A l’instar de ce qui se passe dans les agences d’architecture, une fois dépassé un atavisme séculaire, le télétravail dans le BTP est possible. C’est sans doute d’ailleurs la voie express vers la parité. Explications.
Entre télétravail, chômage partiel voire prime hélicoptère, petites ou grandes, les agences d’architecture ont traversé la crise du Covid sans trop de dommages. De fait, pour ce qui concerne le télétravail, elle se sont révélées d’une remarquable efficacité, à tel point que la vie de bureau s’en verra bientôt réorganisée, surtout pour les plus jeunes générations.
Ce qui pourrait d’ailleurs se traduire par pléthore de m² soudain disponibles à Paris. Il suffit pour s’en convaincre de constater que les webinaires de toute sorte se multiplient. L’exode du télétravail fera-t-il baisser les prix pharaoniques du m² de bureau en location à Paris ? Ce serait une première conséquence de la crise sanitaire.
Sauf que les agences d’architecture demeurent tributaires des entreprises qui, sur les chantiers, construisent leurs bâtiments. Et là, paraît-il, pas question de télétravail. Ainsi est-il argué – pour le déplorer ou s’en féliciter – que seuls les cadres peuvent profiter du télétravail, peinards dans leurs grands logements, tandis que les forçats de la nation doivent se coltiner un labeur dévalorisé, lequel serait par définition impossible à réaliser en télétravail. Mais est-ce vraiment le cas ?
Prenons un grutier par exemple. En voilà un qui, déjà entouré d’écrans, est confiné par métier. Pourquoi ne disposerait-il pas d’une grue intelligente pour édifier le bâtiment intelligent ? Sa grue bardée de caméras, il pourrait la diriger d’un petit cockpit installé dans son garage chez lui à la campagne. De chantier en chantier la grue se déplacerait, pas lui. S’il est bien équipé, cela ne fait aucune différence quant à la conduite de la machine. Entre le café et les croissants, une visioconférence de 10 minutes avec l’architecte à Paris et le contremaître à Pau et c’est parti !
De fait, quand on y pense, peut-être est-ce une forme de mépris de classe qu’il faille toujours autant de monde pour construire un bâtiment et qu’il soit estimé a priori que le télétravail y soit impossible. Prenez la construction bois par exemple dont les panneaux sont préparés en usine. Les matériaux rentrent d’un côté, sont déplacés par des tapis roulant au bon endroit, découpés aux bonnes dimensions par des machines à laser programmées à distance puis collés/cloués par d’autres machines pour être évacués sous forme de produit fini et emballé avec code-barres avant d’être directement distribué vers les camions à quai. Ce n’est pas plus compliqué qu’une usine de yaourts et cela fait longtemps que la fermière, elle, ne bat plus le beurre.
Du point de vue de la technologie, pour la fameuse construction bois donc, il n’y a là rien qu’un robot à moitié intelligent ne puisse réaliser en étant dirigé par un type en pyjama dans son salon à 300 bornes de là avec une sorte de console et des écrans dotés de jauges et de contrôles de sécurité. Pensez aux robots de l’automobile. En voilà plein de temps de télétravail disponible, à mi-temps même. D’ailleurs l’usine intelligente n’a même plus besoin d’un gardien pour éteindre la lumière.
De fait, rien n’interdit non plus aux routiers de télétravailler. Pourquoi seraient-ils les seuls à se faire chier loin de chez eux ? La technologie existe pour faire décoller de Paris et atterrir à New York un Airbus ou un Boeing sans pilote. Des militaires américains dans un sous-sol dans l’Arkansas pilotent des drone-bombardiers à l’autre bout du monde, pourquoi le routier ne pourrait-il pas piloter son camion depuis son salon ?
Arrivé sur le chantier, si la synthèse est parfaite et la maquette BIM efficace, le conducteur armé de ses manettes peut aisément manipuler le bras de son camion – ce doit être moins compliqué que celui de la station spatiale – pour, à l’aide d’équipements bardés de senseurs, décharger sa cargaison exactement, au millième de millimètre près, là où elle peut être manipulée et mise en œuvre par des automates. Des robots réalisent déjà les opérations de la prostate avec un meilleur pourcentage de réussite qu’un chirurgien humain, alors construire un bâtiment doit être à leur portée.
Sans plus personne que des machines pour construire l’immeuble, il s’agira sans doute d’un chantier d’une propreté exemplaire avec un très haut niveau de sécurité pour tous les acteurs du projet et chacun des employés puisqu’en télétravail ils demeureront, c’est le cas de le dire, à l’abri du danger. Il va sans dire que le télétravail dans le BTP réduirait singulièrement les coûts de construction tout en accélérant la vitesse et la qualité de la construction.
A noter d’ailleurs que ce serait une formidable opportunité pour le BTP d’arriver rapidement à la parité dans ses rangs, idem pour les routiers.
Science-fiction ? Gardons à l’esprit que l’innovation est souvent à chercher dans l’industrie militaire, laquelle après avoir conçu le drone a conçu le drone chasseur de drones. C’est-à-dire que dans le ciel du Moyen-Orient ou d’ailleurs combattent deux types, l’un chez lui dans l’Arkansas, entre deux parties de chasse, l’autre chez lui en Sibérie, entre deux parties de chasse. Il n’y a donc aucune raison que des ‘ouvriers spécialisés’ ne soient pas capables de diriger à distance par écran interposé une mini-armée de robots constructeurs développés par les Majors suite à la pandémie de 2020. Ce n’est qu’une question de temps et ce sera enfin l’avènement tant espéré du bâtiment industriel, aussi fiable qu’une voiture sortie d’usine.
Dans les appartements de ces immeubles du troisième type évidemment intelligents, il y aurait un espace télétravail pour les parents et un autre pour les enfants, ainsi à l’école comme s’ils y étaient. Les architectes et leurs bureaux d’études concevront facilement des systèmes automatiques de livraisons – pour la nourriture et les pièces détachées – comme cela se fait déjà dans les aéroports pour les bagages mais aussi dans les hôpitaux, les bibliothèques ou les pharmacies, ainsi que des systèmes tout à fait écolos de récupération des déchets, le lisier remontant directement sur le toit où les carottes sont arrosées automatiquement et intelligemment tandis que les poubelles bardées d’électronique seront manipulées par un ouvrier municipal intelligent travaillant en réseau à 800 km de là. Grâce au télétravail, en toute égalité, nul n’aurait plus besoin de sortir.
Les supermarchés sans employés physiques existent déjà, ainsi que les robots nettoyants. Si on oublie enfin le mépris de classe, il n’y a aucune raison que la femme de ménage ne pilote pas de sa cuisine les robots-aspirateurs de l’hôtel pour lequel elle travaille. Et pendant que tout le monde télétravaille, sans plus de lutte des classes, la nature est resplendissante.
Comme quoi dans le BTP, ainsi que dans tout plein de corps de métier auxquels nul ne pense de prime abord, le télétravail c’est possible !
En conclusion, voilà bien la démonstration que, dans le domaine de la construction et au-delà dans la société tout entière, même si c’est encore évidemment une question de génération, les architectes sont une fois de plus précurseurs !
Christophe Leray