Une colère ? Une révolte ? Une chouannerie ? Des campagnes, et à Paris, monte un sentiment de frustration qui nourrit des rêves d’insurrection. Quoi les architectes ne seraient pas entendus ? Pas respectés ? Pas bien payés et matraqués ? Que fait l’Ordre ?
Justement, ça tombe bien, il y avait cet automne des élections ordinales. 100% de râleurs, 25% de votants. Et une victoire aux points qui tombe à pic.
De fait, la ministre des architectes est, entre poire et fromage, apparemment fort aise. Il lui revenait en effet de complimenter, le 3 décembre 2013, Catherine Jacquot, devenue quelques jours auparavant la première Présidente du Conseil national de l’Ordre des Architectes – la poire – avant de complimenter, le 16 décembre suivant, les trois lauréates des premiers ‘Prix Femmes Architectes 2013’ – le fromage.
Qui a dit que politique et architecture sont métiers de brutes ?
Pourtant, à regarder ces élections de plus près, des architectes grondent en quelques campagnes. En effet, des candidats de Défense profession Architecte (DpA) ont, dans l’Ouest notamment, remporté des régions entières tandis qu’à Paris, si l’UNSFA n’a pas fait recette, le syndicat ne veut pas rater le train de la fronde. DpA !!!!! UNSFA !!!!!
DpA, il y a peu, était encore un groupuscule dont les acteurs, à chaque congrès de l’UNSFA, faisaient sourire quand ils n’agaçaient pas, évoquant à chaque assemblée générale la création par Pétain de l’Ordre des Architectes et appelant à sa dislocation, sa disparition, son anéantissement.
D’ailleurs, la rhétorique groupusculaire demeure. «Si la voix de la sagesse ne pouvait être entendue, il reviendrait à DpA – eu égard au mandat qui est le sien – de prendre la responsabilité…», menace ainsi DpA dans un communiqué peu amène daté du 2 décembre 2013 et adressé à la toute nouvelle Présidente élue de l’Ordre. DpA se veut le porte-parole d’une «angoisse» qui, en lieu de «modernisation de la profession» (dixit Catherine Jacquot), craint un «assainissement». Fichtre ! Et pourquoi pas une épuration ?
«S’il s’agit de convaincre ceux qui n’ont pas de commandes (l’écrasante majorité) de s’orienter vers les ‘métiers de l’architecture’ ou tout simplement de disparaître, tandis qu’une toute petite minorité d’architectes se partagerait – espèrent-ils – les opérations de prestige, il lui [Catherine Jacquot] faudra comprendre que cette profession n’a pas décidé de se suicider», précise DpA en toute simplicité.
Cela écrit, si la communication parisienne de DpA laisse à désirer, ce ne sont pas de vieux bougres qui ont conquis des régions et grignoté des sièges un peu partout. A y regarder de plus près, ce sont nombre de petites et moyennes agences, plutôt jeunes qui, en moyennes et grandes villes, au travers de leurs associés – le plus souvent un actionnaire unique -, se sont emparés de l’appareil DpA. Oui, l’appareil comme on dit à Minsk.
Ces architectes-là en ont, d’évidence, gros sur la patate. La crise, en 2013, souvenez-vous. Dans DpA, ils ont entendu Défense profession Architecte. Et comme ils ont fait des études, ils savent que quitte à s’organiser, autant s’appuyer sur une marque existante. Ils sont apparemment de plus en plus nombreux à penser que ça sonne bien Défense profession Architecte.
Evidemment, les élus DpA ne représentent qu’une minorité de 25% de votants. Mais, dans l’Ouest et ailleurs dans le pays, il y a en ce moment le feu et la poudre. Imaginez la ministre des architectes obligée de se justifier lors d’un conseil des ministres de 2014 quant à cette soudaine pagaille, même chez les architectes ! «Que fait l’Ordre ?», pourrait s’inquiéter le premier ministre.
Surtout si ce dernier a déjà eu vent de la crise d’urticaire de l’UNSFA qui appelle à l’insurrection, pas moins, dans un communiqué rageur daté du 9 décembre 2013. «Cela fait des mois que le gouvernement s’acharne sur les professions libérales et que peu à peu il les asphyxie !». Diantre !
Pour ceux qui ne le savent pas, l’Union Nationale des Syndicats Français d’Architectes (UNSFA) est «l’héritière d’un long passé syndical professionnel [qui], depuis 1969, oeuvre au rayonnement de la profession d’architecte». Son communiqué (extrait) :
«Depuis des mois nous assistons à :
– L’asphyxie fiscale, avec un matraquage fiscal insupportable et la sur-taxation arbitraire de 40% des professionnels en BNC pour la CFE !
– L’asphyxie de la retraite, avec une nationalisation de notre système de retraite pour que l’Etat puisse ponctionner nos réserves, comme si les 30% de nos cotisations reversées à la compensation nationales ne suffisaient pas !
– L’asphyxie du dialogue social, avec une marginalisation des entreprises libérales alors qu’elles représentent près de 27% des entreprises et 2 millions d’emplois. Le gouvernement qui n’écoute que les grandes entreprises du CAC 40 veut nous imposer les mêmes contraintes démesurées qui tuent nos entreprises, qui sont essentiellement des TPE !
Face à ce constat, le mouvement (sic) ‘les professions libérales asphyxiées’ vient d’être lancé par l’Union Nationale des Professions Libérales. Membre fondateur de l’UNAPL, l’UNSFA soutient ce lancement».
D’évidence, l’UNSFA est diplomate en diable, ainsi lancée au secours du matraqué fiscal comme d’aucuns volent au secours de la victoire, avec logo idoine inspiré de la marche des potes.
Si les barbons et jeunes pousses de la rue Raspail s’y mettent aussi, elle fait comment Aurélie ?
Au-delà des rhétoriques guerrières, à bien y regarder et bien écouter les arguments des uns et des autres, n’y a-t-il pas en effet de quoi s’interroger ?
En tout cas, le mécontentement est palpable.
Que fera l’Ordre nouveau de Catherine Jacquot vainqueure, en mouvement, de cette élection ?
Rien d’autre sans doute que l’ordre du jour que lui confèrent ses prérogatives déléguées par l’Etat. Ni plus ni moins, sauf à ne pas respecter la loi.
«Vraiment Aurélie, vous voulez dire que les architectes en ont marre de se faire mettre ?», pourrait s’enquérir, ne serait-ce que par curiosité, le premier des ministres. «Que fait l’Ordre ?».
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur le Courrier de l’Architecte le 11 décembre 2013