A l’heure du déconfinement, à écouter ses élus, le pays entier semble se retrouver, pour paraphraser Céline, en transe de bêtise inquiète. Il faut dire, pour citer le même, que « les habitudes s’attrapent plus vite que le courage ».
Il est vrai que le principe de précaution était au départ destiné aux citoyens. Il est aujourd’hui réservé aux politiciens qui ne l’évoquent désormais que pour ouvrir si grand le parapluie que c’en est un parasol, utile aussi pour la canicule.
Tenez les cartes en rouge, orange et vert dont nous sommes désormais abreuvés.
Voyons. Un département peut être colorié en Vert Covid (pas de masque ni d’attestation obligatoire) et, « en même temps », aussi en Orange Inondation (attestation obligatoire pour les particuliers pour ne pas gêner la circulation des services de sécurité, masque obligatoire pour les fonctionnaires), en Rouge Pollen (masque obligatoire), en Orange + + Pollution de l’air (masque obligatoire pour tous), en Rouge Carmin pour les embouteillages (attestation obligatoire d’autorisation de circuler du véhicule), en Orange pour la Grippe saisonnière (masque obligatoire pour tous et confinement rigoureux à la première toux), en Vert gastro (masque non obligatoire et autorisation de circuler au-delà de 100 km), en Rouge Tempête + vitesse du vent ressenti (confinement obligatoire du lundi 16h au mercredi 8h, avec des variations locales en fonction de la vitesse de déplacement de la tempête : pas la peine de confiner Strasbourg à 16 h si c’est l’heure à laquelle la tempête touche Brest). Sans compter les Alertes Rouges Epandage Agricole.
Et le département juste à côté peut être « en même temps » colorié en Orange Covid, en Vert Inondation, en Orange Pollen, en Rouge Qualité de l’air, en Vert Embouteillages, en Vert Grippe mais Orange Gastro et Alerte Orage Orange.
Et le département juste à côté en Rouge Covid, en Rouge Inondation, en Noir grippe, Orange gastro, Rouge pollution, Noir embouteillages et alerte rougeole … (masques obligatoires mais introuvables)
Etc.
Sans carte, impossible de s’y retrouver ! D’où leur grande utilité.
Et puisque l’Etat déconfine en laissant l’initiative aux maires, des cartes aux couleurs pastel pour le chikungunya dans le Sud, en bleu azur pour la qualité de l’eau de baignade sur le littoral, en bleu pétrole pour la qualité de l’eau du robinet en Bretagne, en jaune vif pour une canicule ou en gris plus ou moins soutenu pour un déluge ici ou là, en jaune et noir pour le frelon asiatique, en brun pour la puce de lit, masques, confinement, désinfection et attestations obligatoires ou non selon les cas.
Bref, dans la vie post-Covid il faudra aux citoyens chaque matin bien étudier les cartes officielles pour savoir comment s’habiller, s’équiper et deviner là où ils peuvent ou non se rendre dans les heures à venir. Et gare aux distraits : la moindre amende c’est 135€ le ticket, plus d’un dixième de SMIC, pas moins.
Pour d’évidentes questions de sécurité, il faudra donc vraiment faire attention aux couleurs des cartes qui, évidemment, comme nous le démontre notre gouvernement, changeront chaque jour, voire heure par heure si la situation s’y prête.
A ce titre, pour que personne n’ait plus jamais peur de rien et comme l’étude des cartes peut s’avérer fastidieuse, je suggère de réhabiliter le système des sirènes et un dépassement de fonction des caméras et drones de surveillance. On entend les sirènes tous les premiers mercredis du mois à midi et tout le monde s’en fout. Qui croit encore aux raids aériens ?
Bref, faisons bon usage de ces sirènes. Elles pourraient chaque heure, à partir de 5 heures du matin par exemple, après une bonne Marseillaise, annoncer à la population les couleurs du jour du département, de la ville, du quartier. Pour chaque peur, son propre code, comme chaque phare possède son propre signal pour être reconnu de loin en mer, une sorte de code morse en somme, sans doute utile au civisme citoyen. Mais même cela serait sans doute encore trop compliqué : le temps que la population apprenne le morse…
Il suffit donc d’adapter ce principe et de remplacer les sirènes par des haut-parleurs. Toutes les caméras de surveillance et les drones de surveillance, lesquels font désormais également partie de l’arsenal qui nous protège, seront aussi dotés de haut-parleurs puissants.
Ainsi chacun, dès potron-minet, même sans smartphone, saura s’il doit se munir ou non des masques réglementaires (d’une durée de vie de quatre heures seulement) pour aller travailler et faire ses courses. Chacun saura tout de suite quelles attestations lui seront nécessaires et lesquelles imprimer avant de sortir – manquerait plus que la carte indique Journée Noire Pollen et ne pas avoir sur soi son attestation de non-allergie, ce serait ballot, surtout pour se prendre une prune à 135€. Chacun saurait encore s’il y a un risque d’inondation ou de chute d’arbre dans un rayon de 500 kilomètres.
Le citoyen ainsi dûment informé en permanence et en toute transparence, s’il lui arrive quoi que ce soit, les maires, les élus de la région, les députés, les ministres et les présidents n’y seront décidément pour rien. Car, vraiment, à coups de sirènes, de haut-parleurs et de messages numériques qui vous informent heure par heure de tous les dangers si vous sortez de chez vous, s’il vous arrive quoi que ce soit, sauf à être idiot, c’est bien de votre faute.
Je suis sûr que les assureurs ne rechigneraient pas à nous informer à coups de prêches dans les oreilles. « Mais dîtes-donc, mon brave Monsieur en réanimation, si vous vous étiez fié aux avertissements, pourtant claironnés sans discontinuer, vous n’en seriez pas là. Aussi nous sommes au regret de vous annoncer que votre dossier… etc. ».
Et puis quand même, il faudrait un code, une couleur chaude, pour les tremblements de terre, ce serait une façon sympa de rappeler chaque jour à la communauté des citoyens qu’ils n’ont vraiment que très peu à craindre le tremblement de terre, la carte d’un éclatant vert pomme semaine après semaine. Idem pour le tsunami, la carte Tsunami affichant pendant des mois d’affilée un beau vert émeraude sur tout le territoire, jusqu’aux Antilles et Saint-Pierre-et-Miquelon. Voilà quand même qui devrait chaque jour rassurer un peu l’humanité inquiète.
D’autant que, pour le coup, en cas de tremblement de terre, tous ceux concernés sont au courant quasiment en temps réel, sans Instagram (masques recommandés).
Le rapport à l’architecture ? Mais il est partout. Au regard désormais de la sécurité sanitaire des citoyens, de leur sécurité tout court, comme en témoignent ces cartes et ces fléaux toujours plus nombreux, tous les lieux d’enseignement, les stades, les théâtres, les cinémas, les tribunaux, les restaurants, les bureaux, les logements, etc. sont désormais obsolètes, leur conception caduque, voire dangereuse. Tout est à refaire !
Pour les architectes, du travail pour mille ans !
Christophe Leray