Parmi les acteurs consultés pour la rédaction du rapport Sichel un grand absent, l’architecte. Mais a-t-il sa place dans le projet proposé ?
Le 17 mars 2021, le directeur de la banque des territoires, Olivier Sichel, a remis son rapport à Barbara Pompili, Emmanuelle Wargon et Bruno Lemaire, respectivement ministres de l’Ecologie, du Logement et des Finances. Ce texte, « Rapport pour une réhabilitation énergétique massive, simple et inclusive des logements privés »*, entend poser les bases d’une politique ambitieuse de rénovation globale et réfléchir sur le financement du reste à charge de celle-ci pour les ménages. Parmi les acteurs consultés, un grand absent, l’architecte, mais a-t-il sa place dans le projet proposé ?
Ce rapport vise notamment à mettre en mouvement la rénovation globale mais aussi et surtout le financement mobilisable. En effet, si des aides publiques existent pour la rénovation des logements, celles-ci imposent aux ménages de réfléchir, de définir et de réaliser leur projet de rénovation. Or, même si leur logement est inconfortable, les ménages ne pensent pas aux travaux, trop compliqués et parfois anxiogènes : Que faire ? Qui contacter ? Comment financer ?
Le Rapport Sichel propose en conséquence la mise en place d’un service « public » de la rénovation, qui mettrait en lien les particuliers avec des « accompagnateurs » de la rénovation, lesquels s’occuperaient à la fois du diagnostic, des artisans et d’aider les ménages pour obtenir des financements. Parmi les acteurs interrogés dans le cadre de la rédaction de ce rapport, les architectes sont absents. La raison principale ? Ils ne sont ni identifiables, ni audibles, ni crédibles sur le sujet. Cela fait beaucoup. Et pour les architectes le fait d’être rattachés au ministère de la Culture est plutôt en l’occurrence une circonstance aggravante.
Le rapport Sichel se base sur l’existant et questionne notamment l’accompagnement des ménages les plus modestes, ceux qui sont le plus à même de vivre dans une passoire énergétique et qui, de par leur précarité, sont les plus difficiles à convaincre de réaliser des rénovations ambitieuses. Il s’agit d’un public que ne touchent pas les architectes, sauf à travers le papier glacé des revues ou des émissions qui font rêver à l’inaccessible.
En proposant la création d’un « accompagnateur » de la rénovation, Olivier Sichel ne demande en effet pas un service nouveau, il propose d’amplifier le rôle de ceux qui exercent déjà, et souvent appelé des « opérateurs », tels Soliha, Urbanis, le réseau Hateo, etc. Ceux-ci sont engagés dans la lutte contre le mal-logement, pour certains depuis longtemps. Le mouvement Soliha est né d’une partie des PACT (Propagande et action contre les taudis) en 1942. Tandis que les architectes concentraient alors leurs efforts sur la reconstruction, les PACT avaient pris fait et cause pour la réhabilitation, notamment au profit des ménages précaires et locataires alors vivant dans des logements insalubres de centres-villes.
Ces bureaux composés d’architectes, d’économistes, d’énergéticiens, etc. travaillent avec les territoires et accompagnent les ménages modestes dans leur sortie de précarité, notamment énergétique. Leur accompagnement est également social et financier. Ils s’occupent notamment de mobiliser l’ensemble des aides disponibles pour alléger le reste à charge des ménages et trouver une solution financièrement possible. L’accompagnement dépasse les travaux et est aussi administratif. Le rapport Sichel propose juste de réaliser à grande échelle ce que les opérateurs réalisent déjà.
En revanche, laisser EDF ou la Poste devenir accompagnateur pose question : le conflit d’intérêts pour le premier et, pour la seconde, si les facteurs peuvent en effet avoir une ’compétence’ pour repérer les ménages ayant besoin d’aide, leur demander plus paraît inconcevable.
Le problème vient des architectes et des missions qu’ils souhaitent voir intégrer dans la rénovation, Denis Dessus, président de l’Ordre des architectes, entérine le hiatus. Il déclare en effet que les architectes sont « les seuls à même d’avoir une approche multicritère intégrant les questions d’énergie, d’écologie, de fonctionnalité, de santé et de valorisation du patrimoine. Nous demandons depuis des années que la maîtrise d’œuvre, conception et suivi du chantier, soit intégrée dans le coût des travaux éligibles à des aides publiques de la rénovation. C’est la seule condition pour une rénovation satisfaisante pour l’usage »**.
Il demande trop. Il veut des « rénovations à la Lacaton & Vassal », or la question de l’aménagement, de l’espace et de l’usage n’est pas financée par les aides. Devrait-elle l’être ? Oui, si on réfléchit comme un architecte, et que logement demande effectivement une réponse globale. Non, si on réfléchit comme un politique, qui habite à Bercy, et qui considère que le propriétaire de son logement, doit financer ses besoins notamment ceux considérés comme « esthétiques ».
Dans les budgets alloués à la rénovation globale – qui peuvent atteindre jusqu’à 60 000€ – à supposer les honoraires des architectes à hauteur de 10%, la somme atteint 6 000€ par rénovation globale, tandis que la mission d’accompagnement est en moyenne prise en charge à hauteur de 600-700€. Ce qui ne paraît pas rentable pour l’architecte.
A vouloir conserver l’art dans l’ouvrage, l’architecte ne rentre pas dans les cases des ministères concernés et joue hors-jeu, comme souvent. Le rapport Rivaton sur l’industrialisation en est un autre exemple qui remet la préfabrication au cœur de l’architecture, oubliant de se demander ce qu’il faut construire.
Julie Arnault
* https://www.banquedesterritoires.fr/sites/default/files/2021-03/RAPPORT%20sichel.pdf
** https://cities.newstank.fr/article/view/212260/renovation-accompagnateur-renov-existe-architecte-denis-dessus-president.html