La photographie est souvent assimilée à un langage visuel. Le « plus littéraire des arts graphiques »* est après tout un système formel avec une structure communément acceptée et des motifs reconnaissables. Croissance parallèle d’un dialecte ? Chroniques-Photos.
Ezra Stoller, en utilisant l’analogie de la « photographie comme langage », a placé le photographe d’architecture entre l’architecte et le public dans un rôle d’interprète et de transmission de l’idée architecturale**.
Une telle approche soulève plusieurs questions : jusqu’où cette interprétation est-elle idiosyncratique ? dans quelle mesure dépend-elle du langage visuel du photographe ? Enfin, les particularités d’un espace architectural invitent ou interdisent-t-elles l’utilisation d’un vocabulaire photographique spécifique ?
Depuis cinquante ans que Stoller a écrit cet article, les médias pour l’architecture ont explosé en nombre et en variété, il n’en reste pas moins que nous communiquons l’architecture principalement par l’image.
Pourtant, au lieu d’assister à une croissance parallèle de « dialectes » photographiques, c’est l’inverse qui se produit : une homogénéisation croissante de l’image, souvent motivée par la nécessité de présenter l’architecture comme un produit visuel facilement consommable et censé survivre à des périodes d’attention extrêmement courtes dans un environnement de sursaturation des informations.
Si des approches alternatives existent, elles ont tendance à opérer en marge de la photographie d’architecture commerciale, utilisant le bâtiment comme élément pictural dans une pratique photographique qui ne se préoccupe pas, en principe, de communication architecturale. Ce type de reportage est rarement, voire jamais, commandé par les architectes et appartient principalement au monde des Beaux-arts.
Plutôt qu’une représentation descriptive de bâtiments et de paysages spécifiques, je choisis en tant que photographe de me concentrer sur les relations entre l’architecture et son environnement en constante évolution. Dans ma pratique, l’architecture est utilisée comme un objectif qui reflète, filtre et traduit le paysage ; les constructions humaines sont traitées comme des « objets trouvés » livrés à la nature, amenant le regard du photographe à explorer et à repenser le monde.
J’utilise souvent le verre et des couches de reflets qui se chevauchent afin de capturer une multiplicité de points de vue. Cela se produit régulièrement lorsque je photographie le travail de l’architecte japonais Kengo Kuma par exemple. La méthodologie s’élargie par l’inclusion d’éléments naturels transparents, la technique du collage ainsi que la juxtaposition et la combinaison de plusieurs photos en diptyques.
L’idée de permanence et l’illusion connexe d’intemporalité sont courantes dans la photographie d’architecture ; elle produit souvent des entités photogéniques autonomes, explicites et déconnectées de toute notion de sénescence.
L’architecture cependant, contrairement à ses avatars photographiques, n’est en aucun cas permanente ; d’innombrables géographies humaines sont apparues puis ont disparu, parsemant de ruines les paysages naturels selon un cycle inévitable de décomposition et de renouvellement. Les matériaux vieillissent et flétrissent ; la vie végétale se développe pour récupérer tout espace privé d’activité humaine. Ces ruines sont des icônes médiatrices de singularité et de permanence qui ne reconnaissent ni variation temporelle ni contexte.
L’architecture n’est pas immuable ; elle réagit aux transformations quotidiennes et saisonnières – inévitablement ancrée dans une sorte d’environnement, qu’il soit naturel ou artificiel – ainsi qu’au substrat culturel qui l’a vue germer. Les exigences de performance sont définies par les conditions climatiques locales, les matériaux disponibles et les modes de vie établis.
Alors que l’image jouit d’une autonomie, et peut être évaluée comme un objet autonome, la réalité de l’architecture est un réseau désordonné de contraintes changeantes avec le temps et sans lesquelles nous ne pouvons pas avoir une compréhension complète de l’espace construit. Une prise de conscience de ce contexte nous permet non seulement de mieux comprendre l’architecture photographiée mais offre également un aperçu des processus naturels qui agissent sur elle et, peut-être, ont façonné sa conception originale.
Dans le domaine en expansion mais pas nécessairement diversifié de la photographie architecturale, j’espère communiquer autant les préoccupations de l’architecte que celles du photographe et permettre un usage de la photographie comme outil d’interprétation et d’étude de l’espace.
La photographie d’architecture a une capacité sous-utilisée à capturer les transitions et donc à informer le spectateur – ou l’architecte – du riche réseau d’interrelations entre le bâtiment et son contexte.
La photographie d’architecture en tant qu’outil d’analyse démontre le potentiel d’un langage visuel doté d’une flexibilité considérable ; un langage qui transforme la manipulation en jeux de mots ambigus, testant ainsi non seulement les limites du média et son spectre expressif, mais aussi la perception d’une représentation photographique réelle, fidèle ou utile de l’architecture.
Erieta Attali
Toutes les chroniques-photos d’Erieta Attali
* Evans, Walker. « Photography. » The Massachusetts Review 19, no. 4 (1978): 644-46
** Stoller, Ezra. “Photography and the Language of Architecture. » Perspecta 8 (1963): 43-44.