La Fédération Française du Bâtiment (FFB), le lobby des constructeurs, alertait fin octobre 2022 dans un communiqué de la baisse des ventes dans le logement et redemandait, encore et toujours, des aides pour soutenir la production. L’injonction est pourtant au ZAN et à la fin du modèle individuel du logement ! Ne faudrait-il pas que les architectes prêts « à réparer » nos villes se mettent à réfléchir à une efficace forme de lobbying ?
Dans l’immobilier, les gentils promoteurs et les gentils représentants de la gestion immobilière sont alarmés sur l’état du logement et de sa construction. Le 10 octobre, la FFB et son pôle habitat, la fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), la fédération des promoteurs immobiliers (FPI), l’union nationale des aménageurs (UNAM) et les architectes de l’UNSFA dénonçaient le coup d’arrêt porté à l’immobilier à cause du PLF 2023.
Déjà impactés par la crise des matériaux et les surcoûts engendrés, les professionnels du neuf s’effarouchent : « le marché du logement collectif neuf s’effondre déjà (les mises en vente ont chuté de plus de 15 % au premier semestre 2022 par rapport au même semestre de 2021 selon l’observatoire FPI) tandis que les investisseurs institutionnels se retirent (-33 % pour les ventes en bloc sur la même période selon les données officielles) ». Plus loin, les mêmes de rappeler que les ventes de logements sont également en baisse : « les ventes de maisons s’effondrent déjà de 27% en glissement annuel sur les huit premiers mois de 2022 selon le Markemétron et les ventes nettes de logement collectif aux accédants reculent de 7% au premier semestre 2022 », et Grégory Monod, président du pôle habitat de la FFB, de parler de « catastrophe industrielle » pour le secteur lors d’une conférence de presse le 20 octobre.
Pour faire face, ceux-là alertent sur la dangerosité du PLF 2023, soit le projet de loi de finances débattu en ce moment à l’assemblée et où tout amendement adopté est contrecarré par les 49.3 du gouvernement, qui choisit ou non de garder ce qui a été voté. En l’état, ils dénoncent entre autres la fin du dispositif Pinel, le rétrécissement du PTZ – prêt à taux zéro -, la fin de la TVA à 5,5% sur les travaux induits dans la rénovation énergétique, le taux d’usure pour l’accession au crédit immobilier qui bloque les ventes, l’augmentation des loyers bloquée à 3,5% pour les bailleurs.
Bref, unis autour de mesures financières, ces indignés sont toujours les premiers à dégainer pour alerter du peu de soutien apporté à leur secteur. De leur point de vue, l’économie prévaut sur la qualité et les enjeux de la transition écologique. Ce qu’ils demandent avant tout est de construire plus, plus de neuf, plus loin, et partout. Ils sont aussi remontés contre le ZAN, Zéro Artificialisation Net, dont ils craignent que cela ne remette en cause leurs projets.
Ceci serait dérisoire si nous ne traversions pas une crise écologique qui demande à tous les acteurs de la filière un profond changement de méthode. Par ailleurs, cela n’empêche pas Vinci, Bouygues, Eiffage et autres d’annoncer des chiffres d’affaires en hausse : +36,2% de résultat net pour Eiffage au premier semestre, dont +5,1% pour la construction et +7,5% pour son chiffre d’affaires sur la branche immobilier ; +26% pour Vinci dont +14% pour la construction, notamment avec des projets internationaux ; +6% pour Bouygues porté également par l’international sur la construction (+6%) tandis que le pôle BTP accuse une baisse de 5% et de 12% sur l’immobilier.
Ce qui est paradoxal dans l’avalanche de leurs exigences, logiques pour des acteurs économiques avant tout, est que cette approche est basée sur la construction neuve et ne concerne presque en rien la réhabilitation. Si tant est que « réparer la ville » soit le nouveau totem porté par Christine Leconte, présidente de l’ordre des architectes, il aurait été plus productif que la profession s’organise et propose des solutions pour porter cette ambition. Cela passe par un travail de lobbying, notamment autour du PLF, qui pourrait soutenir le tournant pourtant souhaité vers la réhabilitation.
Alors que les architectes tentent d’ouvrir moult débats sur la qualité de vie, de réfléchir non pas sur les fonctions mais les usages, de penser à des financements innovants et montages opérationnels audacieux, de redonner envie de vivre en ville, etc., jamais, oh grand jamais, cela ne se traduit par des outils législatifs ou des propositions de loi à défendre devant les ministres. La tutelle du ministère de la Culture n’aide certes pas mais pourquoi ne pas résolument défendre la nouvelle position de la profession ?
Si tant est que l’Etat veuille accompagner un renouveau, notamment dans le logement existant, peut-être pourrait-il par exemple lutter contre le fantasme de l’« architecte qui coûte cher » par un crédit d’impôt par exemple ? Indolore pour la profession, il peut être utile pour convaincre les particuliers d’avoir recours à un.e architecte pour améliorer leur logement. Si tant est que la profession soit reconnue pour l’accompagnement des particuliers pour la rénovation énergétique, l’aide publique forfaitaire ne parviendra jamais à absorber les honoraires, et encore moins les travaux qui seront liés au réaménagement, à l’optimisation de l’espace ou son extension. Cependant, couvrir les éléments complémentaires par un crédit d’impôt pour les architectes pourrait être à la fois peu coûteux pour les finances publiques et bénéfique pour le positionnement et la reprise de la profession, sur un positionnement nouveau.
Par ailleurs, pourquoi ne pas accompagner le réemploi avec des solutions économiques permettant à cette filière de se développer. Les propositions des architectes existent mais ce ne sont pas les industriels qui vont pousser dans ce sens. En attendant, les aides à la rénovation ne portent que sur un cadre normatif, relativement rigide pour le dire gentiment, et ne favorisent aucunement des solutions issues du réemploi ou de réhabilitation alternative. Ne pourrait-on pas pourtant imaginer une TVA à taux zéro pour favoriser le recyclage de matériaux ? Des matériaux déjà soumis à la TVA lors de la construction ou première utilisation ne pourraient-ils pas en être exonérés en cas de nouvelle utilisation ?
Au-delà des discours, comment se fait-il que les architectes et leurs représentants ne parviennent pas à faire de la profession un acteur économique en soi ? Les changements nécessaires dans le secteur de la construction et de la réhabilitation ne peuvent être portés uniquement par un discours incantatoire et des ouvrages avec des listes de propositions sympathiques mais aussi par des propositions les rendant attractives dans leur portée économique.
Rendre de nouveau désirable l’architecture, nécessaire en pleine crise climatique, ne passera que par des idées concrètes aptes à réconforter Bercy. Peut-être qu’au-delà du seul effet d’aubaine pour la réinvention de la profession, celle-ci mériterait de mieux articuler propositions et actions pour redevenir crédible aux yeux des pouvoirs publics.
Julie Arnault