Le 26 septembre 2018 signe le début de la contre-attaque d’Anne Hidalgo face à ses (nombreux) détracteurs avec la parution de son livre “Respirer”, un plaidoyer défendant une gestion approximative de l’espace public et surtout sa politique anti-voiture qu’elle impose aux Grands Métropolitains de tous poils et de tous bords. Entre une journée sans voiture et le Salon de l’auto, une bouffée d’air frais ?
Depuis quelques mois, l’élue socialiste de la mairie de Paris ne cesse d’essuyer des revers, dans la lignée d’une flopée de flops allant du fiasco du remplacement des velib’ à la piétonnisation hasardeuse des voies sur berges, en passant par une politique anti-voiture des plus autoritaires. Surtout qu’Anne Hidalgo a plus souvent été vue dans une grosse berline avec chauffeur qu’en trottinette. C’est comme si un joueur de foot se vantait d’aimer prendre le bus, le tout bien installé au volant de son 4×4. Faites ce que je dis, pas ce que je fais, mais surtout votez pour moi !
Dans les consultations lancées par la Ville de Paris ces derniers mois, les aménageurs enterrent avec entrain la mort de la voiture à essence en 2030. Plus aucun parking, même les voies de circulations automobiles sont sucrées, au prétexte que les politiques ont décidé la mort des véhicules moteurs.
C’est vrai que tous les Parisiens se déplacent uniquement à vélos et en trottinettes électriques, c’est bien connu. Les phrases sont bien tournées : «Quant à la boucle de circulation entourant le quartier, elle est maintenue pour la desserte en ‘zone de rencontre’ et se mue en un paysage à vivre». C’est beau comme du Victor Hugo ! Preuve de la pertinence du concept, le débat n’est-il pas aujourd’hui d’autoriser, ou non, les trottinettes électriques sur les trottoirs ?
Du haut de son clocher, Quasimodo compte pas mal de vélocipédistes en contrebas. Pourtant, la politique aux nobles objectifs menée par la ville de Paris pose question. Les habitants de l’Ile-de-France (ou du Grand Paris ou de la Métropole ou etc.), interrogés en amont des opérations urbaines font doucement remonter dans les sondages d’opinion la même rengaine : où sont les parkings ? Et comment traverser la ville d’est en ouest sans avoir à poser un demi-RTT ?
Bref, au pays des bobos à vélo, il subsiste encore quelques irréductibles qui ressemblent à Monsieur et Madame Toutlemonde et qui ne savent pas où ranger le tacot de fonction. Les SPP+ par exemple sacrifient la qualité de l’air, pour leur confort, d’autant que 80% des trajets sont le fait d’un seul individu*. Encourager le covoiturage c’est encore mettre à profit les bonnes volontés sans que cela ne coûte un Kopeck à la ville. Le bon plan !
Combien de personnes traversant chaque jour la ville en tous sens ne sont pas parisiennes ? Mettre en place un vaste plan antipollution, très bien, mais le lancer sans prendre en compte les presque cinq autres millions de Franciliens et leurs véhicules à ce jour indispensables, revient à vouloir écoper la Seine avec une cuillère biodégradable. Car si Paris peut s’imaginer sans auto, il n’en demeure pas moins que la ville la plus dense d’Europe fait figure de gros confetti au centre du Grand Paris. Les particules fines n’ont pas l’intelligence artificielle du nuage de Tchernobyl. Comment un Paris sans voiture pourrait être efficace si la banlieue n’en subit que les conséquences ? Passées les premières villes de la petite couronne, faire le choix de ne pas avoir de voiture, c’est relever un challenge quotidien dans des villes qui ne sont absolument pas pensées pour les pieds. A l’allure où se construit le nouveau grand métro, l’alternative aux trapanelles qui encombrent chaque jour les autoroutes franciliennes n’est pas pour demain.
La course à «la mobilité douce» n’est-elle pas aussi en soi une discrimination envers les non-citadins, contraints de vivre hors du centre ? N’est-ce pas culpabiliser ceux qui n’ont pas le choix ? En construisant des quartiers entiers sans voiture, ce sont de nouvelles frontières, sociales et culturelles, imaginaires et fantasmées, que construisent les édiles. Cela a le mérite de cantonner le tourisme dans l’hypercentre historique, de vendre la ville aux Trip B n’Booking et d’éloigner encore un peu plus ses habitants naturels.
La ville a mis deux siècles à s’adapter à la présence de la voiture et aujourd’hui le citoyen se réveille encore avec une bonne gueule de bois quand il tourne des dizaines de minutes pour trouver à encastrer péniblement sa mini-citadine entre un 4×4 électrique, les poubelles en attente d’être enlevées, un scooter de travers, le tout en évitant, le trouillomètre à 0, les cyclistes qui fendent l’asphalte le nez en l’air.
D’autant qu’au prétexte des objectifs de limitation des particules fines, le péquin n’a même plus le loisir de rouler dans une relative vieille guimbarde (même entretenue au cordeau). C’est l’équivalent des impôts qui imposent la déclaration sur internet ou la RATP qui dématérialise le ticket de métro sur smartphone. Celui qui ne vit pas que pour les nouveaux gadgets, celui qui n’a pas les moyens de changer de voiture tous les 10 ans pour une neuve, celui qui à son niveau lutte pour la planète en luttant contre l’obsolescence programmée des instruments… Bref la politique sans-voiture semble aussi se faire au détriment des moyens financiers de chacun et des convictions de tous.
Supprimer la voiture, c’est mettre le piéton sur le trottoir pour 1 km à pied, 2 km en trottinette, 4 km à vélo… Le Parisien, en bonne santé et peu encombré, aurait donc un espace vital bien réduit. Mais est-ce que la suppression de la voiture reviendrait à ralentir le temps et surtout à rendre un peu l’espace public aux citoyens d’un coup moins pressés ? L’espoir fait vivre !
Rappelons que la voiture, c’est-à-dire une caisse suspendue sur des roues reliées par des essieux, est une des avancées techniques les plus notables de nos sociétés urbaines. Elle a d’ailleurs rapidement posé la question de la gestion de l’espace qui lui était alloué, du comportement de ses utilisateurs et de la cohabitation avec les piétons et les autres engins sur les routes. Les querelles ne datent pas d’hier puisque le premier pamphlet anti-voiture fut édité en 1790, à Paris, justement, alors que la force motrice était celle des chevaux.
Son auteur anonyme mais fortement emprunt des idées des Lumières soulignait «que peuvent bien valoir la liberté de la presse, la tolérance religieuse, la suppression des prisons d’Etat si ‘on ne peut aller à pied [dans Paris] sans un danger perpétuel’ ? Alors que les hommes clament tout haut l’égalité des droits de tous, les habitants de la capitale continuent à être écrasés par les voitures». Il ne demandait déjà rien moins que d’interdire les voitures. Supprimez les dangers d’écrasement postrévolutionnaires et remplacez-les par «pollution» et «qualité de l’air», les revendications n’ont finalement que bien peu évolué.
Déjà, un autre courant voyait le jour à l’époque : aller à pied, ce qui était le symbole de la pauvreté, devint alors une mode courue des élites qui y voyaient une vertu opposée à la mollesse de ceux allant en voiture. La marche devient une pratique socialement valorisée pour des raisons d’hygiène corporelle, de clairvoyance de l’esprit, de contact avec le monde. Cela ne vous rappelle rien ? Discours immuable ?
Au XVIIIe siècle, la vitesse des engins a progressivement augmenté grâce à des améliorations d’ordre technique, les voitures s’allègent, les moteurs apparaissent leur permettant d’atteindre les 50 km/heure sur les boulevards. La ville dut enfin s’adapter en élargissant les rues, en important les trottoirs d’Angleterre, en alignant les portes cochères et les façades. La voiture transforme durablement le visage de la ville, jusqu’au boulevard périphérique.
De la même façon, la voiture automobile a pris tellement d’importance au cours du XXe siècle qu’elle en est même devenue incontournable. S’il ne fait aucun doute quant à la pollution induite par nos autos, supprimer purement et simplement les voitures intra-muros ne saura être une réussite si elle ne s’accompagne d’autres mesures comme la création de parcs de stationnement dont les tarifs ne s’approcheraient pas du prix d’une demi-jambe pour la journée. Anne Hidalgo reluquant néanmoins très souvent du côté du maire de Londres, Sadiq Khan, il ne faudrait pas qu’une furieuse envie d’un nouveau péage urbain ne s’impose à elle. Et pour le mettre où ce péage, juste à la limite du périphérique, comme ça les vaches seront bien gardées ?
En attendant, dès le mois d’octobre, les quatre premiers arrondissements parisiens seront rendus aux piétons le premier dimanche du mois. De quoi faire de jolies ballades dans un relatif calme ambiant. Cela aura-t-il les répercussions attendues sur l’environnement ? Rien n’est moins sûr mais cela fera de belles photos dans les journaux.
Et, d’ici là, les choses sérieuses auront repris puisqu’Anne Hidalgo est déjà annoncée au Salon de l’auto qui démarre en grande pompe le 4 octobre 2018. Elle s’y retrouvera en bonne compagnie avec nombre d’édiles qui, comme elle, promettent un monde meilleur. Elle y croisera sans doute encore un fort aréopage gouvernemental.
Alice Delaleu
* Sondage Ville de Paris réalisé en août 2017 sur 1.127 conducteurs traversant l’hypercentre.