Dix ans après la Fondation du 73 Gobelins, Jérôme Seydoux s’offre une seconde et éclatante collaboration avec Renzo Piano – la renaissance du mythique cinéma du boulevard des Capucines à Paris (IXe).
Si les deux projets partagent l’ADN du théâtre – théâtre populaire des Gobelins dans le XIIIe et théâtre du Vaudeville dans le IXe) – et leurs façades inscrites aux Monuments historiques, rien ne les relie sinon la mission acrobatique du geste architectural à négocier avec le non négociable.
Dans les deux cas donc, démolir et conserver, créer et respecter… S’introduire. Vider. Agir. Dans les deux cas, le choix de projeter le devenir dans un geste radical – forcer un futur par une présence incongrue – un objet suffisamment irradiant pour faire signal…
Aux Gobelins, il s’agit d’un organe non répertorié – gigantesque greffe en résille d’aluminium – libre et contraint à la fois, ubuesque mais terriblement maternel jusqu’au débordement. Émotionnellement et visuellement, cet objet improbable fait pourtant architecture en s’installant sans autre forme de procès, d’une mitoyenneté à l’autre, derrière les façades sculptées par Rodin.
Au Pathé Palace c’est une tout autre histoire…
Étrange destinée de ce bâtiment aux cinq vies… qui naît fièrement théâtre en 1867, avec une rotonde bien dessinée et bien dans son temps, une opulence discrète, le corps cylindrique se détachant élégamment et jouant avec les hauteurs et les volumes.
Soixante ans plus tard, partiellement détruit, puis reconstruit mais défiguré, pastiche redondant de lui-même, sa rotonde aplatie fait désormais corps avec le bâtiment, déshonorée par des injonctions aguicheuses « Venez prendre le frais, Paramount réfrigéré » peut-on lire en lettres majuscules sur les images des années ‘30.
L’époque qui suivra – sans doute la pire – affiche toute hauteur de grands panneaux publicitaires : les images en couleur ont pris la place des mots, signe des temps. En 2007 le Gaumont Opéra lui succédera dans une version beaucoup plus sobre.
Le nouveau chantier confié à Renzo Piano Building Workshop (RPBW) pour une nouvelle vie démarre en janvier 2021. La mission première est de redonner au bâtiment sa dignité. Cela est rendu possible par l’achat du bâtiment mitoyen sur la rue de la Chaussée d’Antin qui donnera les moyens de l’ambition.
De fait, visité en compagnie d’Antoine Chaaya, Partner à RPBW en charge du projet, l’ouvrage est glorieux, 10 000 m² et l’intention est clairement énoncée : il est question de palais – Pathé Palace – palais cinéma.
Sept salles, 800 places en tout, un luxe au sommet de la technologie (son immersif et spatialisé Dolby Atmos) qui ne se départit jamais d’une élégance parfaitement maîtrisée – cuir et bois – et d’un confort rare.
La grande salle rouge – 450 places – est un chef-d’œuvre du genre. « En contraste avec le reste du bâtiment, pas de lumière naturelle, une obscurité travaillée et maîtrisée avec quelques touches de lumière artificielle », explique Antoine Chaaya. « La salle est un amphithéâtre sur trois niveaux » ajoute, enthousiaste, Federico Hébel, jeune architecte de RPBW : « Faire du cinéma dans un cinéma »
Plus haut les espaces de bureaux sont totalement étanches et indépendants de la partie cinéma ERP (édifice recevant du public). Deux étages de BtoB, et le siège social au dernier. Les huit oculi du niveau 5 cadrent chacun une icône parisienne (Montmartre, Beaubourg, Tour Eiffel, Panthéon,…) pour finir par la surprise à couper le souffle – une terrasse immense, embrassant l’Opéra et écoutant, comme une symphonie magistrale, les faits les gestes et les rumeurs de la Ville.
La philosophie/profession de foi – amener la lumière dans un monde obscur – le cinéma – et l’offrir à la ville –, Antoine Chaaya la résume en quelques mots simples et lumineux : « Faire entrer la ville par le rez-de- chaussée en créant une place intérieure. Faire de ce lieu une lanterne magique ».
La « piazza » n’est pas une surprise mais bien une signature, un humanisme dont Renzo Piano ne se départit pas, une conception présente dès le premier projet manifeste du Centre Pompidou, puis rue de Meaux, à l’ENS Saclay, et dans presque tous ses projets. Offrir de l’espace public comme un rendez-vous – souvenir de piazze et campi italiens – peut se lire aussi, au-delà d’un lieu de rencontre convivial, pour qui veut bien s’y rendre, comme une invitation – transparente – à l’architecture.
De fait, le rendez-vous est inratable et le signal alchimique. Pour l’objet initiatique autour duquel s’articule le projet, j’ai réservé en bouquet les mots qui lui ressemblent – radiant, onde, cristal, lumière… solaire. Un polyèdre de 29 mètres – géométrie de verre à trois dimensions dont les formes polygonales forment des arêtes, objet mystérieux d’une grâce absolue, prisme de verre inversé, simplement suspendu comme un miracle autour d’un anneau – perce le volume depuis la terrasse et distribue la lumière à tous les niveaux jusqu’au rez-de-chaussée.
Un prisme qui n’est pas posé mais extrait comme pour faire le vide, un coup de génie comme un cristal de chimie qui aurait grandi au pays des merveilles d’Alice. Ou encore un prisme d’optique chiné dans un laboratoire de géants et chargé de dispenser la lumière, et avec elle la possibilité de nature – trois bouleaux plantés au cœur du cône – l’arbre fétiche de Piano pour son tronc blanc argent, sa silhouette haute et fine et la transparence de son feuillage éparse.
Le vide ainsi crée est visible depuis l’extérieur, à travers les façades Capucine et Chaussée d’Antin. Les pans inclinés procurent une vue différente, à mesure de la déambulation, et le prisme enchanté se vit comme un manège.
Le verre traité, comme une chambre claire, reçoit les images et enregistre le ciel.
« C’est le vide qui est traité, et non les pleins… »
« Transparence », dit Antoine Chaaya.
« Probablement, tout dépend du fait que pour mettre en valeur ces éléments immatériels, de façon naïve et peut-être même un peu primitive, je suis parti de la légèreté ». Renzo Piano in La désobéissance de l’architecte (Editions arléa, 2009).
Tina Bloch