S’il ne l’était déjà, crise sanitaire oblige, le logement est devenu un sujet crucial, tant sur la question de l’espace habité que pour les questions économiques qui le soutiennent. Dans une France qui tient le discours du tous propriétaires, que restera-t-il de ce modèle quand la crise sanitaire sera devenue une crise économique ?
L’économie du logement pourrait-elle devenir problématique à court terme ? Pour trouver des éléments de réponse, commencer avec les copropriétés : Grigny 2, un exemple édifiant entre tous.
Face à la Grande Borne d’Emile Aillaud, la deuxième plus grande copropriété d’Europe, Grigny 2 : 5 000 logements, 17 000 habitants, 100 immeubles. Lors de sa construction, Grigny 2 était destinée aux cadres d’Ile-de-France avec de beaux appartements modernes et des loisirs en pied d’immeuble. Un détail sans doute mais les copropriétaires sont alors tenus, en plus de l’entretien de leur immeuble et des réseaux, de payer l’entretien de la voierie, des parcs et jardins communs, du centre commercial, et des parkings sous-dalle.
Dès la fin des années 70, les cadres ont commencé à laisser place à des populations de plus en plus modestes, jusqu’à une dégradation complète de l’ensemble avec une dette de plusieurs millions d’euros répartie entre le syndicat principal et les 27 syndicats secondaires. Situation dramatique pour des propriétaires dont le revenu annuel est d’environ 9 000€.
Grigny 2 bénéficie du soutien de l’Etat à travers le plan Initiative Copropriété, piloté par l’Anah, qui va permettre sur le (très) long terme de tenter de revenir à la normale. Épaulé par une Orcod-In (Opération de Requalification des copropriétés dégradées d’Intérêt National), piloté par l’EPF d’Ile de France, le traitement est juridique (retour à une gestion syndicale pour chaque immeuble), d’urgence (les travaux de sécurité sur les façades, ascenseurs et les réseaux sont financés à 100%) et de lutte contre l’habitat indigne (marchands de sommeil* et permis de louer, et achat de logements par l’EPF d’Ile de France pour intégrer le parc social). Les espaces communs sont déjà passés sous la gestion de la ville.
Désenclaver, récupérer, peu à peu. Mais pour cela, il faut du temps, pas avant 2025. La ville poursuit avec la « gestion urbaine de proximité », la gestion du temps commun, la construction d’un projet urbain et la remise en état petit à petit du quartier. Il faut gérer l’attente du retour à la normale et construire ce retour à la normale.
Parler de Grigny, c’est évoquer la copropriété la plus endettée de France, celle qu’il faut sauver coûte que coûte. Grigny, le paroxysme d’une dérive qu’il est important de mesurer et d’observer pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise à nouveau.
Mais qu’en sera-t-il avec la crise économique qui menace la sortie de crise sanitaire ? Pour l’instant la perfusion fonctionne sur les emplois et les entreprises. Déjà, logiquement, le chômage augmente et quand les aides de l’Etat s’arrêteront, le risque est grand d’une défaillance.
Les premiers touchés seront les plus précaires, déjà malmenés, le recours accru aux aides alimentaires en étant déjà un signe. Avec des taux historiquement bas, les Français quel que soit leur revenu ont encore été incités malgré tout à devenir propriétaires. La bise étant venue, les impayés de charges en copropriété sont potentiellement devenus une bombe à retardement. Il va falloir prévenir mais aussi, possiblement, intervenir.
Parmi les résidences principales en France, 28,1 % des logements appartiennent à une copropriété privée, soit à peu près sept millions de logements. La copropriété est un statut particulier où chaque propriétaire se trouve forcément lié à son voisin de palier par les contraintes de communs. Les charges médianes par ménage en France sont de 1 800€ selon l’INSEE. Charges acquittées trimestriellement pour l’entretien de l’immeuble mais aussi pour les grands ensembles, potentiellement de la voirie, des espaces verts.
Preuve du sérieux de la menace, le sujet de la défaillance des copropriétaires, qui peut entraîner la copropriété dans une spirale infernale, a mis en alerte les services territoriaux et l’État, un observatoire des charges impayées étant d’ores et déjà en cours d’élaboration.
La crise sanitaire a été révélateur de l’importance du logement, les conditions de l’habiter. Quelques tribunes ont invité à mieux penser les nouveaux logements**, à réfléchir sur le nombre de m² possible pour permettre de mieux habiter. Cependant la question primordiale n’est pas celle du neuf, qui représente peu ou prou la construction de 400 000 logements par an quand le parc résidentiel est de 36 millions. Se préoccuper du neuf revient à éviter le sujet principal.
Le neuf ne représente in fine qu’1% du parc immobilier annuel (logement, bureau et commerce confondus). Le problème du logement se situe avant tout dans l’ancien. Après tout, 85% des logements de 2050 sont déjà sortis de terre. Parmi ceux-ci, les copropriétés représentent potentiellement un problème urbain et d’architecture qui mobilise peu.
Julie Arnault
* Lire à ce sujet l’article Ce champion de la colocation forcée risque 10 ans de prison (Le Figaro avec AFP 18/01/21)
** François Leclercq, Jacques Lucan et Odile Seyler, « La taille et la qualité des logements doivent être un chantier auquel nous devrons nous atteler », Le Monde, 24 avril 2020.