D’habitude, un président, entouré d’experts, propose un projet que le gouvernement, entouré d’experts, met en œuvre. Ce projet, ou programme, est ensuite expliqué par la presse au public afin qu’il en comprenne les tenants et aboutissants. Aujourd’hui, en France, c’est l’inverse. Ce sont les citoyens qui proposent et le président qui essaye de se faire une idée. Des experts les citoyens ?
Voyons, les 150 Conventionnels, comme on les appelle. Ces 150 citoyens tirés au sort ont le 21 juin 2020 remis à Elizabeth Borne, ministre de l’Ecologie, leur rapport final de 600 pages de la Convention citoyenne sur le climat. Parmi eux, nous explique-t-on à l’envi, étaient « des lycéens, des médecins, des sapeurs-pompiers ou des agriculteurs, âgés de 16 à 80 ans, originaires de toutes les régions ». Tous ensemble, après neuf mois de travaux, ont donc fait 150 propositions pour le climat que le Président s’est engagé à considérer « sans filtre ».
Reprenons : quel était le projet initial sur lequel ce président a été élu ? Il y avait certes le concept de ‘start-up nation’. Une réussite tant nous voyons aujourd’hui en effet le pouvoir toujours plus grand des GAFAM et la surveillance numérique généralisée à grande échelle qui nous accable. Mais pourquoi, dès le départ, avoir besoin pour exprimer sa politique d’un concept étranger, développé à l’étranger dans une culture étrangère ?
Ou le concept était-il suffisamment vague pour la majorité des Français qu’il permettait d’en cacher la vacuité ? Start-up nation, comme l’Amérique de Donald Trump par exemple ? Ou alors ‘Nation entreprise-naissante’ en bon français, comme ‘la-France-doit-être-gérée-comme-une-entreprise-et-à-l’ENA-la gestion-ça-nous-connaît’ ? Start-up, opposé par exemple à la gestion ‘père de famille’ de Nicolas Sarkozy ou ‘normale’ de François Hollande ?
Voyez que ce n’était pas clair dès le départ…
Plus clair en revanche semblait la notion du « en même temps », que tout le monde croyait avoir comprise. Erreur, la politique menée ressembla vite au projet de François Fillon, candidat malheureux qui doit se dire aujourd’hui que la France ne s’en porterait pas plus mal en ayant fait confiance à l’original plutôt qu’à la copie. Toujours est-il que, après moult baisses d’impôts d’un programme que n’auraient pas renié les Bush père et fils, le ruissellement s’est transformé en inondation de gilets jaunes puis en une grève des transports de proportions homériques. Un vrai savoir-faire !
Alors, le 13 janvier 2018, souvenez-vous, le président de la République adressait déjà aux Français un très long courrier de cinq pages et d’environ 14 000 caractères qui égrenait comme une litanie les questionnements de son auteur. En effet, Emmanuel Macron invitait dans ce long texte les Français à « évoquer n’importe quel sujet concret dont [ils auraient] l’impression qu’il pourrait améliorer [leur] existence au quotidien ». Le chef de la nation évoquait des pistes de réflexion à travers trente-cinq questions réparties en quatre grands thèmes : la fiscalité, l’organisation de l’Etat, la transition écologique et la citoyenneté. Rien que ça !
Dans ce courrier, le président indiquait ne pas avoir « oublié [avoir] été élu sur un projet, sur de grandes orientations » auxquelles « vous [les Français] entendez demeurer fidèles ». Une rectitude honorable, d’ailleurs les architectes aiment bien cette notion de projet. Mais quelques lignes plus loin, à la fin du même paragraphe, il écrivait : « Nous devons inventer un projet productif, social, éducatif, environnemental et européen nouveau, plus juste et plus efficace. Sur ces grandes orientations, ma détermination n’a pas changé ». Faudrait savoir : il y avait un projet ou restait-il à inventer ? Et s’il faut au moins 34 ou 35 questions et les propositions de lycéens, médecins, sapeurs-pompiers ou agriculteurs de 7 à 77 ans pour le faire évoluer, ce n’est plus un projet mais une auberge espagnole. Si un architecte raconte tout et son contraire en quatre lignes à son maître d’ouvrage, il ne construira pas grand-chose !
Le président et ancien ministre des finances, dans sa missive, demandait également aux Français à cette occasion, dans un louable effort d’attention après avoir massivement baissé les impôts des plus riches : « comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? » Bonne question, suivie immédiatement par une autre : « quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ? »
Ha, parce que pour le président, la solution ne passe que par la baisse des impôts ? Il n’y a pas selon lui d’alternative ? En vérité, voilà une position convenue que ne reniera aucun populiste. Pourtant même les milliardaires américains réclament à Donald Trump plus impôts, et pas pour construire un mur ! Pourquoi alors ne pas en effet demander aux Français quels impôts devraient augmenter ? Si vous leur posez la question ainsi, 150 conventionnels sauront proposer des solutions consensuelles.
De fait, quels sont – comme ça, de mémoire – les résultats notables du grand débat, à part les milliards tombés du ciel comme par miracle ? Pourtant la seule section « Transition écologique » avait reçu plus de 60 000 contributions de la part de lycéens, médecins, sapeurs-pompiers ou agriculteurs, âgés de 16 à 80 ans et originaires de toutes les régions. En réalité, en 2019, l’acte II du quinquennat s’est poursuivi « en même temps » tout comme avant. Les marcheurs parisiens de la grande grève s’en souviennent encore !
Mais une somme de 60 000 contributions n’était sans doute pas suffisante pour se faire une religion et voici à nouveau Emmanuel Macron, après une autre crise – la pandémie – gérée avec aisance, qui reçoit les 150 membres de la « Convention citoyenne pour le climat ». A noter que la même tactique a été utilisée puisque les conventionnels devaient répondre à une question précise, et une seule : « comment réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 dans un esprit de justice sociale ? ». Vaste sujet, plein de ramifications complexes. Pourquoi 40% d’ailleurs ? Et si quelqu’un avait une idée pour les réduire de 80% dès demain – cf Covid – cela ne compte pas ?
Surtout, avant d’être président de la République, Emmanuel Macron fut ministre de l’Economie. Depuis le temps, il n’avait donc personne autour de lui pour se pencher sur la question afin de lui permettre, sur un tel sujet, de faire des propositions aux Français ? Voilà qui est surprenant ! Quel est donc ce président, également chef de guerre comme il en fit la démonstration au printemps 2020, qui a besoin que les Français lui disent quoi faire ?
Alors évidemment, comme il fut bien précisé aux conventionnels dès le début de leurs ateliers respectifs, c’est le consensus qui devait guider leur action, d’où en effet presque 150 propositions adoptées par acclamation. Même s’il y a bien évidemment matière à discuter, elles sont dans ce format par nature consensuelles et nappées de résolutions bien humanistes. Qui n’a pas envie (du moins publiquement) d’aider les pauvres ?
L’exemple de la voiture est significatif. Les conventionnels ne se débarrassent pas de la voiture – eux-mêmes l’utilisent sans doute tous les jours et ne peuvent guère imaginer vivre sans – et veulent juste qu’elle soit moins polluante avec une prime pour l’achat d’une voiture ‘propre’, comme disent les communicants des constructeurs.
Pourtant, entre une voiture ‘propre’ toute neuve bardée d’électronique truffée de terres rares importées sous les fourches caudines de la Chine et une voiture datant de 1995 jamais remplacée et remplissant encore parfaitement sa fonction de déplacement d’un point A à un point B, laquelle présente le meilleur bilan carbone ? Mais les bons citoyens préfèrent bannir les vieilles autos. D’ailleurs les 150 souhaitent « très fortement » augmenter les malus pour les voitures polluantes, parce qu’évidemment les voitures propres ne polluent plus, comme on dit chez Volkswagen et consorts.
Sans compter que le site de Nokia à Paris-Saclay, qui accueille notamment la branche de R&D particulièrement active dans l’écosystème de Paris-Saclay dans les domaines de la 5G, des véhicules connectés et des mobilités autonomes, a par exemple annoncé le 22 juin un plan social pour 831 emplois sur ce site. Alors la voiture propre ou autonome, ce n’est peut-être pas forcément une bonne pioche !
Bilans Carbone, gros passif, peu d’actifs
De fait, parmi les propositions pour une société décarbonée, outre la systématisation des labels sur tous les équipements, comme si nous en manquions, les citoyens proposent dans leur grande sagesse que les entreprises rendent public leurs bilans carbone. « Les sociétés ayant un bilan positif bénéficieront d’un bonus, et les aides, avantages fiscaux, obtention de prêts seront conditionnés aux résultats de ces bilans carbone », explique Le Monde (21/06/2020).
Cela vaut-il justement pour les fabricants de voitures ? Les usines d’armement et de pesticides de notre glorieuse industrie devront-elles s’y soumettre ? Quel est le bilan carbone d’un missile sol-air ou d’un char d’assaut ? Et un bonus, quelle idée innovante ! Les avocats d’affaires sont déjà au travail. Ce bonus viendrait-il en complément du Crédit d’Impôts recherche (CIR) et autres allégements de charges supplémentaires ? Il est aisé d’imaginer déjà les communiqués triomphants de Total et de la FNSEA ! Les voitures propres compteront sans doute dans ce bilan carbone mais l’artisan proche de la retraite avec sa vieille camionnette toujours d’attaque se prendra lui le malus plein pot !
L’enfer est pavé de bonnes intentions et ces 150 citoyens consensuels n’en manquent pas qui reprennent à leur compte et recyclent dans leur rapport toutes les antiennes du jour. Ils auront sans doute le sentiment du devoir accompli quand sera votée la première loi des 150, et les députés de se rengorger, peu importe si les décrets d’applications sont publiés à la Saint-Glinglin, ce qui est peu ou prou déjà le cas pour la moitié de leurs propositions d’ores et déjà introduites dans la loi ou les réglementations.
Evidemment, pas un mot sur la conception-réalisation qui pollue leurs villes et leurs campagnes, leurs espaces de vie et de travail calculés au cm² à coups de fichiers Excel de la start-up nation !
Depuis trois ans qu’il est élu, le président nous prépare donc un acte III post-Covid, le rapport de cette convention citoyenne tombant à pic. La question demeure : une fois au milieu du gué, c’est bien gentil de demander aux citoyens ce qu’ils veulent mais, normalement, ces débats-là ne sont-ils pas tranchés en amont lors d’une élection démocratique ? C’est le but d’un projet présidentiel. Ou alors le président fait des recherches pour 2022…
L’élection démocratique justement. Le second tour des élections municipales a lieu le 28 juin 2020. Candidate de la LREM à Paris, Agnès Buzyn est celle qui a démissionné de son poste de ministre de la Santé juste avant la crise du Covid et qui, après une cuisante défaite au premier tour, a parlé de cette élection comme d’une « mascarade ». Miracle de la politique française, à peine la campagne déconfinée, la même est toujours la candidate du parti du Président. Dans quel autre pays pourrions-nous assister à une telle « mascarade » (bis) ? Ici, le pire de l’ancien monde et le pire du nouveau monde en somme. Ne dirait-on pas de la politique « de dingues » ?
Pour le coup, Emmanuel Macron sait déjà ce qu’en pensent les Parisiens sans avoir besoin d’un grand débat ou d’une convention citoyenne. Voilà pour lui au moins une certitude, c’est toujours ça de pris.
Christophe Leray