Le 2 juillet 2021, nous apprend Le Monde (03/07), le tribunal administratif de Paris a annulé le permis de construire du projet Mille arbres au motif que l’opération était « susceptible de porter atteinte à la santé publique ». Dit autrement, l’ouvrage imaginé par les architectes japonais Sou Fujimoto et français Manal Rachdi – les mêmes auteurs d’une Folie à Montpellier – serait un bâtiment criminel !
Tout ça pour ça ! Chacun se souvient du ramdam des concours Reinventer Paris. Du ramdam pour les murs végétaux, du ramdam pour les toitures végétalisées, du ramdam pour les forêts urbaines. Ramdam, ramdam, ramdam. Et Anne Hidalgo qui traîne après elle comme une drôle d’erreur, elle qui sait tout par cœur.
Forêt urbaine ? En témoignent les 1000 arbres de Sou Fujimoto rasés d’un coup de tronçonneuse par la justice, laquelle a notamment estimé en substance qu’il était compliqué d’installer une crèche au-dessus de l’un des endroits les plus pollués de Paris – se souvenir qu’il n’y a plus de ‘belle journée’ à Paris : soit il pleut, soit il fait beau et il y a alerte à la pollution – et que les mille arbres – mille ! – à eux seuls ne pouvaient garantir la salubrité des lieux pour les petits enfants. Non que les autres usagers prévus ne soient à meilleure enseigne.
Un coup dur pour une candidate putative à la fonction suprême ? Á peine en vérité. Qui se souvient encore des Réinventer Paris qui devaient réinventer Paris ? Combien de projets sont sortis de terre ? Qui s’en préoccupe ? Á part bien sûr les syndics de copropriété qui se retrouvent avec les charges de maintenance des murs végétaux qui pourrissent sur pied.
Qui pour en vouloir aux maires de bonne volonté écologique ? Un artiste, Patrick Blanc, avait inventé un concept, comme le font les artistes. Il a fallu que Jean Nouvel le colle sur son musée du Quai Branly pour que Paris, et la France après elle, ne transforment un concept artistique un peu brumeux en vérité industrielle. N’a-t-on pas dit aux édiles que les murs végétaux, pour sauver la planète, c’était tip top ? Sans parler des forêts urbaines sans pareilles pour absorber le CO² du périphérique afin que l’on puisse y installer les enfants.
Résultat, beaucoup de bruit pour rien, comme dirait Shakespeare, sans que cela n’émeuve grand monde ni ne sauve personne. D’ailleurs, depuis l’annonce dans Le Monde, nul cri d’orfraie, pas de tribune enflammée pour défendre ce projet. Certes, chacun sait depuis longtemps que ce paquebot en forme de Titanic est compliqué à mettre en œuvre alors, au moment où la justice plante un clou dans le cercueil, finalement tout le monde s’en fout. Sou Fujimoto pourra toujours utiliser les perspectives dans ses expositions. Comme BIG avec les siennes d’EuropaCity.
Si encore la maire de Paris était une excentrique visionnaire de la planète Zorg, là où dire n’importe quoi est sans conséquence. Mais non, elle n’est qu’une représentante, parmi d’autres mais brillante en l’occurrence, de l’art moderne du moulin à paroles. Le pays ayant perdu ses girouettes, les réseaux sociaux et les sondages indiquent le sens du vent et le sens du verbe politique. Pas étonnant qu’Emmanuel Grégoire, le premier adjoint parisien, s’en tienne prudemment pour la capitale à ânonner des propos sur l’esthétique en guise de projet urbain. Pour le coup, le dire a remplacé le faire, repoussé aux calendes de l’oubli.
Qui par exemple, pour en revenir à l’architecture, se souvient des « quatre chantiers » annoncés en grande pompe en octobre 2019 par le nouveau ministre de la Culture Franck Riester ? C’était il y a moins de deux ans pourtant et, sur scène, le ministre jouait la comédie. Qui peut citer ne serait-ce qu’un seul de ces chantiers ? À part sa mère bien entendu, et encore…
Pour mémoire, le premier « chantier » était de « continuer à populariser l’architecture par l’apprentissage du regard ». Défense de rire. Le second visait à une « meilleure adaptation des formations et la modernisation des conditions d’exercice ». Quelqu’un a vu la différence ? Sinon, à part ça, les « premières Assises nationales des écoles d’architecture », cela vous dit quelque chose ? Ce qu’a annoncé le ministre, deux ans plus tard (et même bien avant), tout le monde s’en fout en somme.
Souvenez-vous encore de Françoise Nyssen, qui l’a précédé au poste et qui « [voulait] une architecture pour tous ». Elle aussi, en 2018, avait annoncé en grande pompe « deux chantiers ». Le premier consistait en un « travail sur le ‘désir d’architecture’, dont l’objectif est de consolider le rayonnement de la profession et sa reconnaissance comme levier de développement culturel, économique, social et environnemental ». Le second consistait en « un travail sur l’apport des architectes à la qualité de l’habitat ». Défense de rire à nouveau.
Comme quoi Anne hidalgo n’est pas seule sur Zorg. À se demander à quoi servent réellement ces gens-là. Des aliens ? Au moins Anne Hidalgo s’occupe des poubelles du mieux qu’elle peut. Et c’est toujours mieux que de jouer les apprentis sorciers. Ainsi du bois dans la construction partout. L’encre du nouveau PLU est à peine sèche que c’est la pagaille dans la filière bois mondiale, les prix qui montent et les chantiers qui prennent du retard. Le village olympique « tout en bois », il sera prêt pour 2024 ou tout le bois qui lui est nécessaire a-t-il été préempté par Notre-Dame ? Ils sont là les mille arbres, bucheronnés treize à la douzaine dans des forêts pas urbaines !
Le fait est que nous pourrions aisément nous moquer ainsi ad vitam aeternam en ressortant les vieilles professions de foi des candidats aux postes d’autorité. Mais les exemples ci-dessus datent à peine de quelques semestres et la volonté même de mener à bien les projets annoncés semble ne plus exister. Il n’est même plus question de faire semblant. Il s’agit juste d’effets d’annonce qui, rapidement inopérants, impliquent d’autres effets d’annonce encore plus extravagants et ainsi de suite. C’est ainsi que sous nos yeux ébahis nous sont vendues des forêts urbaines devenues plus importantes que l’Amazonie. Ce bout-là de la lorgnette est pourtant microscopique.
La loi ELAN en revanche fut rondement menée, les promoteurs s’en tapent encore sur le ventre de Bercy jusqu’à la banque.
Tout cela serait drôle si ce n’était pathétique. Hélas, apparemment, depuis le temps que ça dure,* ça marche encore. Alors soyons en sûr, avant que la justice ne s’en mêle à nouveau – la mairie de Paris a fait appel de la décision du tribunal administratif – un autre immeuble, de 10 000 arbres cette fois, saura lui bientôt dépolluer la ville comme par magie et les ministres de la Culture en France en auront quelque chose à fiche de l’architecture.
Ramdam, ramdam, ramdam…
Des « je t’aime » de quatorze-juillet
Des « toujours » qu’on achète au rabais
Des « veux-tu » en voilà par paquets
Écoutez le chahut qu’ils nous font…
Christophe Leray
*A lire ou relire notre série « Destins contrariés : Il n’y a rien de mieux pour flinguer une carrière politique qu’un poste de ministre de la Culture ».