L’amour est dans le pré dit l’adage, il semble l’être moins dans la ferme urbaine ainsi qu’en atteste un article du Monde intitulé « Pourquoi les fermes urbaines ont du mal à pousser en France comme en Europe ». Désamour ?
Face au dérèglement climatique dont l’humanité est pionnière, pour ce qui concerne l’architecture, le but du concours est d’anticiper à 50, voire 100 ans. Maintenant que, apocalypse oblige, les villes grandes, moyennes et petites sont submergées par un tsunami vert, soyons clair : l’agriculture urbaine aux petites abeilles et carottes bio dans le cœur des métropoles françaises en général, à Paris en particulier, n’a pas vocation à nourrir quiconque sauf quelques rares papillons et encore.
L’article indique en effet, notamment, que la société Agricool, cotée à la start-up nation, « dont les ingénieurs avaient conçu un processus de production de fraises dans des conteneurs aménagés et éclairés par des LED » avait en 2021 levé quelque 35 M€ pour se développer. En 2023, à peine deux ans plus tard, la boutique est vendue pour 50 000 €. Diable, comment une telle (dé)confiture des experts de la start-up Excel ?
Rien de mystérieux. Le Monde rapporte en effet que les revenus sont éloignés des prévisions. Ainsi, de la société Jungle, qui « avec ses 42 millions d’euros en poche, a construit une ferme verticale géante à Château-Thierry (Aisne), dans un ancien entrepôt William Saurin, pour produire du basilic, du persil ou de la roquette, mais aussi des plantes pour la parfumerie ». Entrepreneurs et investisseurs escomptaient un chiffre d’affaires de dix millions d’euros en 2022, il est en fait cette année-là de 600 000 euros, apprend-on. Bonjour les prévisions et l’intelligence artificielle des calculateurs hors pair ! À se gourer ainsi pas qu’un peu, ils ont encore du travail les génies et le bureau d’études financières qui ont fait les calculs ? Et ceux qui les ont écoutés, ils ont été réélus j’espère !
Parce que sinon, 40 M €, c’est le prix de construction de 200 logements de grande qualité à Paris, 400 en province, aux normes du jour et d’ores et déjà prévus pour résister aux calamités futures, avec un retour sur investissement plus ou moins long mais quasi garanti. En revanche, vouloir faire pousser des endives à des hauteurs où même les moustiques ne volent pas, il faut la foi des nouveaux convertis. Maintenant l’architecte n’est pas commanditaire : si d’aucuns lui demandent une ferme urbaine ou un loft sur Mars, comment refuser ?
C’est pourtant perdu d’avance. L’idée même de « ferme urbaine » comme celle de « forêt urbaine » sont idiotes par nature. Les alertes n’ont pourtant pas manqué. Je me souviens par exemple de l’exposition « Capital Agricole » présentée au Pavillon de l’Arsenal à Paris d’octobre 2018 à février 2019 dont l’architecte Augustin Rosenstiehl était commissaire. Entreprise de communication téléphonée ? Anne Hidalgo, maire de Paris et amie des bacs à fleurs, souhaitait un focus exclusif sur l’agriculture urbaine stricto sensu, c’est-à-dire dans Paris intramuros.
Il a fallu toute la détermination, et un travail d’envergure et détaillé d’Augustin Rosenstiehl pour démontrer que la notion « d’agriculture urbaine » ne pouvait s’entendre que dans un grand périmètre, celui de l’Ile-de-France par exemple. Ce qui n’en fait plus de l’agriculture urbaine.**
Non que des recherches d’optimisation ne doivent être menées mais ces tentatives de fermes urbaines au coût énergétique astronomique – inventées d’ailleurs par le jardinier Joseph Paxton dès 1851 avec le Crystal Palace ; le jardin a disparu, l’innovation architecturale demeure – ne peuvent pas rivaliser avec les usines agricoles intensives dont s’enorgueillit aujourd’hui le pays. Ce pourquoi il n’a pas fallu longtemps pour que les gentilles start-up de la start-up nation ne se voient couper l’herbe verte sous les pieds. Juste au moment où la ville de Paris sort son nouveau PLU Bioclimatique… Mais bon, qui se souvient qu’en février 2022 Christophe Najdovski, maire-adjoint de Paris en charge de l’« Écologie pour Paris », développait pour la capitale de la France le concept de « ville-jardin » et d’« externalités positives » ?
Le point est que les politiques, et avec eux les industriels courtois et intéressés, à force de ne plus réfléchir et de ne se préoccuper que de la dernière idée à la mode, consacrent des projets toujours plus inaboutis les uns que les autres. Deux ans et voilà les fermes urbaines qui prennent déjà le chemin des façades végétales et des toitures plantées de sedum, chemin qu’emprunteront bientôt les matériaux biosourcés, les « oasis urbaines », « la ville du quart d’heure », etc. Et les « externalités positives » donc.
La recherche ne se fait pas sans des erreurs, c’est dans sa nature. Ce qui est dramatique est que les politiques et maîtres d’ouvrage ne se donnent plus le temps de la réflexion architecturale mais foncent tête baissée dans les impasses des derniers concepts bien en cour, et cela en klaxonnant de plus en plus fort. En 2021, la ferme urbaine, c’est ‘tip top’, en 2023, c’est déjà ‘has been’. Considérant qu’il faut au moins quelques années pour bâtir un projet, le résultat était prévisible, il suffisait de regarder les yeux ouverts ce qui se passe à Détroit.*** En attendant, personne ne parle plus d’architecture.
Pour qui s’intéresse cependant à l’agriculture et aux papillons, se posent pourtant d’autres questions autrement essentielles, dont celle du logement. Les agriculteurs rattrapés par la ville se sont diversifiés mais comment loger les ouvriers agricoles alors que les loyers flambent ? L’agriculteur, fut-il bio, surtout s’il est bio peut-être, est coincé avec son besoin de logements et d’équipements agricoles. Sans parler des voisins exigeants… Sur le plateau de Saclay par exemple, ils ne sont plus que quinze agriculteurs vs 200 000 habitants. Alors les fermes urbaines…
Que conclure de tout cela ? Que la politique ce n’est pas de la télé-réalité et que peut-être les politiques devraient s’abstenir de se jeter sur la dernière lubie verte en date comme une groupie sur les réseaux sociaux et tenter de définir une vraie politique architecturale débarrassée des oripeaux de la sottise et de ses ambitions électoralistes de court terme. C’est cela qui est justement difficile.
Encore faut-il en effet, par Vulcain ex-Jupiter et consorts, que la politique soit à la hauteur de l’enjeu ! De fait, l’article du Monde démontre, une fois encore hélas, qu’en guise de politique pour faire face à l’inéluctable, ne nous sont proposées, au fil des « ajustements », que de nouvelles opérations commerciales, au terme de plus en plus court, comme disent les banquiers, en attendant le déluge.
Cependant, avant donc que nous ne soyons dispersés façon puzzle dans l’immensité de l’univers, se faire du mouron ne peut que provoquer des affections urticantes. Aussi, en cet été 2023 empli de promesses – ne le sont-ils pas tous ? – nous vous proposons une sélection de chroniques de cette saison 2022-2023 comme autant de parasols colorés plantés dans un cocktail glacé.
Bref, entre bulles chaudes ou froides, bel été à tous.
Merci de votre fidélité
Christophe Leray
Rédacteur en chef
Retrouver notre Edition spéciale Eté 2023
* Lire l’article du Monde (22/04) Pourquoi les fermes urbaines ont du mal à pousser en France comme en Europe
** Lire l’article Pour en finir avec l’agriculture urbaine à Paris (et ailleurs)
*** Lire l’article Architecture et agriculture urbaine, ménage recomposé ?