La 11ème biennale d’Architecture de Venise accueille jusqu’au 23 novembre 2008 les projets emblématiques d’architectes du monde entier. A cette occasion, quatre projets de la RATP ont été sélectionnés par le Pavillon français. Une reconnaissance qui vient souligner l’audacieuse politique patrimoniale menée par Rémi Feredj, maître d’ouvrage concerné.
Rarement un hommage est-il appuyé avec une telle brutalité. «Pour moi, l’architecte est un fournisseur», explique ainsi Rémi Feredj, directeur du département des espaces et du patrimoine de la RATP. Il n’en est pas moins sincère. Et si Rémi Feredj cache mal son étonnement de se retrouver en conférence de presse début septembre 2008 – «Nous ne communiquons pas beaucoup finalement», s’excuse-t-il – il sait tout aussi brutalement délimiter le périmètre de son intervention : «pour moi un bon maître d’ouvrage est celui qui fait un bon programme», dit-il. Et pour que son propos soit bien clair, il précise que «chez [lui], personne ne tient le crayon des architectes à leur place ou n’impose de choix de couleurs, de matériaux, etc.»
Il faut croire que «chez lui», les architectes se sentent bien. De fait, le directeur des espaces et du patrimoine de la RATP ne s’attendait sûrement pas à retrouver quatre de ses projets* (deux projets et deux réalisations) exposés à la Biennale de Venise (14 septembre au 23 novembre 2008) parmi les projets emblématiques d’architectes du monde entier.
Les mauvaises langues auront noté que trois des architectes exposés appartiennent au collectif ‘French Touch’, sachant que la scénographie du pavillon français a justement été conçue… par des architectes de ‘French Touch’. Sauf que le raccourci n’est pas pertinent ici. D’abord parce que Rémi Feredj se soucie des arcanes du pouvoir dans le petit monde de l’architecture comme de son premier ticket de métro. Ensuite parce que récompenser ainsi un maître d’ouvrage industriel, en prise tellement directe avec la ville que souvent il la crée, d’une exigence architecturale, urbaine et patrimoniale étonnante dans le cadre de projets extrêmement compliqués en tous points de vue, n’est pas de la malhonnêteté intellectuelle mais un éclairage bienvenu sur ce que peut être une maîtrise d’ouvrage ‘institutionnelle’ maîtrisée, intelligente et audacieuse.
«Un concours d’architecture ne coûte pas plus cher qu’une commande directe», assure Rémi Feredj. Et ces concours sont menés selon des règles extrêmement simples (jamais deux fois le même architecte par exemple, pas de tutoiement, ni ‘jeunisme’ ni star système). «Nous nous faisons un point d’honneur à ne pas connaître avant les architectes invités à concourir», dit-il. Bref, un vrai concours et un jury souverain où les collectivités locales sont conviées.
Ce n’est pas de la communication. En effet, en juin 2005, nous avions présenté la réalisation d’une extension d’atelier pour la RATP réalisée par une jeune agence** (Nomade – Matthieu Laviolle, Raphaël Chivot et Vincent Le Garrec) dont c’était le premier projet construit. Mais la conférence de presse se tient dans les bureaux conçus par Jacques Ferrier, face aux logements de Badia-Berger. Et outre les architectes présents à Venise et à la conférence – Philéas, Emmanuel Saadi, Eric Lapierre et Emmanuel Combarel (Marrec et Combarel) – la RATP a d’autres projets en cours avec Brigitte Metra, Stéphane Maupin, Alix Héaume (cabinet RH+), Nasrine Seraji… On en oublie sans doute. Et le «vivier» va s’élargir encore. Rémi Feredj insiste. «Nous recevons systématiquement tous les architectes qui le demandent», dit-il. Avis aux amateurs. Architectes astucieux ne pas s’abstenir. En effet, «c’est sur les projets que ça se complique».
Une explication s’impose. «La politique patrimoniale de la RATP a pour objectif premier de développer l’outil de production d’une des toutes premières entreprises de transport en commun au monde», explique Rémi Feredj. En effet, la plupart des centres-bus et la quasi-totalité des ateliers ferrés ont plus de 100 ans et la ville s’est développée et densifiée autour de ces installations, faisant de la RATP l’une des dernières entreprises industrielles présentes en centre-ville et dont les activités d’exploitation ne peuvent être délocalisées.
Mais la RATP, qui ne dispose plus de friches industrielles, doit satisfaire de nouveaux besoins qui nécessitent notamment des centres de commande de ligne de métro, de nouveaux espaces de remisage des bus, des ateliers de réparation modernisés, etc.*** Faute de terrains, elle doit «inventer des fonciers» en centre-ville. Elle y parvient en ‘viabilisant’ ce que Rémi Feredj appelle les «friches en volume», c’est-à-dire l’espace au-dessus des bâtiments et des ateliers/garages/parkings existants. En deux mots : des «superpositions fonctionnelles».
Pour financer le coût de telles opérations, qui vont de la simple extension à l’ouvrage monumental, la RATP propose d’étonnantes solutions qui consistent généralement, concrètement, en une valorisation des sites par la superposition ou la juxtaposition d’activités. Rue Desnouettes par exemple, parallèlement à la construction des locaux de l’unité opérationnelle et du poste de commandement centralisé de la ligne 12, 36 logements sociaux et 11 privés seront créés sur l’arrière de la parcelle, en collaboration avec Logis-Transports (filiale de la RATP) et l’Office public d’aménagement et de construction (OPAC) de la ville de Paris. Une manière efficace pour l’entreprise de financer ses investissements tout en participant à l’accroissement de l’offre de logements (le groupe RATP construit ainsi 350 logements sociaux par an, dont la moitié réservée à ses employés. NdA.) et au développement d’équipements publics (crèches, établissements scolaires ou sportifs…).
«Ces opérations, porteuses de mutations pour les quartiers concernés, entraînent souvent une reconfiguration profonde des grandes parcelles à usage industriel qui accueillent nos installations. Elles nécessitent un travail sur la qualité de l’insertion urbaine associant très en amont, élus locaux et riverains», explique la RATP. A charge pour les architectes de répondre à ces objectifs et de trouver «une façon dont on [la RATP] peut exister en soubassement dans un immeuble que l’on s’évertue à surélever», souligne Rémi Feredj. «C’est un maître d’ouvrage qui a le souci de la qualité architecturale et qui est sensible à l’impact de son bâtiment sur l’environnement bâti», souligne Anne-Charlotte Zanassi (Philéas).
Ce n’est rien d’écrire que les contraintes réglementaires, juridiques, financières et techniques de ces projets sont remarquables. Emmanuel Saadi par exemple s’est retrouvé avec une parcelle de 400 m de long et 10 m de large sur laquelle devait être préservée une voie ferrée de liaison entre l’atelier et la voie de la petite ceinture. En effet, si Rémi Feredj sait que cette voie ne sera pas utilisée dans les dix prochaines années, «qui sait ce qu’il en sera dans 50 ans», dit-il, rappelant au passage que le patrimoine dont il est ici question avait été constitué au XIXe et début du XXe siècle «dans le cadre d’une traction hippomobile». Un maître d’ouvrage qui s’inscrit dans l’adaptabilité de son bâtiment à un demi-siècle mérite d’être noté.
Les architectes de Nomade se souviennent quant à eux avoir dû trouver des solutions techniques permettant de minimiser l’impact du projet sur les ateliers existants situés en rez-de-chaussée puisque l’activité n’y a jamais cessé, ce qui est souvent le cas pour les projets de la RATP. Il y a donc une exigence de sécurité et d’efficacité fondamentale. «Construire est une gageure dans ce contexte», reprend Eric Lapierre.
Ces contraintes assumées, Rémi Feredj est ouvert à toutes les audaces architecturales, esthétiques et techniques. Philéas a pu transformer une impasse en rue, Eric Lapierre inventer un funiculaire en guise d’ascenseur, Nomade concevoir un bâtiment rouge, Emmanuel Saadi un bâtiment vert, etc. Car Rémi Feredj n’en doute pas. «La valorisation des sursols est l’occasion de questionner la forme et l’orientation que l’on veut donner à la ville, parce qu’une ville est faite de mixité, parce que la ville signifie la mixité qui la désigne comme ville en retour», dit-il.
Il se définit lui-même comme un «petit» maître d’ouvrage. Et sans doute, en regard de la taille de la RATP, son département n’est-il qu’un tout petit maillon de la chaîne. Mais au moins les visiteurs de la Biennale de Venise sauront, face à ces bâtiments, que Paris n’est pas (pas encore) une ville musée mais une ville vivante où industrie et architecture contemporaines ont (doivent avoir) leur place.
Christophe Leray
*- Un équipement RATP destiné au pilotage de la ligne 13 du métro (poste de commandement centralisé – PCC), à Malakoff, Cabinet Philéas architectes.
– Le nouvel équipement administratif du centre bus de Thiais, Emmanuel Combarel et Dominique Marrec architectes.
– Le poste de commandement centralisé (PCC) de la ligne 12 et 47 logements, rue Desnouettes Paris XVe, Emmanuel Saadi architecte.
– La restructuration du centre-bus de Montrouge qui s’accompagnera de la construction de 350 chambres de logements étudiants, Paris XIVe, Eric Lapierre architecte.
**Lire à ce sujet ‘Une extension d’atelier « pêchue » pour la RATP à Paris‘
*** Sur la politique patrimoniale et urbaine de la RATP, lire l’excellent texte (sans titre) de Rémi Feredj en introduction de l’ouvrage, édité par la SEDP (filiale RATP) intitulé Les Métamorphoses d’un immeuble industriel : le centre bus de Montrouge qui décrit le contexte des deux opérations menées à Montrouge par Eric Lapierre et l’Atelier Seraji. (www.sedp.com)
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 10 septembre 2008