Les communes rurales ont besoin de compétences et d’argent pour faire avancer leurs projets. Alors quoi de mieux qu’une interprétation des appels à projets urbains innovants (APUI) pour répondre à l’enjeu ? De fait, le premier Appel à Projet Rural Innovant (APRI) a dévoilé en octobre 2020 ses lauréats : des projets qui mettent en exergue un besoin de lien fort dans des territoires morcelés par l’habitat individuel.
Depuis 2016, la communauté de communes de Nozay, en Loire-Atlantique entre Rennes et Nantes, s’interroge sur son projet de territoires. Les sept communes qui forment la communauté connaissent un dynamisme démographique – presque 16 000 habitants, +2% environ par an – lié à sa situation géographique et à son paysage préservé de bocage.
Cependant, les habitants ne s’installent pas dans les centres-bourgs mais en périphérie. « Cette croissance rapide n’a cependant pas toujours été́ synonyme de qualité́ à la fois dans l’architecture et dans les aménagements urbains où la multiplication des lotissements (publics et privés) a pu participer à « banaliser » une partie du territoire. La production de logements tend par là même à produire une offre standardisée (maison individuelle en accession). Les bailleurs (sociaux ou autres) sont aujourd’hui peu intéressés pour réaliser des opérations d’envergure et innovantes sur le territoire. Enfin, cette croissance démographique n’a pas toujours bénéficié́ aux centres-bourgs (développement des hameaux), ni contribué au renouvellement urbain (projets neufs en extension) ». Le constat de la communauté de communes de Nozay est sans appel !
Bref, les maires sont à la recherche de nouveaux modes d’habiter où le logement n’est qu’une partie du programme et où l’attente de nouvelles convivialités est forte. Vaste sujet pour des territoires, non pas délaissés mais dépourvus de compétences ad hoc !
La communauté a mobilisé l’ingénierie de l’État pour définir son projet grâce aux Ateliers des Territoires, menés par la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) et l’ex-Commissariat général à l’égalité des territoires, sur le thème “Mieux vivre ensemble dans le périurbain” en 2016.
Les échanges et l’accompagnement du programme ont permis de travailler à la définition d’un projet de territoire à l’horizon 2030 basé autour de la valorisation du bocage, de l’accompagnement du développement urbain et de services de centres-bourgs, le tout avec un renforcement de la coopération intercommunale.
Le projet de territoire défini, reste sa mise en œuvre, avec peu de moyens, notamment pour repenser les modes d’habiter et développer une offre défiant la maison individuelle.
Dans le sillage des Réinventer, les communes rurales de la communauté de Nozay créent leur propre concours avec le recyclage de onze sites dont l’un intercommunal avec le circuit des sept étangs. L’APRI est lancé le 29 mars 2019 avec l’ambition de promouvoir des projets « innovants » en stimulant « la conception d’un habitat rural plus innovant, engagé, solidaire ; port[ant] une très grande attention à la programmation et à la mobilité́ dans une logique de confortement des bourgs ; affirm[ant] le renouveau du vivre ensemble aux côtés d’opérateurs professionnels ».
Onze sites, dont trois en binômes devant être traités ensemble, huit projets étaient donc attendus. Les parcelles proposées sont toutes en centre-bourgs ou en lisière du centre-bourg. Pour la majorité d’entre elles, il s’agit d’espaces à urbaniser. Seuls trois sites doivent tenir compte de l’existant, le garage Touloux à Nozay, la poste à Treffieux (en binôme avec un autre terrain) et la route de Nozay à Puceul.
L’ensemble du processus de concours est placé sous l’AMO d’Atelier George. Au terme d’un long processus, le 14 octobre dernier, les projets lauréats sont dévoilés. Au passage, deux sites ont disparu et deux sites n’ont pas trouvé preneur, tandis que le circuit des sept étangs est apparu. Ce sont donc six projets qui sont retenus.
Parmi les lauréats, des agences d’architecture « locales » ou fortement connectées au territoire et des opérateurs solidaires, tels Soliha, l’association Une Famille un Toit ou des nouveaux venus dans le panorama sur l’habitat inclusif comme l’association KŌYŌ ou la foncière HACOOPA. Le seul promoteur national lauréat est Nexity.
Alors qu’ils ont d’habitude de l’appétence pour les APUI, il faut se demander si l’absence des grands de la promotion est du à un défaut de rentabilité ou alors tout simplement s’ils sont incapables de se projeter dans la « solidarité » ?
En effet, et en raison de la demande d’« innovation » de l’APRI, les projets sont fortement engagés dans le vivre ensemble. Par exemple, la mixité intergénérationnelle est présente dans toutes les propositions d’habitat, que cela soit à Abbaretz (l’atelier d’architecture CARTOUCHE), à Pucel (les agences d’architecture Schirr-Bonnans, Gaudoin, Belenfant Daubas, Onziemeetage) ou à Vay (l’agence Sinopia). Quand les projets ne sont pas des lieux d’habitat intergénérationnel, ce sont des lieux participatifs, type jardins partagés (Vay, Tréffieux), lieux partagés (Abbaretz, Nozay) ou place du village avec une programmation intergénérationnelle (Pucel).
Point de start-up, d’espace de coworking ou de lieux culturels innovants dans cet APRI mais des projets qui retissent un lien social fort, avec des acteurs qui ne sont pas seulement impliqués dans la programmation immobilière mais qui proposent un accompagnement en sortie de projet. Les opérateurs présents ne sont pas là pour seulement bâtir mais seront investis à la sortie de l’opération.
Bien plus qu’un APUI parisien, c’est une nouvelle manière de faire un projet de territoire qui ressort de cet appel pas commun. La communauté de communes de Nozay n’a pas beaucoup d’argent mais a besoin du privé pour cogérer et animer ses espaces. Ce concours met en avant non seulement la capacité d’un territoire à se saisir des nouveautés programmatiques mais surtout sa capacité à sélectionner des projets qui amplifient le lien social.
La question demeure de savoir si les opérateurs choisis pourront réaliser leur projet, non pas face aux recours possibles, mais parce que le risque financier pour un opérateur solidaire peut être plus difficile à supporter. Il faudra sûrement qu’un partenariat nouveau se crée entre les porteurs de projet et la communauté de communes pour mobiliser des fonds. Mais ce concours, plus enthousiasmant que les Réinventer métropolitains parfois trop léchés de grands projets fourre-tout, remet au goût du jour l’envie de « faire territoire ».
Julie Arnault
Retrouvez les lauréats du premier Réinventer Rural de la communauté de communes de Nozay