Au fil du temps, des dossiers sont ouverts, parfois sur des sujets périphériques ou ardus, avec l’idée qu’il y a là peut-être matière à creuser. Et puis le temps passe et quelques-uns de ces dossiers n’atteignent jamais le haut de la pile, question de priorité. En témoignent ces cinq éditos auxquels vous avez (presque) échappé en 2023.
Manque à gagner architectural ? Les architectes au feu du volcan !
Tiens, au détour d’une lecture, d’apprendre que seulement 96 000 logements sociaux ont été financés en 2022 contre 126 000 en 2016.
Les architectes souvent aiment les mathématiques, alors faisons le calcul. Il y a donc eu 30 000 logements en moins de construits en 2022 par rapport à l’année de référence 2016, soit pour simplifier 300 opérations de 100 logements qui ont disparu du carnet de chantier des architectes.
Mettons à la louche un budget de 20 M€ pour 100 logements sociaux de qualité : 300 opérations x 20 M€ = 6 Md€ de travaux disparus ! Six milliards d’euros évaporés ; ils n’ont même jamais existé ! En un an, une paille !
Alors évidemment, comme le métier des architectes est de construire, c’est autant de travail qu’ils n’ont plus. Encore ne s’agit-il là que de l’année 2022, faites le compte depuis 2016 et ajoutez 2023 et nul ne s’étonnera plus du désarroi de nombre d’architectes. 2016 ? Juste avant l’arrivée au pouvoir de Vulcain ex-Jupiter et de son « choc de l’offre » ? Un choc tel un uppercut, comme on dit dans la start- up nation, qu’aujourd’hui les Majors mêmes crient misère en préparant des plans sociaux historiques !
Ce serait drôle si…
Bref, le désastre de la crise du logement sous Macron, nous n’avons pas fini d’y revenir et cet édito pouvait peut-être attendre…
La FSEA témoigne des mauvaises habitudes sanitaires des étudiants en architecture
En 2023, la Fédération Sportive des Écoles d’Architecture (FSEA) – ça existe – a révélé les résultats de son enquête nationale intitulée : la santé et le sport en école d’architecture. Il fallait y penser ! Ces chiffres, qui font suite à une précédente enquête menée en 2017, ne laissent pas d’étonner.
L’échantillon de l’étude représente un peu moins de 7 % de l’ensemble des étudiants des 21 Écoles Nationales Supérieures d’Architecture et de Paysage de France (ENSA.P / ESA), soit 1 504 étudiants. 74 % des participants à l’enquête sont de sexe féminin, contre 23 % de participation de la part du sexe masculin et 3 % de personne ayant répondu « autres » ou n’ayant pas répondu.
Que dévoile l’enquête ?
Premier enseignement : les étudiants en école d’architecture et paysage ne dorment en moyenne que 6h29 par nuit. C’est seulement 6 minutes de plus qu’en 2017 et toujours une heure de moins qu’une personne entre 15 et 30 ans. Ce nombre d’heures de sommeil se voit réduit durant la semaine précédant un rendu. Durant cette période, 36 % des étudiants dorment moins de 4 heures par nuit.
Devenir architecte, un rêve éveillé ?
Deuxième enseignement, qui découle du premier. Pour pallier le manque de sommeil, les étudiants ressentent le besoin de prendre des substituts, tels que des encas, des boissons énergisantes, du café ou des substances dangereuses, tels que des médicaments, de l’alcool ou encore de la drogue.
Cela démontre, indique la FSEA, un réel problème lié à une quantité de travail trop importante dans une journée, forçant certains étudiants à trouver un substitut au sommeil pour pouvoir continuer à travailler même la nuit. Seulement 0,5 % des étudiants estiment n’être jamais fatigués.
Étudiants d’architecture, Sex & Drugs & Rock & Roll?
Troisième enseignement, qui découle des deux premiers : la dégradation notable dans les habitudes alimentaires des étudiants en période de rendu, liée à la surcharge de travail et au manque de temps pour cuisiner. Ces mauvaises habitudes alimentaires sont renforcées par des emplois du temps trop contraignants, et/ou un éloignement entre les écoles et les points de restauration CROUS, permettant de s’alimenter à un moindre coût. Ces contraintes poussent les étudiants à manger en quantité et en qualité réduite, voire à sauter des repas. L’enquête montre que 16 % des étudiants sautent des repas au cours de l’année.
À Belleville, la bohème et ne manger qu’un jour sur deux ?
Et le sport donc… Etc.
Il y avait vraiment de quoi exciter la curiosité. D’où sort cette enquête ? Une Fédération Sportive des Écoles d’Architecture ??? Hélas, ces mauvaises nouvelles ne sont finalement pas si nouvelles et, concernant la pauvreté des étudiants en France, surtout celle de ceux en architecture, elles sont toujours mauvaises. Et puis le temps a passé…
Métabolisme urbain : coup de sang ?
En mars 2023 est apparu soudain dans les communiqués de presse le concept de métabolisme urbain, défini comme suit : « la mise en œuvre de la démarche de métabolisme urbain part de l’étude des flux de matériaux entrants et sortants à l’échelle du territoire qui se voit ainsi représenté comme un écosystème. Il constitue un projet de développement endogène en se réappropriant la matière déjà présente sur le territoire. Elle offre l’opportunité de transformer le territoire avec ses propres ressources ».
Métabolisme urbain ? Aux dernières nouvelles, le métabolisme est, selon le Larousse, « l’ensemble des transformations chimiques et biologiques qui s’accomplissent dans l’organisme ». Chimique, et on ne vous parle pas du glyphosate, et biologique sont les mots-clefs. Les flux de matériaux comme les flux du sang dans un organisme chimique et biologique ? Bref la ville serait vivante car irriguée de tuyaux destinés à la surconsommation et aux poubelles ?
Depuis longtemps l’homo occidental a perdu la frontière entre l’animal et le doudou mais l’anthropomorphisme appliqué à des villes entières, c’est de l’animisme puissance mille. Et la ville va se réveiller et nous avaler tout cru ?
Métabolisme urbain, qu’est-ce que cela pouvait signifier ? J’ai bien trouvé une étude de l’Observatoire Qualité de Vie Urbaine intitulée : « La psychologie urbaine est essentielle au bon développement de la cité », ou encore « Les études de métabolisme territorial État des lieux et perspectives » publiées en 2021 par l’Institut Paris Région.
Je me suis dit qu’il y avait peut-être de la place pour explorer cette ville vivante, la jungle de béton comme disait Bob Marley. Métabolisme urbain donc. J’ai attendu, attendu, attendu… Il ne s’est rien passé. Apparemment le concept ne fait pas florès… Pas comme Bob Marley…
Des poules ou des pigeons ? Les œufs pourris de l’architecture…
Le 20 novembre 2023, Le Monde expliquait que l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France « maintenait sa recommandation de ne pas consommer les œufs de poulaillers domestiques de l’agglomération parisienne » après la mise en évidence de « teneurs importantes » en dioxines, furanes, PCB et PFAS, quatre familles de polluants organiques persistants (POP) dangereux pour la santé. Au total, plus de 90 % des œufs analysés sont non conformes aux valeurs seuil, précise le quotidien. L’info avait déjà été relatée en avril par Le Parisien lorsque l’ARS avait émis sa première recommandation.
Les œufs, apprend-on, sont des marqueurs très utilisés en toxicologie pour caractériser la pollution de l’environnement. Or, selon l’ARS, ces résultats confirment une « contamination généralisée » des sols à l’échelle du territoire urbain francilien. « Contamination ? » ; « Généralisée ? » Whaow !
Les œufs pourris, en quoi cela concerne-t-il l’architecture ? Mais nous y sommes quand dans toute l’Île-de-France fleurissent fermes urbaines et potagers partagés. Parce que si le fond de l’air n’est pas bon pour les œufs, alors les légumes poussés sur le balcon… Bref, il va falloir revoir fissa la doctrine du circuit urbain super court ou l’intituler s’empoisonner pour les nuls. Et que vont devenir les marchands de poulaillers ?
Quelle est l’alternative si les œufs du jardin écolo sont immangeables ? Manger des œufs industriels certifiés sans polluant ? S’empoisonner avec bonne ou mauvaise conscience en somme. Toujours est- il que les œufs sont la source de protéines la moins chère du marché et que, naturellement, de la poule et de l’œuf ne restera bientôt plus ni l’un ni l’autre.
J’aurais bien aimé écrire un édito du genre La ferme urbaine aux œufs immangeables est-elle réversible ? Mais le temps passe et puis on ne fait pas d’omelettes sans …
Bâtiments de Justice : les principes architecturaux évoluent
« Bâtiments de Justice : les principes architecturaux évoluent » est le titre de l’alléchant communiqué de presse du ministère de la Justice ayant organisé le lundi 19 juin à la Cité de l’architecture le colloque « ministère de la Justice bâtisseur » portant sur « l’immobilier pénitentiaire et judiciaire », comme disent les poètes. L’évènement clôt par Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre aujourd’hui blanchi de la Justice, a réuni « de nombreux sociologues, historiens, architectes, magistrats et directeurs d’établissements pénitentiaires ».
« Au cours des siècles, la conception architecturale extérieure et intérieure n’a cessé d’évoluer en s’adaptant aux transformations sociétales et politiques. Si l’architecture des bâtiments continue de symboliser l’État de droit, et notamment la prérogative de juger et d’enfermer, elle porte aussi un message de proximité et d’ouverture sur la société », expliquait sobrement le communiqué de presse.
Après un TGI aux allures de siège social d’une Major du bâtiment et avant des émeutes historiques, le débat s’annonçait intéressant. Hélas le colloque tombait un lundi, jour compliqué pour Chroniques, hebdomadaire publié le mardi.
Pour autant, puisque le garde des Sceaux a clos ce colloque en soulignant « la convergence entre ces deux univers architecturaux et leur rôle pour affirmer un État de droit républicain et respecté ainsi que la place centrale des architectes dans l’écriture de l’histoire architecturale, passée et à venir du ministère », j’étais sûr de voir bientôt passer des audaces architecturales propres à symboliser une justice française conquérante, juste et fraternelle.
Le temps a passé et sœur Anne ne voit toujours rien venir en guise d’évolution des principes architecturaux des Bâtiments de Justice. D’où cet édito en attente.
Pour autant qui, comme la justice, est pressé ? Nos descendants auront donc, à ce sujet, le temps d’y revenir !
Christophe Leray