Au fil du temps, des sujets sont calés dans des dossiers qui attendent des jours meilleurs. Puis le temps passe et c’est déjà l’été, pour s’apercevoir que ces sujets n’ont finalement pas été traités. A l’heure de boucler cette quatrième saison, de la mort à crédit à la biodiversité gastronomique, de Paris à New York et retour, voici donc un pot-pourri de quelques articles auxquels vous avez échappé cette saison.
Mourir, la belle affaire, mais vieillir (Jacques Brel)
Les habitants du monde développé en général, les Français en particulier, n’ont jamais connu un tel niveau de confort depuis le début de l’humanité. C’est au point qu’il n’est même plus besoin de faire l’effort de la pousser du pied pour que la trottinette avance. Des gens peuvent vivre jusqu’à 100 ans, voire plus, et relativement en bonne santé. A tel point que les milliardaires de la Silicon Valley cherchent la recette de l’immortalité. Il faut être taré quand même !
En attendant, c’est un fait avéré, la société française vieillit – et encore, moins que chez nos voisins – et je ne vois pas dans un futur proche des maires (voir photo ci-dessus) avoir le courage de contrarier leur patrimoine vivant, enclin d’ailleurs à voter comme un seul homme ou plutôt, en l’occurrence, comme une seule femme. La bonne nouvelle est que, puisque les femmes vivent plus longtemps que les hommes, pour ceux que ça intéresse, pour le matriarcat, ce n’est plus qu’une question de temps et de patience. Les gamins sur leurs trottinettes n’ont qu’à bien se tenir
La biodiversité, un projet piqué aux hannetons
Il n’y a plus un concours d’architecture sans une demande expresse de biodiversité, même en ville, surtout en ville. C’est important la biodiversité, et plus encore la vanité de l’homme qui croit pouvoir l’inventer. Mais passons. Voyons une crèche, sur le toit dorénavant car il faut protéger les petits enfants des méchants terroristes. L’architecte a fait un boulot d’enfer. Sur leur terrasse, les enfants ont droit à une vraie forêt urbaine, comme ils n’en ont pas vue depuis longtemps. Il y a même des écureuils.
Maintenant, si votre enfant rentre de la crèche bouffé par les moustiques :
– vous portez plainte ?
– vous appelez la cellule psychologique de soutien ?
– vous filer aux urgences, et fissa encore ?
– vous exorcisez le drôle ?
C’est l’une de ses limites. Pour paraphraser Serge Gainsbourg, la biodiversité, c’est beau lorsque c’est sale, au propre comme au figuré. Sinon le gosse peut toujours becqueter du ver de terre comme à Koh-Lanta.
Biodiversité invasive
Vous avez tous entendu parler de ces écrevisses de Louisiane, des tueuses de première ayant pris d’assaut nos marais, engloutissant au passage la pauvre petite écrevisse locale. Sauf que la pauvre petite écrevisse locale était déjà bien mal en point avant l’arrivée des envahisseuses. S’il faut sans doute s’acharner pour préserver l’écrevisse du cru ailleurs que dans un bocal, pour la grande majorité des cours d’eau que les écrevisses affectionnent, le combat est déjà perdu. Se débarrasser de ces nouveaux habitants serait comme tenter de se débarrasser des silures de la Loire, peine perdue.
Le bon côté, littéralement, de la chose, est que la vorace écrevisse de Louisiane boulotte de tout, se reproduit à foison, a donc besoin d’être contenue (pas de surpêche donc, on peut y aller à cœur-joie) et, surtout, elle est comestible. Et comment ! Dans les bayous de Louisiane et à la Nouvelle-Orléans, il y a des guinguettes qui ne servent que ça, des écrevisses à peine sorties de l’eau et déjà chaud bouillantes. Elles sont servies sans façons treize à la douzaine sur les pages du Times-Picayune, le quotidien local, et se mangent avec les doigts.
Dans les marais français, on n’a jamais beaucoup mangé d’écrevisses car la ressource était rare. Avec l’écrevisse de Louisiane, il y a de quoi nourrir toute une population, et des hordes de touristes venus s’en mettre plein la lampe dans des guinguettes à écrevisses en circuit court. A la Nouvelle-Orléans, les écrevisses sont dévorées avec une sauce tabasco ou du citron, je ne doute pas que les chefs, ici en France, vont savoir en faire un incontournable de la gastronomie locale, et sans faire souffrir l’animal.
Des nouveaux métiers, des emplois, une expérience unique, la biodiversité innovante ! Et quand les Américains n’en auront plus, d’écrevisses, dans leurs bayous noyés dans le pétrole, ils seront bien contents d’en importer de chez nous.
Le rapport avec l’architecture ? Et les guinguettes alors !
Bon ça marche moins bien avec le silure, qui n’a pas de goût, et encore moins bien avec le frelon asiatique, qui ne se mange pas.
Grand Paris Express
Quand Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, et Anne Hidalgo, maire de la capitale, estiment de concert au printemps 2019 que les travaux du CDG Express, un train qui doit relier Paris à l’aéroport de Roissy en vingt minutes, ne doivent pas déranger les usagers de la banlieue, cela signifie que ces travaux ne sont pas prêts d’accélérer. Il s’agit pour la première de «détendre le calendrier» au-delà de 2024. Comme c’est joliment dit.
Cela signifie que, pour les touristes qui viendront du monde entier pour les Jeux Olympiques de 2024, l’alternative sera la même qu’aujourd’hui : à partir de Roissy (CDG), rejoindre Paris dans un train bondé, lent, sale, sans clim et parfois dangereux ou prendre l’autoroute et, coincé dans les embouteillages, apprécier la beauté navrante de l’entrée de ville de la capitale, pendant des kilomètres. Welcome to France !
Encore faut-il que les distributeurs de billets de RER ne tombent pas en panne à cause de la chaleur, comme ce fut le cas lors de la récente canicule. Idem pour les bornes de paiement du parking à l’aéroport. Mais bon, au rythme des retards et des hésitations politiques, nous aurons bien le temps de revenir sur ce sujet avant 2030. Qui est pressé ?
De toute façon, il faut imaginer qu’une fois arrivés à Paris, les gros Américains devront prendre avec leurs valises géantes le métro et ses escaliers interminables, escalators en panne et agents toujours aimables. Ca leur fera de l’entraînement pour les jeux paralympiques à suivre ! Mais bon, là encore, il y a largement le temps d’approfondir le sujet.
Canicule : le circuit du froid à Blagnac
C’est simple, selon nos informations, l’aéroport de Toulouse ne dispose pas de chambre froide, sauf d’une petite morgue. Souvenez-vous, pendant la canicule de 2003, des camions frigorifiques avaient été réquisitionnés pour conserver les corps. Aujourd’hui, les douaniers de l’aéroport de Blagnac doivent en faire autant selon les arrivages devant être conservés au froid, les médicaments par exemple. Et quand ce n’est pas possible, faute de camions frigorifiques disponibles, ils entassent les palettes dans la petite morgue de l’aéroport, entre les corps, s’il y en a. C’est ça ou mettre le vaccin à la poubelle.
Pour comparaison, l’aéroport Saint-Exupéry de Lyon dispose de chambres froides adaptées à tous les chargements, jusqu’à – 25°, pour l’air liquide par exemple. A St-Ex., la société DHL compte à elle seule deux immenses entrepôts frigorifiques. Et il doit bien y avoir une morgue.
Question : que s’est-il passé à Blagnac ? Le programmiste avait pris un coup de soleil ? A la rédaction, nous aurions bien aimé creuser la question, et vérifier quel aéroport compte une chambre froide et lequel n’en compte pas et comprendre pourquoi. Mais le temps a passé et s’il y a mort d’homme, au moins il y a la morgue.
Canicule : le circuit du frais à Paris
La France a vécu un épisode caniculaire qui a duré une semaine. Une semaine ! De quoi mettre tout le pays en émoi. Ce qui pose question : comment font-ils à Athènes ou à Alger où les habitants connaissent ces températures tous les jours, tout l’été ? Ils se pendent ? Non. Ils survivent, et plutôt pas mal d’ailleurs. Ce qui invite à la constatation suivante : quand le temps est compté, il semble plus facile et plus rapide d’adapter l’homme – en changeant ses habitudes par exemple – à la ville chaude que d’adapter la ville à l’homme, surtout pour s’apercevoir cinquante ans plus tard qu’on s’est planté le compas dans l’œil.
Cela dit, pour en revenir à Paris. Puisqu’il semble que la politique de la capitale est de se garder contre le réchauffement de la planète dont le dernier épisode caniculaire serait l’exemple, deux remarques. La première est que les épisodes de canicule sont par définition finis. Même si la canicule à Paris dure deux mois, il en restera dix à se les geler et penser la ville du futur sous le seul prisme du réchauffement est un sacré raccourci des ennuis qui nous attendent. Mais admettons.
En ce cas, deuxième remarque, si c’est contre les effets du soleil qu’il faut agir, alors il faut construire en profondeur. Tout au long de cette semaine de canicule en plein cagnard, le parking de mon immeuble, en deuxième sous-sol, est resté admirablement frais et confortable. J’ai même pensé y inviter des amis pour une ‘tail gate party’, du nom de ces barbecues au cul du pick-up truck des Américains. Convivial à souhait et sans sudation désespérée.
Bref, pour se protéger de la canicule, rien ne sert de mettre des arbres sur les toits, construisons profond, d’autant que l’agriculture hors-sol, on sait faire. C’est Dominique Perrault qui a raison : enterrons-nous près de la machine à glaçons. C’est ce qu’avaient compris les habitants de Dune, des visionnaires sans doute. Hélas, je n’ai pas eu le temps de relire le livre…
A New York, le Chrysler Building ne voit plus la vie en rose
En mars 2019, l’AFP nous apprenait qu’à New York le fameux Chrysler Building avait été vendu, à perte, pour seulement 150 millions de dollars, alors que la valeur du terrain seul a été estimée à 679 millions de dollars fin 2017. Par quel mystère ?
Cette vente intervient dans une conjoncture difficile pour l’immobilier de bureau à New York en général, et à Manhattan en particulier, indique l’AFP, qui précise que «le quartier de Hudson Yards, sur la rive ouest de Manhattan, doit bientôt être achevé avec plus de 1,6 million de mètres carrés de bureaux et de logements flambant neuf, ce qui augmente encore la pression à la baisse pour les immeubles anciens».
Dit autrement, le building, qui n’est plus adapté à son temps, vaut mieux démoli que debout. Pour les émotifs, c’est le moment d’acheter les souvenirs. A la rédaction, on s’était dit que nous pourrions faire le tour de ce type d’éléphant en France. Puis le temps a passé et nous risquions de vexer quelques-uns.
Justice et piété bourgeoise sont dans un bateau, les SDF tombent à l’eau
Fin décembre 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé le permis de construire du centre d’hébergement pour sans-abri construit par Moon Architecture (Guillaume Hannoun) dans le XVIe arrondissement et vivement contesté par les riverains.
A cette annonce, les opposants au projet avaient du mal à cacher leur joie et proposaient, magnanimes, de n’expulser personne en plein hiver, au moins jusqu’à la fin de la trêve des expulsions. Certes le tribunal a reconnu des irrégularités dans l’obtention du permis de construire, ce qui a permis à Claude Goasguen, maire LR de l’arrondissement, de pérorer sur BFM TV : «Enfin, on reconnaît que ce centre a été ouvert d’une manière polémique», dit-il dénonçant le «passage en force» de la ville de Paris. «Ca va obliger le préfet à faire appel et ça va nous permettre de négocier le départ du centre», disait-il, étouffé de charité chrétienne. Il est vrai que cet homme s’est montré tout au long de cette affaire d’une grande dignité, d’une grande légèreté et pas du tout polémique.
Aux dernières nouvelles, le centre est toujours là mais, à la rédaction, nous aurions bien aimé planter notre bâton de pèlerin dans le marigot des petites ambitions crasses d’édiles obséquieux, juste pour voir jusqu’où montait le miasme nauséeux. Mais bon, souvent, pour cela, il suffit des odeurs. Brunes les odeurs.
Et c’est tout pour cette fois.
Christophe Leray