À la Bourse du commerce à Paris, l’artiste sud-coréenne Kimsooja creuse l’architecture de Tadao Ando pour y laisser advenir un vide vertigineux. Le dessous des images.
La Bourse du commerce, propose une exposition intitulée Le monde comme il va*, une référence au conte de Voltaire dont Babouc, le personnage principal, est chargé d’observer Persépolis afin de décider si la corruption de ses habitants mérite un châtiment du ciel.
« Face aux excès et aux paradoxes du monde, mais aussi confrontés aux troubles de l’époque et à un sentiment de perte des repères, les artistes se font prophètes, visionnaires, philosophes, parfois cyniques et ironiques, souvent poètes et réenchanteurs. Le visiteur est confronté à une vision ambivalente, oscillant entre faiblesses et vigueurs d’un monde qui semble se laisser aller vers sa perte, mais qui conserve espoirs et grâces », indique la brochure de l’exposition.
Paradoxe en effet de traiter des excès du monde dans une fondation dont le généreux donateur contrôle par ailleurs, entre autres, le groupe Kering et ses marques de luxe telles Gucci, Yves Saint Laurent, Balenciaga, Bottega Veneta, Boucheron, Alexander McQueen, Brioni et Ulysse Nardin.
Cependant c’est d’architecture dont nous parle la photo ci-dessus. Ouverte en 2021, la Bourse du commerce, dans le 1er arrondissement de Paris, a été réhabilitée par l’architecte japonais Tadao Ando**, qui avait déjà œuvré au Palais Grassi et à la Pointe de la Douane à Venise, accompagné de l’agence NeM, qui a réhabilité le presbytère qui accueille des résidences artistiques de la Fondation Pinault à Lens, et Pierre-Antoine Gatier, qui a déjà conduit entre autres les réhabilitations de la Villa Médicis et du domaine de Chantilly. Une réhabilitation unanimement saluée.
La Bourse du Commerce se déploie sur un plan circulaire et se distingue par une rotonde emblématique sous laquelle Tadao Ando a inséré un cylindre en béton, de neuf mètres de haut et trente mètres de diamètre, afin de réorganiser les volumes. Ce geste a donné naissance à un espace d’exposition sous la coupole, doté d’une force centripète menant à un auditorium et à un foyer aménagés en sous-sol. « Mon intention est de faire s’enchaîner avec force des séquences d’espaces très variés découlant de la combinaison de la rotonde et du cylindre. L’espace existant et le nouveau créent un lieu plein de vie, apte à porter la bannière de la culture urbaine des générations à venir », expliquait l’architecte japonais en 2017.
Une intention d’une telle ambition qu’il était impossible au visiteur de l’embrasser totalement. Jusqu’à l’advenue, dans le cadre d’une carte blanche, de l’artiste sud-coréenne Kimsooja.***
Son intervention, qui consiste en un immense miroir recouvrant le sol, est à la fois monumentale et immatérielle, simple et spectaculaire, et se conjugue comme une évidence avec l’architecture minimaliste de Tadao Ando. En effet, dès l’approche, pour citer la brochure à nouveau, le dispositif renverse toute l’architecture et « avec elle, l’ordre du monde, le ciel se creusant sous nos pieds au centre du bâtiment ».
« Je voudrais créer des œuvres qui soient comme l’eau et l’air, qui ne peuvent être possédées mais qui peuvent se partager avec tout le monde », explique Kimsooja.
De fait, entre la nef et son reflet, le visiteur chaussé de patins comme à l’entrée d’une patinoire glisse entre deux pôles vertigineux sur la ligne ténue d’un équateur glacé. Surtout, le miroir permet enfin de découvrir dans sa totalité la fresque monumentale autour de la coupole sans lever les yeux au ciel. La vision occidentale et colonialiste du monde imagée dans cette fresque apparaît alors clairement, littéralement foulée aux pieds comme les restes d’un siècle révolu.
Si l’expérience sensorielle de marcher dans le vide est stimulante, visiteurs sensibles au vertige s’abstenir. Il en va de fait du dessous des images comme du dessous des dames : effet miroir oblige, il est préférable de visiter cette installation en pantalon !
Noter enfin que des médiateurs passionnés et passionnants, versés aussi bien dans le décryptage de l’art contemporain qu’érudits quand il s’agit de dévoiler l’architecture de la Bourse du commerce et l’œuvre de Tadao Ando, sont à la disposition des visiteurs qui gagnent à faire appel à leurs talents.
Christophe Leray
* « Le Monde comme il va »
Jusqu’au 2 septembre 2024
Bourse du commerce
2, rue de Viarmes
Paris 1er.
Entrée de 10 € à 14 €.
** Lire notre article Bourse du commerce, de la beauté, de Tadao Ando, de la fortune
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