Pour le Conseil de l’Ordre des architectes d’Île-de-France, les marchés globaux en hausse négligent l’intérêt public de la qualité architecturale au profit d’une vision de court terme des seules performances techniques. Tribune.
Urgence énergétique : pour la qualité de l’architecture, les marchés globaux ne sont pas la solution
Une fois de plus, nous sommes soumis au régime de l’urgence. Aller vite, prendre tous les raccourcis, mobiliser toute la société autour de la transition énergétique, voilà l’urgence des urgences, personne n’en doute.
L’immense majorité des bâtiments de 2050 étant déjà construits, c’est bien sur l’existant que l’action sera la plus fructueuse pour le climat. Au risque de dégrader nos villes et notre cadre de vie par l’usage précipité de solutions techniques inadaptées, telle que la systématisation de l’isolation thermique par l’extérieur, la transformation des constructions ne peut se faire sans placer l’architecture au centre de nos préoccupations. D’ailleurs, le code de la commande publique qui intègre en son sein l’ancienne loi MOP ne s’y trompe pas en plaçant les architectes au cœur du dispositif du projet architectural, via le concours de maîtrise d’œuvre.
Pourtant, les marchés globaux, tendanciellement en hausse (cf. le dernier rapport trimestriel de la MIQCP) mettent de côté l’intérêt public de la qualité architecturale, au profit d’une vision de court terme des seules performances techniques.
Certes, « l’acheteur public », pense y trouver son intérêt. Bien souvent démuni en termes de moyens humains, il espère un gain de temps lié à un interlocuteur unique. Le rapprochement des équipes d’études de conception et des équipes travaux, représente aussi à ses yeux une garantie d’adaptation optimale de la conception à l’outil de production.
Encadrés par les critères prévus à l’article L.2171-2 du CCP pour les marchés de conception-réalisation ou aux objectifs de performance précisés à l’article L.2171-3 du CCP pour les marchés globaux de performance, pour la maîtrise d’ouvrage publique, ils représentent surtout une forme d’assurance de bonne fin d’opérations.
Pour autant, ceux-ci présentent de nombreux travers.
Commençons par les conséquences négatives sur le tissu des PME d’un recours systématique aux entreprises générales qui concentrent la commande.
Regardons aussi les finances publiques, avec un bilan qui va vers un renchérissement général des opérations, y compris sur les coûts de maîtrise d’ouvrage qui multiplient les AMO externes pour suivre et gérer ces marchés, juridiquement complexes.
Interrogeons le bilan pour les économies locales, puisque l’argent public investi, c’est-à-dire l’impôt versé par les contribuables, part alors vers de grandes entreprises extra-locales, au détriment de l’emploi et des territoires.
Soulignons aussi que les maîtres d’ouvrage contractualisent trop souvent ces marchés sur la base d’un seul avant-projet sommaire reléguant le développement ultérieur du projet architectural au bon vouloir de l’entreprise mandataire.
Que dire de l’accès à la commande publique pour les jeunes agences d’architecture qui sont exclues de ce type de marchés, comme le sont également nombre d’agences de taille moyenne ? Que dire enfin, de la solitude des maîtres d’ouvrage qui ne bénéficient pas des conseils de l’architecte assermenté, l’entreprise mandataire étant leur seule interlocutrice ?
L’élargissement du recours à ce type de marché, y compris pour des projets publics de petite taille, nous conduit à dénoncer les tentatives de systémisation quant aux projets de rénovations énergétiques.
Il est pourtant urgent de profiter de cette volonté politique de réhabilitation énergétique pour concevoir et construire des projets de qualité.
Sujet majeur de la ville de demain, la rénovation énergétique ne doit pas être envisagée sous l’angle unique de la performance technico-économique de court terme, laissant de côté la beauté des villes, leur valeur d’usage, leur valeur patrimoniale de long terme, leur valeur culturelle et affective, leur valeur écologique.
Chaque occasion de transformation doit permettre systématiquement l’amélioration du cadre de vie. Permettre aux architectes d’exercer pleinement leur métier, c’est répondre aux attentes urgentes et renouvelées des habitants en termes de qualité de vie.
Dans l’intérêt général et dans celui de la qualité de notre cadre de vie, le Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France fait état de trois propositions :
• Réaffirmons le devoir de conseil de l’architecte Le devoir de conseil fait partie de notre code de déontologie, il faut en préserver les conditions d’existence, pour cela, rétablissons la relation directe entre l’architecte et son client comme essentielle, ne la remettons pas en cause.
• Plaçons l’architecture au centre de la rénovation énergétique. L’architecte est le seul à même de garantir, comme le lui confère la loi du 3 janvier 1977, pour le public, les arbitrages nécessaires à l’élaboration d’un projet architectural acceptable par tous.
• Réaffirmons le concours de maîtrise d’œuvre. Plus que jamais, il nous faut maintenant faire vivre l’article 5.1 de la loi de 1977 qui encourage le recours aux concours de maîtrise d’œuvre et l’appliquer au champ de la rénovation énergétique : « Les maîtres d’ouvrage publics et privés favorisent, pour la passation des marchés de maîtrise d’œuvre ayant pour objet la réalisation d’un ouvrage de bâtiment, l’organisation de concours d’architecture, procédure de mise en concurrence qui participe à la création, à la qualité et à l’innovation architecturales et à l’insertion harmonieuse des constructions dans leur milieu environnant ».
Le Conseil de l’Ordre des architectes d’Île-de-France
Paris, le 12 janvier 2023