Dans le quartier de Bas de la Rivière à Saint-Denis (La Réunion), l’agence Co-Architectes travaille au chantier du futur siège de l’Ordre des Architectes La Réunion-Mayotte (COARM). Une échelle de projet minimale pour une expérimentation territoriale maximale. Visite d’une méthode plus que d’un projet.
Le futur site du COARM est situé dans le quartier de Bas de la rivière, proche de l’entrée est du chef-lieu. Il investira une ancienne « kaz Satec », souvenir des efforts de construction des années soixante pour résorber l’habitat insalubre, sur le modèle de l’architecture créole. La structure en béton est économique, le plan simple, ce qui rend ces maisons aujourd’hui facilement réutilisables pour bien des usages. Ici, il s’agissait d’être pragmatique : la réhabilitation ne partait pas d’une idée patrimoniale mais de la réutilisation d’un bâtiment adaptable qui pouvait encore faire son temps.
Le COARM était le seul ordre régional à ne pas être propriétaire de son siège. Avec ce projet, il cherche à investir à son échelle mais aussi dans un quartier en devenir. Le COARM a lancé un concours en 2020 auquel seulement quatre agences locales ont répondu. Etonnant ? Pas tant sans doute au regard du tissu des ateliers locaux et de l’échelle du projet (« seulement » 130 m² avec l’extension). Sans compter qu’il n’est jamais aisé de se faire juger par ses pairs lorsque tout le monde se connaît !
Pour le concours, l’agence Co-Architectes, accompagnée de Adhoc paysagiste et EMCI pour la structure, installée à Saint-Pierre, dans le sud de l’île, propose une surélévation légère en bois d’un étage de la maison qui en compte déjà deux. Le projet conserve l’aménagement libre du rez-de-chaussée pour des bureaux et de l’espace extérieur pour l’organisation d’événements et d’expositions dans la veine de ce qui avait commencé à apparaître avant l’épidémie de Covid.
Bien plus qu’un projet, c’est cependant sur une méthode que l’agence a été retenue.
Le constat est simple. Sur ce petit caillou du bout du monde, tout est importé et comme ce qui entre sort, chaque déchet est exporté. Le coût financier et environnemental est hallucinant et il est plus que temps pour les architectes de l’île de prendre en main ces questions de gestion des ressources, des matériaux et des déchets. « C’est notre siège. Il devait être démonstrateur des façons de construire sur l’île en 2022 pour que notre démarche ait du sens », explique Marine Martineau, architecte du projet pour Co-Architectes.
L’idée directrice : réutiliser et réemployer le plus possible. « Nous nous sommes ainsi davantage engagés sur une démarche que sur une forme », dit-elle. « L’esthétique du projet suivra en fonction des ressources locales. Notre méthode est citoyenne et, au stade du concours, rien du dessin n’était arrêté », précise la femme de l’art.
« La méthode comportant quelques incertitudes, nous avions cependant sécurisé la demande initiale de notre maître d’ouvrage en installant dès le concours les bureaux du COARM au rez-de-chaussée de la case en nous focalisant sur le confort bioclimatique », poursuit l’architecte, confirmant que le projet ne fait appel qu’à la ventilation naturelle. L’efficience de ce système est prouvée chaque jour. Lors de la visite de Chroniques, il faisait déjà 32°C à 11h30 du matin mais la température à l’intérieur de la maison était parfaitement agréable grâce aux courants d’air et aux occultations solaires. La salle du conseil pouvait alors prendre place dans la surélévation.
C’est en 2021 que l’expérience a démarré, par une gigantesque « chasse aux trésors des ressources » de l’île. Pour y arriver, l’agence a fait appel aux agences consœurs, aux maîtres d’ouvrage et aux entreprises, avec le concours du COARM. Un questionnaire permettant de déterminer les ressources et les délais possibles d’obtention a été diffusé. Les SEM locales se sont montrées particulièrement impliquées. Les bailleurs publics réunionnais font en effet face à un parc d’habitat sinon insalubre au moins vieillissant et le réemploi des ressources est un des enjeux futurs des réhabilitations à venir.
Cette chasse aux trésors a permis de dresser un premier inventaire des ressources et notamment de leur disponibilité. La difficulté du projet était de faire avec le temps des autres chantiers de l’île pour mettre en place un calendrier relativement fiable d’obtention des matériaux dans le délai de l’opération, qui est court. Le chantier doit en effet durer six mois et l’île, comme la Métropole, connaît des retards de chantier de plus en plus impactant.
Une autre difficulté majeure fut le chiffrage initial de l’opération. Là aussi, l’expérimentation a fait quelques émules, notamment auprès des entreprises qui travaillent sur le chantier. Que ce soit l’entreprise de structure, rompue à la réhabilitation (S2R), le charpentier de EBOI et ses compagnons dont l’art de faire avec le matériau est une fois de plus un atout, jusqu’à l’entreprise Paysage qui a démontré une grande sensibilité au réemploi, chacun sur le chantier a su s’adapter grâce à sa connaissance des matériaux.
L’inventaire à l’échelle insulaire a ainsi permis de débusquer un lot de pin douglas en lamellé-collé de belle qualité qui avait perdu sa traçabilité dans la revente d’une entreprise. Dans une démarche de réemploi, la ressource pouvait être utilisée et ne pas être renvoyée par container. « Nous n’aurions pas pu imaginer donner à la surélévation du bâtiment une ossature en douglas, qui est un matériau très cher, d’autant plus sur l’île », souligne Marine Martineau.
Tout ce qui n’est pas réemployé sera de provenance locale. Le bois de parement sera en cryptomeria, un bois qui pousse dans les forêts de l’île, sans en être endémique. Faire avec le local reste dans le contexte réunionnais très difficile. Six mois plus tard, le cryptomeria s’étant raréfié face à la demande, il était devenu plus cher que le pin d’import. « Le réemploi dans un contexte insulaire a de fait un autre avantage puisqu’il permet de préserver le fragile équilibre de la ressource locale », signale l’architecte, née sur l’île.
Pour le siège du COARM, la démarche habituelle de conception est inversée. Alors que les architectes sont amenés généralement à concevoir du sur-mesure, chaque bâtiment pouvant être unique grâce à la mise en œuvre de matériaux adaptables au projet initial, c’est le type de ressource et sa disponibilité qui ont dicté la conception du projet. Dans ce projet de réhabilitation en réemploi, l’architecte a aussi appris à s’adapter.
L’aventure a d’ailleurs été soutenue par la MAF, dans la mesure où il n’y avait pas de changement de destination des matériaux réemployés dont la mise en œuvre pouvait être considérée comme relevant de techniques traditionnelles. Même le contrôleur technique a joué le jeu en proposant de limiter sa mission à la structure et aux fluides afin de garantir la sécurité des personnes. La surélévation est ainsi pensée davantage comme une varangue, la loggia locale, sans obligation d’étanchéité de façade. Autre exemple avec les menuiseries qui seront réutilisées sans certification bien que refaites à neuf, et que la conception architecturale saura pallier en cas de risques mineurs de non-étanchéité.
L’expérience a pu voir le jour et être soutenue par tous grâce à son échelle : 130 m². Alors que des bureaux d’études s’intéressent de plus en plus à ces problématiques en métropole, il manque sur l’île une dynamique portée par des acteurs locaux et politiques, une certification locale permettant une plus grande échelle de conception. Le réemploi à La Réunion est cependant en bonne voie grâce à l’Université de la Réunion qui œuvre avec le laboratoire Piment aux questions de formation. Si les acteurs sont bien formés à la dépose et à la démolition, ils ne le sont pas encore sur les questions de réutilisation. Enfin, l’association du BTP, CER Réunion, toujours avec l’appui de l’Université de La Réunion, mène des audits dans la volonté de créer une plateforme de réemploi « pei ».
Pour faire bouger les lignes, l’architecte seul ne peut rien imposer à son maître d’ouvrage. Pour le futur siège du COARM, Co-Architectes a su impulser une dynamique régionale dont il est permis de penser qu’elle n’est qu’à ses prémices.
Alice Delaleu
* Péî, prononcé pays, en créole réunionnais, signifie « local ».