Le 25 octobre 2023, le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) a révélé son diagnostic des préoccupations des Français. Cité par Le Monde (25/10), il alerte le gouvernement sur trois sujets majeurs : la perception des inégalités, le pouvoir d’achat et l’écoanxiété.
Les inégalités, le pouvoir d’achat, qui sont liés, rien de nouveau sous le soleil de la planète terre. Mais l’écoanxiété ? D’ailleurs le quotidien nous expliquait dès le 13 octobre que l’Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse proposera bientôt à ses étudiants et à ses personnels un cycle destiné « à lutter contre l’écoanxiété, un sentiment de plus en plus présent parmi ses élèves ». Ailleurs, ce titre : l’écoanxiété s’empare de la jeunesse ! Fichtre !
L’éco-anxiété ou écoanxiété, indique Wikipedia, est un néologisme désignant l’ensemble des émotions liées au sentiment de fatalité vis-à-vis des diverses crises environnementales. Dit autrement, la fin du monde.
Laquelle n’en finit pourtant pas d’être repoussée malgré 2 000 ans de cavalcades des chevaliers de l’Apocalypse, de tous ordres les chevaliers d’ailleurs. La seule constante au fil des siècles est que le business de la peur demeure pour les ambitieux un moyen sûr et rapide de faire fortune. Souvenez-vous de ces Américains ayant investi dans un bunker censé les protéger des bombes nucléaires russes… Se souvenir aussi qu’un seul jour de guerre rapporte plus à quelques-uns que dix ans de paix à tout le monde.
Il n’est pas question ici de nier les cruels dérèglements climatiques à venir – les surprises seront mauvaises sans doute mais ni plus ni moins par exemple que l’invention de l’artillerie au XVe siècle, une invention française – mais de là à s’en rendre malade ? Sauf à enrichir le lobby de l’industrie pharmaceutique, laquelle ne pâtit jamais des désordres de l’humanité…
Cette écoanxiété chez nombre de jeunes gens adultes et vaccinés ressemble fort à une sorte de nostalgie, du genre c’était mieux avant et pauvres de nous qui, lâchés par les hommes et les dieux, mourrons d’anxiété environnementale. Et puis, il y a la guerre en Europe de l’Est, au Moyen-Orient et nombre d’horreurs résiduelles un peu partout dans le monde. Alors l’îlot de chaleur pendant les vacances ? Oh mon Dieu ! Vite une cellule psychologique !
Justement, puisqu’il est question de la nostalgie du bunker anti-nucléaire et du bon temps qui roulait, voyons le siècle dernier. Comme le cerveau humain efface de sa mémoire les mauvais souvenirs, chacun aime à se souvenir des Trente glorieuses mais le XXe siècle, c’est une première guerre Mondiale, des millions de morts, une génération d’hommes jeunes fauchée à la mitraille et au gaz moutarde, puis la crise de ’29, des millions de pauvres, puis une autre guerre Mondiale, des morts par dizaines de millions cette fois, dans des conditions effroyables, sur tous les continents, et puis encore la famine des Koulaks ukrainiens, morts par millions, idem les Chinois à se bouffer les nattes, et puis les Kmers rouges – je me demande si les Cambodgiens ressentaient une Kmerrougeanxiété ? – et puis toutes les guerres coloniales et leurs bains de sang dans des sentiers lumineux. Et la grippe espagnole et la tuberculose et la polio, etc. C’est vrai qu’on se marrait bien à l’époque. Heureusement que nos parents ne se sont pas pendus de désespoir.
Nous pourrions remonter ainsi de siècle en siècle sans jamais peut-être retrouver chez nous une période de prospérité et de paix aussi longue que celle que nous connaissons en France. Eau et gaz et internet à tous les étages. Ecoanxiété ? Halloween ?
Dans ma position de journaliste d’architecture, je suis confronté à un paradoxe : si c’est la fin du monde, pourquoi les architectes continuent-ils à se décarcasser et à livrer chaque jour de nouveaux bâtiments, neufs ou réhabilités ? Si ne voilà pas une tâche particulièrement vaine !
Je pensais à tout ça parce que, l’autre jour, j’ai visité avec l’architecte Anne Forgia (ARTEO) la rénovation de deux bâtiments de logements sociaux dans la ville nouvelle de Saint-Quentin-En-Yvelines, à Montigny-le-Bretonneux plus exactement. De constater en premier lieu que ces villes nouvelles ne sont plus nouvelles : la preuve, 50 ans plus tard, une rénovation de l’habitat s’impose. Bonjour le chantier national vu qu’elles ont toutes été peu ou prou construites en même temps. À Saclay dans 50 ans il y aura du travail, surtout si l’on en juge par l’état actuel de la plupart de nos établissements d’enseignement supérieur.
Toujours est-il qu’à Saint-Quentin, la rénovation de ces deux immeubles typiques de leur temps – sur dalle, les logements au-dessus du centre commercial – a été effectuée dans les règles de l’art. L’enjeu n’était pas juste de régler quelques désordres liés au temps qui passe ou de répondre à des enjeux climatiques normés mais bien d’exprimer la valeur de l’architecture, non dans une dimension technique mais dans ses dimensions urbaine et architecturale.*
Sans doute que d’autres architectes seraient parvenus au même résultat mais c’est ARTEO qui a gagné le concours et le projet livré est à la hauteur de l’ambition de la ville et de l’agence. Si le rythme des rénovations en ville est phasé avec des résultats de cette qualité, sauf catastrophe, ce ‘’quartier’’ de Brétigny à Saint-Quentin, déjà assez agréable aujourd’hui assurément, le sera encore dans 50 ans quand le bâtiment d’ARTEO devra à son tour passer en révision.
Il suffit pour s’en convaincre de considérer ce que sont devenues la plupart de nos villes moyennes en 50 ans, Angers, Nantes, Bordeaux, Montpellier ne sont plus les villes de province assoupies et poussiéreuses qu’elles étaient alors ; un extraterrestre revenant de Mars aurait bien du mal à les reconnaître. Pour certaines, il y a à peine plus de 50 ans, elles étaient en ruines !
« Reconstruire la ville sur la ville, il n’y a là rien de neuf », souligne Anne Forgia. De considérer encore qu’ARTEO ne fait pas que du logement en réhabilitation mais un musée ici, un centre de tri là, un collège…
Bref, des bâtiments neufs ou rénovés livrés en 2023 par un/e architecte, il y en a des milliers, rien qu’en France ! Or, si je ne m’abuse, ces immeubles, dont ceux d’ARTEO, sont censés à leur tour durer au moins 50 ans, jusqu’à la prochaine rénovation, et il y a fort à parier que dans 50 ans, sauf peste de proportion apocalyptique, il y aura encore des gens pour les habiter ou les utiliser ou les visiter, dont les petits-enfants des écoanxieux d’aujourd’hui, s’ils n’ont pas peur d’avoir des enfants, s’ils le peuvent encore mais c’est un autre sujet. Bref, il y aura encore des gens bien vivants pour se plaindre du prix du loyer !
Il faut sinon avoir l’esprit vraiment tordu pour penser que tout cet argent public et privé investi dans du logement neuf et rénové, dans des musées, des gymnases, des stades, des bureaux le serait pour des nèfles ! Ce serait rageant ! Et pour le coup, en regard de la feuille d’impôts, de quoi se pendre !
J’en conviens, il est terrifiant de naître sur une planète dangereuse mais il n’y a pas d’alternative. En tout état de cause, pour lutter contre l’écoanxiété, voire la soigner, peut-être n’est-il pas besoin de grandes études agronomiques supérieures comme à Toulouse, il suffit pour les patients, s’ils veulent dormir tranquille, de regarder les architectes au travail !
De plus, en 2075, quand viendra le temps de rénover les logements et ouvrages livrés aujourd’hui, sans doute que les architectes d’alors auront de nouveaux outils pour y parvenir et qu’ils sauront y faire. Du moins c’est à espérer.
Une certitude cependant, la peur de la fin du monde n’en sera que plus prégnante, rien ne fiche plus la trouille que de survivre. D’ailleurs chacun qui en a les moyens est libre aujourd’hui comme hier de se construire un bunker à l’abri des aléas.
Allo un architecte ?
Christophe Leray
*Lire la présentation du projet : À Montigny-Le-Bretonneux, 98 logements requalifiés par ARTEO architectures