« Pendant que les architectes se battent pour leur survie, l’État dessine des stratégies déconnectées ». Selon Défense Profession Architecte (DpA), la nouvelle Stratégie Nationale pour l’Architecture 2025 (SNA) dévoilée le 4 février 2025 par Rachida Dati, ministre de la Culture, illustre le décalage croissant entre les ambitions affichées et les réalités du terrain. Tribune.
« Alors que nos agences traversent une crise sans précédent, on nous propose des concepts sans moyens concrets d’action. Oui, l’architecture est « porteuse de solutions » comme le souligne Mme la ministre, mais il est temps pour l’État de passer des paroles aux actes », indique DpA.
Stratégie Nationale pour l’Architecture : quels bilans et quelles perspectives pour la profession ?
La nouvelle « Stratégie Nationale pour l’Architecture » annoncée par Rachida Dati, ministre de la Culture, se heurte à l’incompréhension et au désarroi des architectes praticiens. Alors que les agences d’architecture traversent une crise sans précédent, luttant quotidiennement pour leur survie économique, cette initiative apparaît déconnectée des réalités du terrain (Voir le constat alarmant sur les revenus des architectes Archigraphie 2025).
Les architectes, acteurs essentiels de la transformation de nos territoires, attendent des mesures concrètes.
Ce document largement alimenté par des propositions du CNOA, fait l’impasse sur la situation préoccupante des architectes et ne répond pas aux enjeux ni aux besoins d’une profession de plus en plus marginalisée dans le processus de production de l’architecture et du cadre bâti, alors même qu’elle est de plus en plus sollicitée pour répondre aux défis et enjeux de notre société, selon les propres propos de la ministre : « Face aux défis environnementaux et sociaux, l’architecture est porteuse de solutions ».
Avant de lancer une nouvelle stratégie, un bilan critique sur l’impact réel de la SNA de 2015 sur la pratique quotidienne des architectes s’impose.
En effet, force est de constater que loin d’avoir renforcé la position des architectes dans l’acte de bâtir, celle-ci a contribué à leur fragilisation progressive à travers des mesures telles que :
– la suppression de l’obligation de recours aux appels d’offres et aux concours pour les logements sociaux ;
– le contournement facilité de l’obligation de recours à l’architecte via les déclarations préalables ;
– une précarisation accrue des agences d’architecture.
« Cette absence d’évaluation critique démontre un décalage persistant entre les ambitions affichées des politiques publiques et la réalité du terrain vécue par les professionnels en charge de la production architecturale ». (Batiactu 17/05/2018)
Oui l’architecture est porteuse de solutions !
Mais l’architecture ne peut exister comme expression de la culture pour toute la société que si l’État lui donne les nécessaires moyens législatifs et financiers pour remettre les architectes en première ligne de la production architecturale.
À qui donc s’adresse la SNA ?
« Cette nouvelle stratégie s’adresse à l’ensemble des habitants de notre pays […] cette stratégie s’adresse aux décideurs […] elle renforcera l’action des différentes actions ministérielles », dit Mme Dati.
Vaste sujet qui explique le quiproquo pour les architectes !
Qui sont ces décideurs à qui s’adresse la SNA, sinon les élus territoriaux, les services de l’État, les maîtres d’ouvrage, les promoteurs, les entreprises, les lotisseurs, les BET et bien d’autres encore.
Autre motif de confusion : improprement et largement utilisé, le terme « architecture » recouvre en réalité tout ce qui concourt à la politique de la ville que ce soit l’aménagement, l’urbanisme, la réglementation ou l’environnement. Il eut été plus juste de parler de stratégie nationale pour le cadre de vie en général, bien que ce document n’aborde ni la question du logement ni la politique foncière ni les moyens indispensables aux ambitions annoncées.
Qu’en est-il de l’architecte ?
Si l’architecture disparaît dans ce concept, l’architecte lui, est dilué dans la nouvelle famille des « professionnels de l’architecture ».
Conséquences pour l’enseignement : les écoles devront former à la diversité des parcours, des « professionnels de l’architecture », et pas seulement les architectes.
Nous déplorons que l’augmentation du nombre d’étudiants ne soit pas destinée à augmenter le nombre des architectes mais celui de « professionnels de l’architecture » dont on ne cerne pas bien les qualifications ni les compétences.
Il est aussi question de s’adapter aux nouvelles formes de la commande.
Faut-il s’adapter à de nouveaux enjeux tels que « la privatisation de la commande publique » couplée à une série de mesures réglementaires qui ont contribué à « réduire la place des architectes dans la construction » (Le Monde 05/02/2025) ?
Sous couvert de « territorialisation, de sensibilisation des élus et de mobilisation collective », l’État, à travers cette SNA, se décharge de sa responsabilité en matière d’architecture et de cadre de vie, et fait porter aux architectes la responsabilité de leur situation d’impuissance.
Madame la ministre Rachida Dati, lorsque vous déclarez que :
– « l’architecture constitue une discipline autant qu’une politique publique incontournable pour faire face aux défis de notre temps » ;
– […]Dans un contexte marqué par l’économie des ressources et les enjeux de résilience, la réhabilitation forme le nouveau cadre de création architecturale. La nouvelle donne est celle du « déjà là », entre rénovation et restauration. C’est un changement de perspective que l’État doit accompagner ».
Nous vous prenons au mot !
Les architectes sont prêts à relever ce défi à condition que l’État leur en donne les moyens par un engagement politique clair qui vise à les remettre au cœur de la fabrication de l’architecture, de la ville, du cadre de vie et de tous les domaines où leurs compétences et leur expertise sont nécessaires à la société.
De sorte que :
– l’intérêt public de leur travail et le rôle central de leurs compétences soient reconnus, soutenus et renforcés par des dispositifs législatifs et financiers ;
– la profession d’architecte cesse d’être envisagée comme la variable d’ajustement financier des politiques publiques de réduction des coûts.
Défense Profession Architecte (DpA)
20 février 2025