avait été «menacée de mort à propos du plan local d’urbanisme». Menacée de mort ? En tout cas, Marie-Claire Chambaret, édile depuis 28 ans, a reçu un courrier explicite : il contenait des balles. Il est aisé d’imaginer l’émoi de madame la maire. Mais enfin, qui peut bien lui en vouloir à ce point ?
Marie-Claire Chambaret a sa petite idée. «Quels intérêts dérange-t-on pour recevoir de telles menaces ?», s’interroge-t-elle. «Dans la lettre anonyme il est écrit que la mairie veut arrêter l’enquête publique et qu’on veut spolier des terrains sur un secteur de la commune», a-t-elle expliqué.
De fait le journal rapporte l’hostilité à la nouvelle version du PLU de deux associations mobilisées contre «une urbanisation sauvage de Cerny» qui organisent réunions, petits rassemblements et conciliabules. L’article raconte encore comment, il y a quatre ans, pour la première version du PLU, une voiture enflammée avait été envoyée sur le domicile de l’adjoint à l’urbanisme, lequel avait démissionné.
On aurait bien aimé à la rédaction aller explorer ce Far West essonnien, rencontrer ses habitants et élus terrorisés, défier ses gangs comme dans Gran Torino de Clint Eastwood. Les voyages à l’étranger sont toujours passionnants. Et puis le temps a passé.
Christophe Leray