Le premier projet d’Axel Schoenert était déjà dans les beaux quartiers de Paris. «Un client japonais vient me voir, il avait acheté un demi-immeuble place des Vosges», se souvient-il. Comment un architecte allemand, qui n’avait jamais imaginé vivre à Paris, se retrouvait-il donc, à l’aube des années 2000, embarqué dans cette aventure ? Aujourd’hui l’agence – ‘Axel Schoenert architectes’, indique la carte – est une agence française à l’accent international sise avenue de l’Opéra. Portrait.
Architecte, Axel Schoenert l’était avant d’arriver en France. Après avoir étudié à l’université de Karlsruhe, il fait ses classes à Chicago, dans l’agence qui fût celle de Mies van der Rohe. «Chicago est la meilleure ville pour l’architecture», souligne-il. «Obsédé» par New York, il faisait des gratte-ciel ! «A ce moment-là, d’un point de vue architectural, Paris n’était pas très intéressant», dit-il en souriant.
C’est pourtant là, en 1999, avec son épouse hongroise Zsofia Varnagy, architecte d’intérieur, qu’il fonde son agence. «Parfois le hasard devient une décision fondamentale», remarque-t-il. En tout cas, après les gratte-ciel, un client japonais et une première restructuration lourde dans le Paris chargé d’histoire. Sacrée diagonale ! Un projet risqué mais suffisamment réussi qui lui donnera la conviction de s’installer dans la capitale et de se nourrir de son patrimoine afin d’enrichir ses collaborations.
Aujourd’hui Axel Schoenert navigue aussi bien entre les programmes, du neuf à l’ancien en passant par toutes les nuances de la réhabilitation en site historique, qu’entre les nationalités et cultures de ses clients allemands, américains, français, … Pour l’hôtel Terminus de la gare du nord, une institution ouverte en même temps que la gare en 1846, son client était un investisseur thaïlandais qui achetait son premier hôtel en Europe. «On s’amuse bien avec les hôtels», dit-il. «Surtout quand on a les deux missions architecture et architecture d’intérieure».
Ils sont aujourd’hui une quarantaine de collaborateurs de toutes origines évidemment mais la langue de l’agence est le français. Axel Schoenert le parle désormais lui-même avec juste une pointe d’accent. Il s’agit bien d’une «agence française et parisienne», insiste-il. «La maîtrise des langues est un élément important pour les clients», dit-il. En 1999, quand les institutionnels allemands ont commencé à travailler en France, ce fut un plus. «Aujourd’hui la nouvelle génération est beaucoup plus à l’aise avec les langues et je n’ai plus cet avantage», se marre-t-il
«Quand je suis arrivé à Paris, je ne connaissais personne, personne, personne. J’ai demandé où était le centre ? Le premier arrondissement m’a-t-on dit. Je voulais rester dans un arrondissement central. C’est un vrai choix, je veux être dans le centre de Paris, faire les choses à pied ou à vélo». Avant d’aménager avenue de l’Opéra, il était rue de Valois, déjà dans le 1er à Paris. Avant encore, pendant dix ans, il est associé avec deux architectes français et construit du logement, en France et en Allemagne.
Rarement une agence reflète aussi exactement le travail et les goûts de l’architecte comme celle d’Axel Schoenert. Dans un bâtiment haussmannien, l’agence est d’une remarquable clarté, même en son cœur. Intérieur contemporain, très blanc, très lumineux, des espaces qui s’ouvrent et se ferment facilement. Des lignes tirées au cordeau. Respect de l’histoire certes mais aucune nostalgie, se souvenir des gratte-ciel !
Cette capacité à transformer l’espace contraint de l’haussmannien en lieux de travail résolument contemporains et lumineux est l’une des clefs de la réussite de l’agence et chaque visiteur le comprend d’emblée dès l’entrée. Pour seule décoration, d’immenses tirages photographiques donnent de la couleur et de la convivialité et adoucissent des espaces pour le reste parfaitement rigoureux.
Certes, Axel Schoenert, explique à juste titre exercer sur tous types de programmes et à toutes les échelles – il cite notamment le hall administratif de la ville de Puteaux en 2013 (Lauréat des ArchiDesignClub Awards en 2015) et la réhabilitation de la Tour Prisma à la Défense en 2010 – mais c’est dans le domaine de la restructuration lourde à Paris, pour des programmes hôteliers et de bureaux, que son expertise et son style sont manifestes, l’idée étant de faire résonner les motifs historiques qui enveloppent le bâtiment et leur traitement très contemporain, comme en témoigne le MOST.
En témoigne l’année 2016 de l’agence : en décembre, inauguration du nouveau siège de la MNT rue d’Athènes (IXe) ; en novembre, début des travaux au 54 rue de Londres (VIIIe) ; en octobre livraison de la transformation de l’immeuble situé au 35 rue de Bassano (VIIIe) ; en août livraison de l’hôtel Beauchamp, rue de Penthieu (VIIIe) ; en juin, livraison du centre d’affaires Etoile Saint-Honoré au 21-25 rue Balzac (VIIIe) ; en avril l’hôtel Vendôme Saint-Germain 8 rue d’Arras, au cœur du quartier latin (Ve) a rouvert ses portes. En décembre 2015, c’est l’hôtel**** Holiday Inn Paris Gare de l’Est qui était inauguré.
En janvier 2017, quand a lieu la rencontre, l’architecte indique avoir une vingtaine de ‘chantiers’ en cours entre les projets en phase de conception, ceux en phase permis de construire, ceux en chantiers et «quatre ou cinq études de faisabilité».
«J’ai beaucoup de projets urbains, de ville dense car j’adore travailler dans ce contexte de confrontation entre la ville vieille et la ville neuve», indique l’homme de l’art. Il a bien sûr mis en place au fil du temps un processus de fonctionnement, des «leitmotivs», mais il insiste ne jamais refaire la même chose. De fait, ici, rue de Londres, il dépose une façade pour la remplacer par une façade en Corian, là, au contraire, 54 avenue de l’Opéra il la conserve et en sublime l’entrée.
La réglementation – cet étrange objet de curiosité – ne l’émeut guère et, comme tous les francophiles, il s’intéresse avec passion à l’histoire, culturelle et constructive, des bâtiments et contextes sur lesquels il intervient. Malgré des sites contraints, la variété de ses clients – qu’il s’agisse du siège social d’une entreprise centenaire ou d’une start-up – nécessite souplesse et adaptabilité de fonctionnement.
Peut-être parce qu’il est étranger, son approche architecturale est décomplexée, ce qui offre à l’architecte de vraies opportunités d’expression. Son travail sur les entrées et le fer forgé est notamment souvent subtil et pertinent. En même temps, il conçoit pour l’un de ses chantiers une plate-forme mobile permettant, à l’intérieur du bâtiment, de retourner les camions de livraison de matériaux sur eux-mêmes sans avoir à faire demi-tour.
L’un de ses leitmotivs est de trouver et d’apporter en sus du programme des espaces destinés au confort des usagers : ici une petite terrasse nichée sur les toits, invisible de la rue mais avec vue sur le Sacré-Cœur, là un patio extérieur petit mais ouvert et élégant, ou là encore un espace d’accueil parfaitement chaleureux dans ce qui fut une cour humide, ailleurs une percée visuelle au cœur du bâtiment rappelant les anciens passages intérieurs typiquement parisiens.
Au centre de Paris, toujours confronté à l’existant ancien, Axel Schoenert s’attache donc à proposer du neuf, jusqu’au mobilier, avec un goût affirmé pour les lustres monumentaux. Jusqu’à ces murs végétaux qui viennent soudain animer un univers essentiellement minéral. «Il y a des sujets qui viennent tout seuls, d’autres où ça grince», s’amuse-t-il.
Comme il s’amuse encore du fait d’être allemand. C’est un avantage ou un inconvénient selon les périodes. En ce moment, c’est plutôt un avantage. «Les maîtres d’ouvrage français se disent, ‘il est Allemand, il est rigoureux, ça va être nickel‘», dit-il. De fait, depuis 25 ans qu’il est à Paris, force pourtant de constater «que la construction est l’un des métiers qui a très peu évolué par rapport à d’autres, l’architecture est édifiée aujourd’hui comme il y a 20 ans».
Lui-même, malgré le développement de son agence et les évolutions liées aux nouvelles technologies, continue de travailler comme il y a 20 ans. Il est aujourd’hui le seul associé d’une agence de presque quarante personnes. N’est-ce pas une taille critique ? Celle à laquelle les agences soit font faillite soit deviennent des machines à produire ?
Axel Schoenert fait un autre calcul. «Dans les grandes agences, si vous divisez le nombre d’employés par le nombre d’associés, vous arrivez à un ratio de 1 pour 30 ou quarante», soutient-il. «La taille de l’agence me permet donc de continuer à faire de l’architecture et de rester impliqué sur chacun des projets, je peux encore participer à la création sans associé».
Il visite régulièrement, c’est-à-dire souvent, chacun de ses chantiers – à pieds ou à vélo puisqu’ils ne sont jamais loin. «Les clients veulent que je sois là», dit-il. Bref, il aime encore le chantier, comme il y a 20 ans. A tel point qu’il indique préférer travailler en lots séparés : «J’ai plus de travail et plus de responsabilités mais nous pouvons ainsi améliorer le projet et la qualité des finitions est meilleure», dit-il.
Il déplore cependant l’augmentation du nombre de ses interlocuteurs : «Trop d’intervenants diluent le projet. Il y a toujours des failles dans l’interprétation et tout le monde cherche la facilité, la sécurité, la banalité. A un moment, il faut qu’ils fassent confiance à l’architecte», dit-il. Et pour ce qui le concerne, ils peuvent lui faire confiance !
Christophe Leray