Plus de 120 chefs d’État et de gouvernement étaient réunis à Glasgow le 1er novembre 2021 pour la 26ème conférence des Nations unies sur le climat, dite COP 26. Comme le remarque Stéphane Foucart dans une chronique publiée par Le Monde (30 octobre 2021), le président de la République, parmi de nombreux autres, compte avant tout sur des progrès technologiques pour faire face au défi du dérèglement climatique.
De fait, c’est comme les mini-réacteurs nucléaires d’Emmanuel Macron, désormais parés de toutes les vertus. Que nous en parlait-il cinq ans plus tôt, lors de sa première campagne ? Leur mise en œuvre serait peut-être aujourd’hui plus avancée que celle de nos fameux EPR siglés EDF… Mais non, il faut croire qu’il n’y avait pas encore réfléchi. En 2021, surprise parmi d’autres de la campagne, les mini-réacteurs donc ! Ce qui est logique puisque le parti pris a été de se lancer tête baissée dans la 5G, l’automatisation à tout crin et la voiture autonome. Les besoins en électricité seront tels dans la start-up nation qu’il est bien temps d’y penser aux mini-réacteurs !
Surtout la technologie à la sauce politicienne n’est plus qu’un pis-aller, un rêve fumeux à la Elon Musk qui entend coloniser Mars. Hahahahaha ! Cette course à l’échalote ne fait en réalité que refléter la puissance des lobbies et l’impuissance des gouvernants réunis à Glasgow à affronter la réalité.
Par exemple, le déclin des abeilles et autres insectes pollinisateurs et ses conséquences catastrophiques ne sont pas plus à démontrer que le dérèglement climatique. À tel point qu’en Chine, la pollinisation se fait déjà à la main, à l’aide d’une main-d’œuvre au garde-à-vous et payée au lance-pierre. D’autres pays, plus développés, sont en train de fabriquer des abeilles-robots, chef-d’œuvre de technologie qui auront certes besoin de centaines de satellites pour fonctionner toutes ensemble et qui pour autant ne sauront pas faire de miel ! Préserver les abeilles pour bénéficier de ce qu’elles font gratuitement en éliminant les pesticides, notamment, est évidemment plus compliqué.
D’ailleurs la course folle à la technologie n’est-elle plus désormais qu’un cruel aveu de faiblesse ? Voyez le Japon, qui a fait le choix de la technologie et de la robotique pour compenser la diminution et le vieillissement de sa population. Confrontée à la même problématique, Angela Merkel a permis à un million de réfugiés de s’installer. Quatre ans plus tard, ces derniers pour la plupart parlent allemand et sont désormais formés. Du Japon ou de l’Allemagne, qu’elle économie sera la plus forte en 2030, 2040, 2050 ? Sauf évidemment à préférer un humanoïde pour seule compagnie.
La technologie vantée par Macron et consort est donc comme ces robots-dauphins développés pour poursuivre les spectacles de Disney World, une solution courageuse qui permet de se dédouaner de la disparition des cétacés. Qui veut libérer Willy si Willy est une machine qui sent l’huile ? La technologie n’est plus alors qu’un succédané de la réalité, une stylisation stérile, comme l’hologramme de Jean-Luc Mélenchon. Même la politique est devenue virtuelle. Jusqu’à ce que, évidemment, elle se fasse rattraper par la réalité, comme un bout de ville qui s’effondre dans la rivière ou un bout de côte qui disparaît. Alors va pour une technologie qui permet de balancer je ne sais quoi dans l’atmosphère pour la rafraîchir ? Bienvenue au bal des apprentis-sorciers.
C’est sûr que pour les habitants de la start-up nation, sans technologie, surtout intrusive et liberticide, le bon sens, c’est compliqué.
Voyons pourtant l’exemple des deux collines de Lyon, la Croix-Rousse et Fourvière désormais confrontées à des risques importants sinon vertigineux de glissement de terrain. Ces risques sont connus depuis belle lurette, en 2 000 ans que les habitants, à l’instar des nombreux couvents de Fourvière, ont développé un réseau de canalisations, de citernes et de puits nécessaire à l’alimentation en eau des quartiers, le tout formant un réseau de galeries souterraines de grande envergure. (L’influx, Le webzine de la bibliothèque municipale de Lyon. 25/11/2016)*
La composition géologique de la colline de Fourvière est faite de surface de sables et de graviers glaciaires qui laissent s’infiltrer les eaux de pluie, retenues en profondeur par une couche imperméable d’argile verte. Trop d’eau et le gravier roule sur l’argile, et c’est un pan de colline qui disparaît dans la pente. De fait, les habitants de Condate et Lugdunum n’ignoraient rien de la nécessité de drainage de ces eaux souterraines, à tel point que les Romains construisirent un double réseau souterrain aquifère : une série d’aqueducs et de réservoirs pour l’approvisionnement en eau et un second réseau de galeries servant au contraire à évacuer l’eau infiltrée dans le sol poreux de la colline. Ces galeries romaines, les plus anciennes, sont celles qui posent aujourd’hui le moins de problèmes de consolidation, certaines portions pouvant même être conservées en l’état. Elles ont en effet tenu ainsi pendant des siècles, la Croix-Rousse et Fourvière pourtant bâties à l’envi.
Puis des pompes ont permis le développement du réseau public de distribution d’eau, bientôt imposé partout pour des raisons de sécurité sanitaire. Les puits et galeries ont cessé d’être entretenus, se sont obstrués, l’équilibre aquifère du sous-sol a été perturbé, l’eau s’accumulant sur la couche argileuse. En novembre 1930, Fourvière connaît la pire catastrophe de son histoire, un affaissement de terrain faisant 39 victimes.
Les galeries sont alors redécouvertes, les diverses énigmes de leur existence résolues au fil des décennies. En effet, depuis cet évènement tragique, les études géologiques et archéologiques n’ont plus jamais cessé et, depuis la fin des années 90, la Ville de Lyon, consciente que la plus petite perturbation de l’équilibre du sous-sol peut engendrer une nouvelle catastrophe en surface, a entrepris la rénovation (lente) de ces galeries. Pour l’anecdote, comme le souligne l’article de l’Influx, c’est à la suite de travaux de drainage des eaux sous le jardin des plantes que fut découvert en 1957 l’amphithéâtre des Trois Gaulles.
Mon idée est que ce que les Romains avaient déjà compris, au point d’entreprendre d’importants travaux souterrains pour garantir leur bien-être et leur sécurité, il nous faut en 2021 le redécouvrir à grands renforts d’ordinateurs surpuissants et d’études coûteuses. C’est peut-être le bon moment en effet pour les grands de ce monde réunis à la COP 26 d’imaginer que le grand saut technologique dans le vide n’est pas forcément la seule solution.
Remettre d’aplomb le réseau aquifère des collines de Lyon, non seulement ça urge si on ne veut pas retrouver la Croix-Rousse dans le Rhône mais c’est l’occasion de réfléchir plus largement à la question de l’eau afin d’acquérir (réacquérir) un nouveau savoir-faire, pragmatique et pratique. Parce que la problématique de l’éboulement, de l’affaissement et de la coulée de boue dévastateurs, avec les pluies diluviennes qui s’annoncent, n’a pas fini d’être un sujet, à Lyon et partout ailleurs. Et voilà qui concerne la vraie vie des vraies gens.
Ce pourrait être également une bonne idée de réapprendre à récupérer l’eau quand elle tombe en trombes afin de pouvoir irriguer les champs quand il ne pleut plus. Avant même les Romains, les Nabatéens, avec leur bite et un couteau, en récupérant l’eau d’orage très loin dans la montagne étaient parvenus à fertiliser le désert à Petra. Et il faudrait que nous en soyons désormais incapables au XXIe siècle ? Et d’aucuns, grands de ce monde, prétendent coloniser Mars ?
Certes, nos récents prédécesseurs ont su mettre en place d’énormes usines de traitement de l’eau, à Achères ou Saint-Germain-en Laye pour le SIAAP par exemple dont des architectes contemporains poursuivent la construction et la maintenance. Mais ces ingénieurs très urbains s’appuyaient alors sur un principe simple : la pente. Et croyez-moi, des déjections des Parisiens, les maraîchers bios avant l’heure s’en portaient très bien.
Aussi, à l’heure de la dernière COP en date, avant de se précipiter pour faire l’intéressant vers les dernières innovations à la mode et autres technologies révolutionnaires censées sauver la planète, en regard des déluges annoncés, ce pourrait être pas mal ici en France de s’appuyer déjà, « en même temps », sur l’intelligence des Romains et des Nabatéens plutôt que sur un frigidaire ou un appartement intelligents !
Christophe Leray
*Pour tout savoir sur le sous-sol de la Croix-Rousse et son étonnant réseau de galeries, lire l’excellent article Les souterrains de Lyon – Le patrimoine invisible de Lyon.