Bienvenue à Corona City. A l’issue de la pandémie, la façon dont se construit la ville que nous connaissons aujourd’hui sera bouleversée, ou pas. L’effort exceptionnel promis par CDC Habitat pourrait à ce titre devenir, ou non, un manifeste de ce qu’il faut faire, ou pas. Explications.
Le 27 mars 2020, CDC Habitat – filiale immobilière d’intérêt général de la Caisse des Dépôts, premier bailleur de France avec 495 000 logements gérés – et In’li (groupe Action Logement) ont annoncé (Batiactu 30/03) un programme d’achats de 40.000 logements neufs, « un plan de soutien exceptionnel du secteur de l’immobilier ».
Des programmes seront ainsi « réservés et lancés auprès des promoteurs immobiliers par l’intermédiaire d’un appel à projets dans les douze prochains mois pour soutenir l’économie des territoires ». Il s’agit plus précisément de 15.000 logements locatifs abordables contractualisés, de 10 000 logements locatifs intermédiaires et de 15.000 logements sociaux.
Nonobstant le fait que 40 000 logements ne représentent que 10% de la production habituelle de logements chaque année, que la CDC, bras financier de l’Etat, propose un effort exceptionnel pour le logement, c’est sans doute très bien. La question est : quels seront ces « promoteurs » auxquels sera « réservé » l’appel d’offres ?
Ces 40 000 logements seront achetés en VEFA, comme c’est la règle désormais. Maintenant, si sous prétexte de soutenir l’industrie du bâtiment, il s’agit d’en donner 13 333 à Bouygues, 13 333 à Vinci, 13 333 à Eiffage et 1 à Demathieu Bard, chacun sait bien ce qu’il va se passer. Pour les livrer vite et préserver leurs marges, les Majors vont faire comme d’habitude – surtout qu’il y aura urgence – et vont presser leurs sous-traitants aux abois au sortir du déconfinement et s’asseoir sur l’architecture.
Que faire ? Comment faire ?
En juin 2019, nous nous posions la question de savoir si la réussite exceptionnelle du projet de la gare d’Auteuil – 400 logements, dont la moitié sociaux – dans le très chic XVIe arrondissement de Paris et réalisé par Anne Démians, Francis Soler, Rudy Ricciotti et Finn Geipel était reproductible ?*
Le principe est en effet relativement simple : quatre architectes, deux maîtres d’ouvrage (un public et un privé), 400 logements (plus une crèche quasiment cadeau), une seule entreprise. Illustration de la démarche : quand il s’agit de commander d’un coup 12 000 menuiseries pour quatre bâtiments, quatre architectes unis peuvent exiger de la qualité ! « Le premier vrai projet communiste de l’architecture », aime à remarquer Rudy Ricciotti. A condition que des architectes soient aux commandes.
Cette mutualisation des méthodes de construction par les quatre agences a permis de livrer en 2018 les 400 logements à 1 700€ /m², les prestations étant similaires pour tous les appartements, les architectes n’ayant pas pour autant été tenus de brider leur inspiration. Rarement logements sociaux ont-ils été finalement si bien acceptés dans le XVIe !
La conclusion de l’article était que rien n’empêchait l’exploitation de la méthode utilisée à Auteuil, cette réalisation ayant d’ailleurs donné lieu en 2019 à une exposition remarquée à la Cité de l’architecture, institution majeure et relais de l’Etat, justement intitulée… Eloge de la méthode.
Maintenant imaginons que dans Corona City, ces 40 000 logements, cet « effort exceptionnel » promis par CDC Habitat, soient divisés peu ou prou en 100 lots de 400 logements, sociaux pour moitié, et confié à 100 équipes de quatre architectes, chacune s’engageant, plutôt que de la laisser aux Majors, à reprendre et mener la synthèse du projet. Ces équipes ne seraient-elles pas, dans ce cadre, aptes à coordonner des PME qualifiées plutôt que laisser à d’autres la gestion d’une cascade de sous-traitants ?
Ces 400 architectes, dès lors qu’ils ont un peu d’expérience, sauront réfléchir et trouver des solutions pertinentes en fonction des contextes. Certes, les architectes de la bande des quatre du projet d’Auteuil ne sont pas des clampins mais la méthode est appropriable autant par les maîtres d’ouvrage que les maîtres d’œuvre et elle a démontré son efficacité : 200 logements sociaux d’un coup, tous au même endroit privilégié du XVIe arrondissement de Paris, et le maire du coin ne fait pas appel à l’armée ? C’est donc possible sans rien renier de l’intelligence.
Ces 40 000 logements deviendraient ainsi un manifeste de ce qu’il faut faire pour Corona City, une ville dense, socialement mixte, aux espaces partagés.
A l’inverse, dans Corona City, qui a besoin, vraiment, d’un bâtiment aberrant comme celui des 1000 arbres à Paris de Sou Fujimoto, dont le permis de construire est désormais purgé de tous les recours ? Même Vincent Callebaut n’y avait pas pensé ! Peut-être que, pour le coup, convient-il de cesser de Réinventer la ville, de Réinventer la promotion et de Réinventer l’architecture à tout va. Dans Corona City, qui sait ce qu’il adviendrait si l’Etat se découvrait soudain une stratégie et une politique globale de la ville plutôt que de laisser se propager comme un virus les concours de charges foncières ?
Mais bon, si sous prétexte que quand le bâtiment va, il faut arroser de milliards les habituels Majors de la construction et de l’immobilier pour sauver l’industrie française, Corona City offrira un visage connu, rassurant et délétère. Avec sans doute des centres commerciaux retrouvant une vraie dynamique : après tout, dans un centre commercial, tout est immédiatement sous la main et c’est devenu, durant le Grand Confinement, le seul endroit où sortir.
Christophe Leray
PS : Maintenant que nous savons que le déconfinement n’est pas pour demain, nous avons le temps d’y réfléchir. Vous avez des idées pour Corona City le jour d’après ? Quelles seraient vos priorités ? Faites-nous part de vos réflexions afin que nous puissions en envisager la publication (contact[at]chroniques-architecture.com).
*Voir notre article Auteuil : un projet exceptionnel est-il reproductible ?