Alors que les architectes français doivent se bagarrer avec des PLU qui changent tout le temps, les architectes de Nashville vont devoir se faire à un nouveau code de l’urbanisme qui, en certains endroits de la ville, appliquera des règles désormais basées sur le volume (‘form-based’). Dit autrement, Nashville entend aujourd’hui appliquer une méthode que nous connaissons en France au moins depuis Haussmann. Et c’est une petite révolution dans la Capitale du Sud. Explications.
Jusqu’à présent, la règle était simple, c’est l’usage du bâtiment qui indiquait sa destination et donc son adresse : ici des bureaux, là l’industrie (Nashville est aussi la capitale mondiale de l’industrie pharmaceutique), là les services (stations-service, restaurants et bouis-bouis, banques, pharmacies et supermarchés, etc.) le long des grands axes. Le reste était du résidentiel et les 1 800 000 habitants de l’agglo, sur un territoire à la superficie dix fois plus grande que celle de Paris (1 362 km² et 105 km² respectivement) ont mité tout cet espace avec des maisons typiques et de grands jardins.
A tel point qu’il est souvent difficile de savoir quand on entre dans Nashville ou quand on en sort. Au-delà même de l’agglo, la très grande majorité des habitants vit dans de telles maisons, souvent éloignées de tout. Voiture obligatoire et Nashville, comme le Tennessee, s’est développée autour de ces flux routiers et, à croiser les ‘overpass’ qui se croisent les uns au-dessus des autres, l’impression est parfois d’être en Chine.
Sauf que les temps changent. La crise des Subprimes de 2008 ainsi que la prise de conscience du réchauffement climatique a soudain éclairé d’un jour nouveau le coût astronomique d’un tel fonctionnement urbain, surtout quand les habitants ont vu exploser les impôts locaux. Par ailleurs, Nashville connaît aujourd’hui un dynamisme exceptionnel et accueille désormais des ‘migrants’ de tous les Etats-Unis. Ces derniers – étudiants, jeunes professionnels – s’ils apprécient la qualité de vie et le climat, sont aussi porteurs de nouvelles valeurs en termes de mode de vie : moins de voiture, plus de bio pour le dire rapidement.
Pour toutes ces raisons, la municipalité a décidé de revoir son modèle de développement urbain et tente désormais de densifier la ville. Ce d’autant plus qu’un premier quartier résidentiel de logements – le Gulch, près du centre-ville – s’est révélé être une parfaite réussite.
Pour y parvenir, le projet est donc d’une part de poursuivre le développement résidentiel proche du centre-ville et d’autres quartiers comme le Gulch sont en train de voir le jour. D’autre part, et c’est là qu’intervient ce fameux règlement form-based, l’idée est d’imposer des gabarits de bâtiment le long des cinq ou six grands axes menant au centre-ville et de ne plus laisser s’installer sur ces parcelles des petites échoppes au milieu d’un vaste parking. Le changement est d’importance puisque c’est le gabarit qui importe et non plus l’usage du bâtiment, le but affiché étant donc de faire cohabiter résidentiel, commerces et tertiaire le long de ces axes désormais ‘dessinés’.
L’esprit du projet est tout à fait contraire à l’usage et il a fallu convaincre. Ce à quoi est parvenu Rick Bernhardt, l’ancien directeur du Metropolitan Nashville-Davidson County Planning Department, qui a porté le projet jusqu’à aujourd’hui et son départ à la retraite cet été. «Nous sommes dans une démarche proactive afin de maîtriser notre développement urbain et non plus dans une réaction à ce qui se passe», explique-t-il. Pour préparer ce nouveau plan urbain (que les Américains appellent ‘zoning’) et désigner les zones qui seront soumises au ‘form-based’, Bernhardt a mené une enquête publique, qui n’était pas obligatoire, auprès de plus de 18 000 habitants.
Il avait de bonnes raisons pour entreprendre cette démarche de concertation car il faut dire que le choc culturel est sévère entre les anciens Nashvillais, supporteurs fervents de Donald Trump, qui chassent encore l’ours noir dans les montagnes Appalaches et les nouveaux habitants, fervents supporteurs d’Hillary Clinton après avoir soutenu Barry Sanders, qui font pression sur la mairie pour un meilleur traitement municipal des chats errants. Difficulté supplémentaire, la ville, démocrate, doit constamment se battre contre l’Etat du Tennessee, républicain. C’est par exemple le parlement de l’Etat qui a fait capoter le premier projet de tramway à Nashville.
«Bernhardt a conduit une enquête très intelligente, avec une très large participation des habitants pour effectivement redonner un nouveau souffle au plan urbain de Nashville, son idée de règlement basé sur la forme permettant de codifier tout le processus», souligne Gregory Powe, architecte à Nashville.
«Nous sommes passés à un raisonnement plus contextuel. S’il faut construire un immeuble, alors construisons-le en relation avec les autres immeubles qui l’entourent», poursuit Rick Bernhardt. Cela peut sembler surprenant aux oreilles d’un architecte français, et européen d’ailleurs, mais cela se comprend quand on sait que, aujourd’hui encore, il n’y a à Nashville aucune revue d’aucune sorte par une quelconque autorité concernant l’architecture d’un bâtiment. Dit autrement chacun construit ce qu’il veut sur son terrain sans que la ville n’ait son mot à dire.
Rick Bernhardt se défend d’ailleurs de vouloir créer de nouvelles contraintes. «Je ne suis pas spécialement intéressé à créer de nouvelles régulations concernant l’architecture car ce qui est important ici est la masse du bâtiment, sa relation à la rue et comment il agit sur l’espace public», explique-t-il. Bref, dans le gabarit ou volume donné, les architectes continueront de faire ce qu’ils veulent. D’ailleurs ce nouveau code, qui ne s’applique donc qu’en quelques endroits de la ville, fait… quatre pages !
Preuve cependant de l’impact de cette petite révolution urbaine à Nashville, l’urbaniste répète à l’envi la nécessité de l’implication des citoyens pour accomplir cette réforme. «Nous avons passé beaucoup de temps au début du processus de planification et à chacune de nos réunions publiques à expliquer qu’elles étaient les réalités d’une ville en développement. Nashville va se développer et soit nous ignorions ce fait et acceptions ce qui allait se passer, soit nous avions conscience de ce développement et nous nous donnions les moyens que cette croissance se déroule de la façon dont nous le souhaitions», conclut-il.
Christophe Leray