Soudain, parmi les images qui inondent la rédaction, celle-ci (ci-dessus) pour un projet de 312 logements en résidence pour étudiants à Paris-Saclay, la banlieue cambrousse de Paris, une proposition signée de l’agence autrichienne Dietrich – Untertrifaller. Chacun sait qu’il ne faut pas se fier à une image de concours. Pour autant, que dit celle-ci du meilleur des mondes de demain ?
Situé à proximité de l’ENSAE Paris (l’École nationale de la statistique et de l’administration économique), de l’École polytechnique et du futur parc urbain du quartier, ce projet de 9 974 m² sous maîtrise d’ouvrage de CDC Habitat Social consiste, indique le communiqué daté de janvier 2022, en la construction de plusieurs immeubles de logements sociaux pour étudiants sur un niveau de parkings de 83 places, totalisant 370 lits.
C’est une surprise de retrouver Dietrich – Untertrifaller sur un tel projet de logements sociaux, la dernière fois que nous les avions vus en France était en 2016 avec la construction du Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg et en 2018 pour la livraison d’un lycée à Lamballe (Côtes-d’Armor). Sinon, pour leurs projets récents, une salle des expositions à Vienne (Autriche), une école en Allemagne et une tour en construction à Vienne, une résidence de logement pour étudiants justement.
Bref, il y a loin du Voralberg à Paris-Saclay.
Mais cette composition en plots, qui ont l’air d’avoir été posés là au pif et qui s’élèvent au-dessus d’une vaste pelouse – pardon, un jardin paysager –, cela ne vous rappelle-t-il rien ? Sarcelles et les villes nouvelles des années ’50 et ’60 peut-être ?
À l’heure des communautés bienveillantes et du vivre ensemble, des bâtiments autonomes les uns des autres avec quatre façades identiques ? Enfin, tandis que les espaces extérieurs sont désormais considérés comme un must au temps du Covid, ici ni balcon ni loggia ! Des bâtiments ‘non fumeur’ en somme.
Comment expliquer un tel plan masse en 2021 quand les risques d’une telle composition sont désormais connus ? L’optimisation des coûts par la répétition peut-être. De fait, toutes proportions gardées, on tire ces immeubles vers le haut et on est en Chine ! Qu’est-ce qui a prévalu au XXIe siècle pour qu’un tel projet soit retenu dans le cadre de la grande, l’immense, et pour tout dire incommensurable, université française de Paris-Saclay ?
Il est permis de penser qu’une ville ne peut pas être nouvelle quand elle s’appuie sur des projets aussi datés. « Le même dessin de plots à Montrouge, le maire est d’accord pour le démolir et on le fait en neuf à Saclay ? C’est inacceptable, c’est fasciste, antidémocratique, cela ne propose aucune vie sociale », s’emporte un architecte invité à commenter l’image.
Il est certain qu’au premier coup d’œil, bonjour la projection dans le futur pour l’élite de la recherche française !
La vérité est évidemment plus nuancée. D’une part, se souvenir en pleurant que la très grande majorité des projets de logements en France sont aujourd’hui conçus en plots, ZAC ou diffus. Donc, il n’y a après tout que peu de raisons de s’étonner.
D’autre part se souvenir encore que la composition en plots des années ‘60, quand elle est implantée à proportion humaine dans la végétation/la forêt, vit encore souvent très bien aujourd’hui. Les exemples ne manquent pas. Cela dit, peut-être que cette idée ne marche que dans des lieux qui vivent déjà bien en eux-mêmes. Toujours est-il que l’histoire, même en architecture, finit par se répéter. Les cités-jardins des années ’30 sont de retour en grâce et cela démontre qu’un concept daté peut être revisité et revitalisé. Bref, le dessin en plots, s’il ne nous rajeunit pas, fonctionne bien selon la qualité des espaces verts. Le même dessin ailleurs, avec des bacs à sable et des pelouses pelées, et c’est une catastrophe. Et à Saclay, le point de départ, c’est la tabula rasa.
Dit autrement, à imaginer déjà que tout ce qui a été mis dans le dessin soit effectivement planté, pour ces immeubles à R+5, ce sera peut-être formidable dans 25 ans quand les arbres feront huit ou dix mètres de haut.
Il demeure : pour symboliser l’excellence architecturale auprès de ces étudiants polytechniciens et future élite de la nation qui y passeront quelque temps, n’y avait-il pas sur cette parcelle moyen de faire autrement que l’inspiration Trente glorieuses ? Ben non justement.
Much Untertrifaller, associé de l’agence lauréate, souligne lors d’un entretien avec Chroniques s’être inscrit dans le « master plan » de l’urbaniste belge Xaveer De Geyter (XGDA) qui imposait une série d’immeubles de volume identique. De fait, huit étaient d’ailleurs prévus au départ mais Polytechnique ayant besoin d’espace pour un parking, il n’y a plus que six immeubles mais de cinq étages chacun au lieu de quatre. À part ça le tout atteindra une certification NF Habitat HQE construction niveau Excellent 7* et une labélisation Effinergie +, niveau RT 2012 -20%. Des locaux vélos sont évidemment prévus au sein de chaque immeuble.
Balcons ou loggias étaient par ailleurs interdits dans le programme, l’idée étant d’avoir les étudiants qui se rencontrent en rez-de-chaussée dans les salles communes plutôt que chez eux. Une vision le doigt sur la couture de la vie estudiantine certainement opportune ici. Chaque plot disposera cependant d’un atrium au deuxième étage.
Les bâtiments tous pareils, optimisation économique ? « Avec les coûts qui augmentent, il devient difficile de garder un budget », note Much Untertrifaller. « En l’occurrence, le cube permet d’atteindre un haut niveau d’efficacité énergétique et de durabilité. De ce point de vue, le master plan avait du sens mais il est vrai qu’il limite le champs typologique de l’architecte », dit-il. Ce n’est rien de le dire !
Cela dit, un autre dessin avec ascenseurs et cages d’escalier n’aurait cependant pas forcément été moins cher à construire.
« Nous avons transformé cette contrainte en offrant une large variété d’espaces intérieurs et une variété d’appartements, pour 1, 2, 3, 4 ou 5 personnes, y compris des duplex », souligne Much Untertrifaller. « Chaque étage compte 12 appartements aisés à aménager et baignés de lumière, des appartements carrés qui possèdent leur propre matérialité dans un dialogue entre béton et légèreté. Oui, il y a des appartements mal orientés, c’est dans la logique du plan masse, mais chaque appartement est agréable, y compris ceux exposés au nord », explique-t-il.
Il demeure que les studios mono-orientés nord sont interdits dans pas mal de chartes d’écoquartiers. Une attention portée aux espaces intérieurs sans doute nécessaire donc tant l’homme de l’art convient également que la végétalisation du site, « une importante part du master plan », va prendre « quelques années ». Dans le concours, l’agence évoquait pourtant une « symbiose avec l’environnement végétal ». Patience… En façade, des bandeaux de béton alternent avec des panneaux d’aluminium anodisé et des baies vitrées. Peut-être un jour, comme sur la perspective s’y reflètera le feuillage. Début des travaux : fin mars 2022. Livraison prévue : début 2024.
Pour l’EPA Paris-Saclay, il s’agit d’un projet parmi beaucoup d’autres. Depuis 1963 et la proposition d’Edgard Pisani du site de Palaiseau pour la future école polytechnique, le plateau n’est plus qu’un chantier démesuré et Much Untertrifaller et toute la culture du Voralberg n’en peuvent mais…
Ici c’est Paris, ou presque (du moins dans le classement de Shangaï), et dans cet urbanisme ultra dessiné, les architectes, mêmes les meilleurs, tentent d’exploiter avec plus ou moins de bonheur – souvent moins – l’injonction aussi raide qu’autoritaire (à défaut d’autorité) du « master plan ».
D’ailleurs, soixante ans plus tard, il s’agit déjà d’un lieu super chouette et animé à visiter un samedi après-midi. Amenez vos amis si vous aimez la conversation.
Christophe Leray