Un besoin d’intérêt général clairement identifié, un budget qui a le mérite d’exister, un projet mené à bien par de bons architectes… Serait-il donc possible en France, même si les commanditaires de l’ouvrage ne passeront pas leurs vacances ensemble, de construire des équipements mixtes – culturel, sportif et évènementiel – et structurants qui engagent l’avenir avec optimisme ? Considérant qu’il n’y avait au départ qu’un rond-point, chronologie et décryptage de l’Espace Mayenne à Laval.
Tout commence en 2011 quand Jean Arthuis, alors président du conseil départemental de la Mayenne, au nom d’une stratégie d’attractivité, lance l’idée « d’un petit Zénith ». De fait, la plus grande salle de concert du département en usage à Laval est dotée d’une mauvaise acoustique, à tel point que les tourneurs finissent par contourner l’étape. Quand les stars de la télé ou du show-business ne veulent ou ne peuvent plus venir chez vous, voilà sans doute de quoi motiver l’investissement des élus.
L’idée que le conseil départemental, plutôt que de distribuer des aides, devienne son propre maître d’ouvrage d’un équipement culturel et sportif n’est pas tout à fait nouvelle. La Vendée presque voisine en fait déjà l’expérience en ayant lancé dès décembre 2009, à Mouilleron-le-Captif, juste au nord de La-Roche-sur-Yon, le chantier du Vendéspace conçu par Paul Chemetov, un ouvrage qui sera livré en 2012 pour un coût travaux de 60 M€. Que le département maître d’ouvrage soit aussi le gestionnaire et programmateur, c’est logique, non ? Le fait est que ce sont habituellement les villes, agglos ou communautés de communes qui s’arrogent les salles de sport et de concert, moins les départements.
En septembre 2013, après tergiversations – l’agglomération, tenue par la gauche, traîne les pieds – le choix du quartier Ferrié à Laval comme site de l’équipement est entériné. Le projet est alors estimé entre 20 et 25 millions d’euros et espéré fin 2016. La Ville de Laval met gratuitement le terrain à disposition, ce qui à l’époque fait tiquer la Cour régionale des comptes. Le projet est cependant déjà ralenti – 18 mois – le temps de trouver un lieu d’accueil pour la Cité de la réalité virtuelle originellement prévue sur le site et qui sera finalement relocalisée à la Technopole.
En mars 2014, à l’issue des élections municipales à Laval, François Zocchetto (UDI – Liste union de la droite) est élu avec 51.57 % des voix devant Jean-Christophe Boyer (PS – Union de la gauche), maire depuis 2012 après la nomination au gouvernement de Guillaume Garot. François Zocchetto est déjà sénateur de la Mayenne depuis 2001 et préside le groupe Union centriste au Sénat depuis 2011. Dès son élection, il quitte le cabinet d’avocats d’affaires fondé à Laval avec Olivier Richefou. Lequel Richefou Olivier, dès le 23 juin 2014, succède à Jean Arthuis à la tête du conseil général de la Mayenne. Le monde est petit à Laval…
Avec un tel alignement de planètes, c’est enfin l’entente cordiale entre la ville, l’agglomération et le département. Ce d’autant que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) de janvier 2014, si elle revient sur la clause de compétence générale précise toutefois que « les compétences en matière de culture, de sport et de tourisme sont partagées entre les communes, les départements et les régions ». De fait, le projet avance.
Le 10 janvier 2015, la commission permanente du conseil général examine les 139 dossiers en concurrence pour la construction du projet Espace Mayenne. Quatre agences sont retenues pour concevoir la future salle de sport et de spectacle : Jacques Ferrier architecture (Paris), Groupe-6 (Paris), Isabel Hérault et Yves Arnod (Paris), Jean Guervilly (Saint-Brieuc).
Le 1er juin 2015, c’est Hérault-Arnod qui est retenu, « pour le coup de crayon, l’aspect esthétique et la fonctionnalité avec les trois dimensions attendues, sportive, culturelle, évènementielle, ce que l’ouverture des salles traduit parfaitement », explique le jury. Lequel, s’étant déplacé dans le Finistère pour visiter la Brest Arena, une grande salle de spectacles sportifs livrée par Hérault-Arnod en 2014, a retenu de l’agence les compétences en musique plutôt que sportives. Parmi les enjeux du projet pourtant, un mur d’escalade de 16 m de haut.
L’agence a su proposer une grande salle sur le côté, non prévue dans le programme initial ; cet espace sera contenu par l’impératif de ne pas dépasser les 5 000 places car, au-delà de cette jauge, s’appliquent de nouvelles règles de gestion qui nécessitent plus de personnel.
« Il s’agissait pour Espace Mayenne d’un programme complexe d’un point de vue fonctionnel puisque l’ouvrage s’adresse à trois entités. Chaque salle a son propre fonctionnement étanche mais l’enjeu était d’articuler toutes ces salles ensemble qu’elles puissent fonctionner simultanément », souligne Hérault-Arnod. Compter encore un vélodrome dans le programme.
La livraison est alors espérée pour le printemps 2018, le budget passant à 37 M€.
Septembre 2016. Lors de fouilles préventives, l’Inra découvre « des traces de vie gauloise ». Des fouilles complémentaires, menées par la Drac entre février et avril 2017, révèlent « un os de chien » (Ironie du maître d’ouvrage). Coût de l’opération : six mois de délai et 300 000 € de frais. Mais bon, ça c’est fait !
Juillet 2017. Le premier appel d’offres est lancé. Livraison envisagée désormais pour mi-2019.
Novembre 2017. L’Espace Mayenne prend six mois de retard supplémentaire en raison de l’appel d’offres qui se révèle infructueux. Le budget prévisionnel est dépassé de 12,5 % et un lot reste sans réponse. Un deuxième appel d’offres est lancé le 30 novembre. La livraison est repoussée au printemps 2020.
Le 12 juillet 2018, la première pierre d’un chantier à 40 M€ prévu pour durer deux ans est posée. Olivier Richefou et François Zocchetto sont bien ensemble sur la photo.
En décembre 2018, création de la SPL Espace Mayenne, une délégation de service public dont l’objet porte « sur l’exploitation, la programmation, la gestion et l’exercice des opérations d’entretien de l’équipement » avec la répartition suivante : 80% pour l’agglomération qui doit gérer l’exploitation, c’est-à-dire surtout le déficit d’exploitation prévu ; 20 % pour le conseil départemental qui a financé les travaux. Bref, tout roule et le chantier avance.
Puis patatras, à partir de janvier 2020, le Covid met à nouveau le projet à l’arrêt.
Re-patatras en juin 2020 quand, à l’issue des municipales, Florian Bercault soutenu par le parti socialiste et les écologistes, succède à François Zocchetto et remet la gauche aux affaires de la ville et de Laval Agglo. Fin de la lune de miel entre l’agglomération et le département.
De fait, dès février 2021, l’accord liant l’agglomération et le département et portant sur les coûts d’exploitation, estimés à 800 000 euros par an, est remis en cause par Florian Bercault, l’idée étant pour Laval Agglo, aux finances compliquées, de refiler le bébé au département, dont le trésor fait des envieux.
Un changement de posture qui irrite Olivier Richefou, le patron du département. « On constate que Laval Agglomération ne s’approprie pas le dossier. On n’a pas envie qu’un superbe lieu, déterminant pour l’attractivité, se transforme en un no man’s land. La nouvelle équipe de Laval Agglo a toujours combattu ce projet. Devant le manque d’entrain évident, il est préférable que le département le prenne en main », dit-il.
Ce à quoi, Florian Bercault, le nouveau maire, rétorque en mars qu’il lui appartient d’être « vigilant » quant à la dépense des deniers publics et de s’assurer que les habitants de l’agglomération pourront accéder à cet équipement sournoisement rebaptisé « Espace MEDEF » durant la campagne. « Débattre, voter pour changer les règles est le minimum. C’est la démocratie », explique-t-il dans Le Courrier de la Mayenne (9/03/21).
Hiver et printemps 2021, le chantier connaît ses derniers délais à cause de problèmes d’approvisionnement en bois.
Dès le mois d’avril 2021 cependant, les travaux achevés à 99%, foin d’acrimonies – les gens de bonne compagnie savent s’entendre – le changement de contrôle de la SPL est acté, le département rachetant pour 130 000 € environ 300 des 400 actions de Laval agglomération à la SPL Espace Mayenne. « Une acquisition à valeur nette comptable – environ 435 € – et non à la valeur d’origine qui était de l’ordre de 1 000 € l’action », précise Ouest-France (12/04). Il est vrai qu’en cas de coup dur, le département a les reins financiers plus solides que la ville. Noter toutefois que Laval Agglo a créé un fonds spécifique de 400 000€ pour aider les clubs sportifs à accéder à l’Espace Mayenne et contribue ainsi au financement du fonctionnement de l’outil.
Les élus de Laval agglomération ont voté pour, les élus du conseil départemental idem. Il n’y a plus qu’à s’embrasser.
22 juin 2021 La commission de sécurité donne son feu vert à l’ouverture de l’Espace Mayenne.
Le mercredi 30 juin 2021, le passage du Tour de France est le premier événement de l’Espace Mayenne. Or, durant toute la retransmission télévisuelle, seules quelques rares vues d’hélicoptère ont montré l’équipement flambant neuf qui accueillait l’arrivée de l’étape. Non seulement les cameramen ont systématiquement tourné le dos au bâtiment pour leurs prises de vue et interviews mais pas un des journalistes qui inauguraient l’ouvrage, où était installée la salle de presse, n’a pensé à parler d’architecture.
Ce qui est d’autant plus fort de café que l’équipement propose également un vélodrome tout neuf, testé d’ailleurs le 8 mai 2021 par François Pervis, le pistard septuple champion du monde – rien de moins – et enfant du pays. Et tous ces journalistes grands fans et spécialistes du vélo de ne pas s’en apercevoir ?
Dit autrement, quand l’architecture tient ses promesses, personne ne semble vouloir en parler, comme on se fiche des avions dans le ciel qui ne tombent pas. Pour le coup, de Laval jusqu’aux confins du département, cette légèreté de traitement de la part de la presse nationale eut le don d’irriter et de (presque) réconcilier tout le monde.
Peu importe au fond, le 18 septembre 2021, Maître Gims inaugurait la salle avec un concert à guichets fermés.
Le 23 octobre 2021, au fil d’une matinée pressée, c’était au tour de Jean Castex, Premier ministre, de faire un tour de piste pour l’inauguration officielle.
L’Espace Mayenne, à vocation départementale, s’il semble aujourd’hui excentré près d’un rond-point, est cependant l’élément structurant d’un nouvel écoquartier attenant destiné à accueillir 2 000 Lavallois. Il y aura donc à terme des retombées économiques pour tout le monde.
« On est très heureux de cet équipement ». Olivier Richefou, janvier 2022.
« On est très heureux de cet équipement ». Florian Bercault, janvier 2022.
Fin janvier 2022 se pose in fine la question : un conseil général a-t-il vocation à devenir tourneur de cinéma-théâtre et promoteur de spectacles ? Après l’« infotainment », la « politictainement » ?
Christophe Leray
Découvrir le projet plus avant : A Laval, sport et culture à l’Espace Mayenne signé Hérault-Arnod