A chaque ministre de la Culture son label ? Daté de 2015, ‘1 immeuble, 1 œuvre’* est un label dont, selon la ministre Fleur Pellerin, «les constructeurs, propriétaires et occupants pourront se prévaloir». Chic ! Se souvenir que le label ‘Architecture du XXe siècle’ a été officiellement institué en 1999 par Catherine Trautmann, ministre de la Culture d’un gouvernement Jospin. Toujours est-il qu’Audray Azoulay, à quelques semaines de quitter son job, ne pouvait pas se trouver en reste. Bienvenue au label ‘architecture contemporaine remarquable’.
Le Journal officiel a publié le 30 mars 2017 le décret n° 2017-433 du 28 mars 2017 relatif au label ‘Architecture contemporaine remarquable’. Tiens un nouveau label ! Architecture contemporaine remarquable ? Ce décret met en application l’article 78 de la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) et a pour objet de préciser les modalités d’attribution de ce label. Voyons.
Ce label est attribué par décision motivée du préfet de région après avis de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture pour les immeubles, ensembles architecturaux, ouvrages d’art et aménagements de moins de cent ans dont la conception présente un intérêt architectural ou technique suffisant. Super !
Passons rapidement sur le mot contemporain, qui n’est pas synonyme de ‘bâtiment de moins de cent ans’. Jusqu’à quand ou combien de temps une architecture est-elle contemporaine ? Un bâtiment construit au début du XXe siècle pourrait donc ne pas obtenir ce label à défaut de n’être pas contemporain ? Cela va en éliminer un paquet car quel bâtiment construit au XXe siècle est contemporain de 2017 ? Si la précision ‘architecture contemporaine’ s’impose pourtant dans l’intitulé du décret, peut-être est-ce parce que le ministère de la Culture possède sa propre définition de l’architecture ‘contemporaine’. Jugement de valeur ?
Et moins de cent ans d’accord mais à partir de quelle date ? A partir du 31 mars 2017, au lendemain de sa publication indique le décret (article 2) ! Il s’agit donc d’une opération limitée dans le temps puisque le label à une date d’expiration (Article 1, Art. R. 650-4). «Oups, 101 ans, tu perds». Un label qui expire de lui-même, voilà qui est sans doute utile. En tout cas, si vous êtes propriétaire d’un immeuble ou d’une maison construits en 1918, encore debout et qui ne soient ni classés ni inscrits à l’inventaire des monuments historiques, dépêchez-vous. A un jour près, à quoi tient l’architecture contemporaine remarquable…
Le décret évoque par ailleurs un «intérêt architectural». Très bien sauf que, par définition, tout ouvrage signé d’un homme de l’art se doit de présenter un «intérêt architectural», fut-il quelconque, ou alors il faut se demander ce que foutait l’architecte qui l’a construit. Idem pour l’intérêt technique.
Avec une définition aussi floue, le risque n’est-il pas grand que des immeubles par centaines, par milliers, par centaines de milliers peut-être ne puissent bientôt se prévaloir d’une architecture remarquable ? Heureusement, gouverner c’est prévoir et dans sa grande sagesse la ministre de la Culture a pris soin dans le décret de définir «l’intérêt architectural».
Cet intérêt, indique le décret, s’apprécie donc au regard des critères suivants :
1° La singularité de l’œuvre ;
2° Le caractère innovant ou expérimental de la conception architecturale, urbaine, paysagère ou de la réalisation technique, ou sa place dans l’histoire des techniques ;
3° La notoriété de l’œuvre eu égard notamment aux publications dont elle a fait l’objet ou la mentionnant ;
4° L’exemplarité de l’œuvre dans la participation à une politique publique ;
5° La valeur de manifeste de l’œuvre en raison de son appartenance à un mouvement architectural ou d’idées reconnu ;
6° L’appartenance à un ensemble ou à une œuvre dont l’auteur fait l’objet d’une reconnaissance nationale ou locale.
La singularité de l’œuvre ? D’aucuns l’espèrent de chaque bâtiment signé d’un architecte. Non ? Le caractère innovant ou expérimental, certainement. Le premier data center par exemple ? Mais, surtout, de retrouver parmi les critères la ‘notoriété’ en troisième position !!! «Eu égard notamment aux publications» !!! Plus elle est publiée et plus l’architecture est remarquable ??? L’architecture serait remarquable parce que remarquée ? Avec quels critères de publication ? Dans quel media ? Un article dans Le Courrier de l’Ouest à l’occasion de la galette des rois, ça vaut ?
En 4ème position, ce critère : «l’exemplarité de l’œuvre dans la participation à une politique publique». Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Que l’œuvre issue de la commande publique possède un a priori ‘remarquable’ par rapport à la commande privée ? Que la loi de 77, qui indique que l’architecture est d’utilité publique, n’est pas complètement caduque ? Chaque école, chaque crèche, chaque tribunal, chaque commissariat, chaque université ou collège, ne sont-ils pas tous à ce titre remarquables et exemplaires ? Les prisons comptent-elles aussi dans l’exemplarité d’une politique publique ?
Le 5ème critère est encore plus alambiqué. Se le relire doucement : «La valeur de manifeste de l’œuvre en raison de son appartenance à un mouvement architectural ou d’idées reconnu». Un manifeste d’accord mais qu’est-ce qu’un mouvement architectural non reconnu ? Des mecs en noir qui construisent sur la planète Zorg ? Et faut-il appartenir à un quelconque mouvement ‘reconnu’ pour publier, construire en l’occurrence, un manifeste ? C’est souvent après le manifeste que naissent les mouvements. Bref, au ministère des bonnes œuvres remarquables, un manifeste d’accord mais pas trop.
Enfin le dernier critère est vraiment archicool : «l’appartenance à un ensemble ou à une œuvre dont l’auteur fait l’objet d’une reconnaissance nationale ou locale». Si une reconnaissance locale est suffisante, alors là, oui, l’article du Courrier de l’Ouest, il vaut. Et les pince-fesses avec les élus et les promoteurs aussi. Un centre commercial labellisé ‘architecture contemporaine remarquable’ ?
Bref, avec autant de généreux critères pour définir «l’intérêt architectural et technique», il ne devrait pas être trop compliqué à obtenir le nouveau ‘label architecture remarquable’. Pourquoi pas dès la phase de conception, pour que le maître d’ouvrage puisse obtenir des financements ?
Ce n’est d’ailleurs plus qu’une question de temps que tous les maîtres d’ouvrages et tous les architectes ne produisent plus que des bâtiments éligibles au label architecture remarquable, tout comme tous les bâtiments sont désormais HQE ou apparentés. D’ailleurs, magnanime, le ministère précise que «le label est également attribué aux réalisations qui faisaient antérieurement l’objet du label Patrimoine du XXe siècle». Si elles ont moins de cent ans au 31 mars 2017, cela va sans dire. C’est Catherine Trautmann qui va être contente. Bref un décret vraiment important qui fait vraiment plaisir à vraiment plein de monde, juste avant les élections.
Allo ? Le Courrier de l’Ouest ?
Christophe Leray
*Lire à ce sujet notre article Les géants de l’immobilier bouleversés par Fleur Pellerin