Pourquoi l’architecture peine-t-elle encore à déplacer les foules ? Dimanche 21 octobre 2018 s’achevaient deux événements culturels d’importance. Tandis que la FIAC avait pris possession des plus prestigieux musées, les 3èmes Journées Nationales de l’architecture (JNA) drainaient leurs lots de curieux. Face aux 75 000 amateurs d’arts contemporains qui se sont rendus à la FIAC, les quelques milliers de passionnés d’architecture font pâle figure.
Quand la FIAC lance l’assaut, c’est pour s’emparer à grands coups d’œuvre d’art du Grand Palais, du Louvres, des Arts Déco, du musée du quai Branly, du musée d’Orsay, de la fondation LVMH ou encore du 104. Quand le ministère de la Culture organise les Journées de l’architecture, c’est à coups de hashtag (#LikerLaVille), de visites de chantier et d’ateliers Kapla.
La FIAC est peut-être internationale là où les JNA18 sont par définition nationales, quand même, d’aucuns ne peuvent qu’être époustouflés face à l’envergure de la 3ème édition de cette manifestation visant à promouvoir l’architecture en France ! Pourtant, la FIAC avait contre elle un ticket d’entrée à 38 € et une belle journée d’automne, presque printanière, quand les JNA avaient pour elles la nécessité d’une simple réservation et une belle journée d’automne, presque printanière.
Quoi qu’il en soit, si l’art contemporain reste encore intellectuellement peu accessible, le quidam un peu snob arrivera toujours à faire semblant. D’autant que, une fois passé les contrôles de sécurité, l’important était plus de dire «j’y étais» que de se cultiver. Pour se faire un avis, suivez l’entourloupe Banksy chez Sotheby’s ou Koons qui se prend pour le fleuriste du quartier. Sinon, qui était exposé dans les allées ?
Si l’art contemporain à un petit potentiel de machine-spectacle à fantasme d’argent facile pour le peu d’élus qui perceront un jour, l’architecture, au-delà des idées véhiculées par le cinéma ou dans les livres, fait beaucoup moins rêver. A grand renforts de polémiques concernant la Philharmonie de Paris ou les stades un peu partout en France, de lois bancales ou de projets criards, le citoyen lambda finira bien par comprendre qu’architecte, c’est un métier qui n’a pas que des bons côtés. Surtout, s’il aime à flâner du côté des nouveaux quartiers : s’il n’y connaît rien, il y a peu de chances que l’architecture lui fasse envie.
Si le Louvre Abu Dhabi ou le MUCEM devaient correspondre aux œuvres exposées à la FIAC, les multiples collectifs d’artistes sans le sou seraient alors à rapprocher de l’architecture du quotidien. Sauf que les lobbies de l’art ont cette faculté de donner à penser qu’un graffeur dans une friche-squat de banlieue peut être taillé dans le même bois qu’un Shepard Fairey, Larry Gagosian en moins dans le carnet d’adresses. Il est permis de regretter que la culture architecturale passe par le grand geste, souvent culturel soit écrit en passant. Ironie du sort, la FIAC exposait dans des lieux aux architectures plus que remarquables !
Il y a bien une raison à l’origine de la montée en puissance des artistes de rue comme Invader : l’art sort des galeries, il va vers son public, voire se crée son propre public. Combien sont-ils à idolâtrer JR quand aucun n’aura vu de ses yeux vus une œuvre de Christopher Wool par exemple ?
Quelle est la différence de regard que pose le même public sur l’architecture pour à ce point ne pas la voir, alors qu’à chaque moment de sa journée, l’architecture fait partie de sa vie ? L’une des raisons est que, plus que l’art sans doute, l’architecture dans sa fabrication demeure une grande inconnue pour beaucoup de gens. En effet, à l’école depuis le plus jeune âge, les arts plastiques sont encouragés et occupent une grande place dans l’épanouissement et l’enseignement des enfants et des ados. Pourtant l’architecture n’en fait pas partie. Grande absente des programmes scolaires, elle semble relever plus des considérations de l’ingénierie que des arts (Beaux-arts).
Or l’ingénierie est plus difficile à appréhender. Il y a donc dès le début une hiérarchisation de l’enseignement : l’art, surtout contemporain car d’aspect plus abordable, donne l’impression d’être potentiellement accessible à tous. Tandis que l’architecture reste pragmatique, difficile et nécessaire.
L’école et, plus généralement, les médias rencontrent d’ailleurs des difficultés à élever des bâtiments au-delà d’un statut lié à la quotidienneté. Pourtant la mode y parvient très bien depuis … 80 ans. Le vêtement est pourtant un attribut du quotidien plus encore qu’un bâtiment. Comment faire alors ressentir au grand public que la qualité architecturale passe aussi à travers l’architecture ordinaire, banale, celle de l’habitat et de la rue ?
Pour cela, quelques agences ont répondu à l’appel de l’Ordre des Architecte «d’ouvrir leurs portes». Passons rapidement sur le graphisme grutier choisi pour l’occasion, un tantinet peu attractif, pour se concentrer sur l’essentiel. Peu de portes ont effectivement été poussées, encore eut-il fallu pour cela que le péquin sache qu’il avait le droit de le faire…
Les JNA ont également été le prétexte à l’annonce du Grand Prix de l’architecture 2018. Ainsi, depuis vendredi 19 octobre, Pierre-Louis Faloci se sait récipiendaire de la plus prestigieuse récompense française, remise des mains de Franck Riester, ministre de la Culture fraîchement nommé. Il est notable que cet évènement n’a eu quasiment aucun écho dans la presse généraliste, laquelle n’a pourtant de cesse de présenter le dernier défilé de mode d’un tel ou d’une telle dans tel lieu «à l’architecture remarquable». Pour juger la hauteur de l’intérêt, considérer que l’annonce n’a donné lieu qu’à un encart, à peine, dans les versions en ligne de quelques magazines d’architecture, et encore pas tous car le communiqué est tombé un vendredi soir, veille de week-end de départ en vacances. Ca c’est du planning coco !
Faut-il alors s’étonner que les non-architectes ne savent pas citer d’autres noms que celui de Jean Nouvel et «celui qui a fait, tu sais, le grand bâtiment, à côté du cinéma, au métro BNF». A force de s’enorgueillir de constructions spectacle, le public a fini par ne plus se sentir concerné. Il est pourtant plus proche tous les jours de l’architecture que d’un manteau Maison Margiela.
Quand l’art contemporain est porté jusqu’à la lévitation par les musées internationaux, les grandes galeries et les riches mécènes, l’architecture souffre d’un manque criant de médiateurs et d’un manque d’ouverture un peu plus large que celle de l’entre-soi d’une pratique qui plus est souvent très métropolitaine.
La fréquentation de la Cité de l’architecture (250 650 visiteurs en 2016) est loin de celle du Palais de Tokyo (1 073 000 en 2016). Quant aux Maisons de l’architecture, même les architectes ne savent pas spontanément où elles sont. Restent ARC en Rêve et le Pavillon de l’Arsenal, aux budgets communication bien fournis, bien connu des étudiants des ENSA, lieu de rencontre des diplômés mais que les acteurs de l’immobilier ont encore parfois bien du mal à rejoindre sans GPS.
Depuis une dizaine d’années, les réseaux sociaux dictent les lois, font les carrières, lancent des personnalités, en oublient d’autres. Force est de constater qu’architecture et réseaux sociaux ne forment pas un ménage très audacieux et que la discipline manque cruellement de résonance virtuelle. Au mieux, Instagram et Pinterest tentent une fois de temps en temps d’émerveiller le ‘follower’ avec une photographie d’une maison somptueuse, perdu quelque part entre les plages colombiennes, la jungle indonésienne et les chutes Victoria. Et l’architecte dans tout ça ? Pour lui, pas de hashtag. Là encore, pour l’accessibilité du commun des mortels, il faudra repasser.
Reste à déterminer si la culture architecturale n’a pas seulement besoin d’un peu plus de visibilité plutôt que devenir un phénomène de culture de masse. Le tourisme de masse, le lectorat de masse, la culture de masse, quand ils sont mal encadrés peuvent rapidement polluer les débats et niveler la qualité par le bas…. Mais bon, la mode, ou la cuisine pour donner un autre exemple, ne s’en portent pas plus mal.
Enfin, notons qu’il est tout de même bien étrange de faire aujourd’hui appel à des opérateurs culturels pour installer dans les nouveaux bâtiments des «oeuvres d’arts» pour «créer du lien», comme si l’architecture, en tant qu’objet social autant qu’artistique et politique, ne pouvait se suffire à elle-même !
Contemporaine l’œuvre d’art, évidemment.
Alice Delaleu