A la rédaction de Chroniques, nous n’avons pas de rubrique nécrologique, au risque sinon que, comme pour Le Figaro, elle n’en devienne au fil du temps la rubrique la plus consultée du journal. De plus, les œuvres des architectes, connus ou non, leur survivent et c’est donc d’architectures toujours vivantes dont souhaite se souvenir la rédaction.
Je ne connaissais pas personnellement François Seigneur, je l’ai peut-être croisé une ou deux fois, il y a longtemps, sans savoir alors qui il était. Puis j’ai régulièrement entendu parler de cet homme qui suscitait une admiration non feinte. Ce fut de nouveau le cas lorsque me parvint l’annonce de sa disparition.
Presque immédiatement, la rédaction recevait les deux hommages ci-dessous, signés de Francis Soler et David Trottin, qui le connaissaient bien. Voici ces deux textes. Ainsi, cette page dédiée à François Seigneur par ses amis restera toujours ouverte.
Christophe Leray
Rédacteur en chef
François Seigneur, In Memoriam – Francis Soler
Cette pièce (la photo ci-dessus) signée François Seigneur et datée de 1985, est une pièce originale que François m’avait offerte à la suite de longs moments passés ensemble à essayer de comprendre ce qu’il s’agissait de faire pour que l’art envahisse un monde cruellement atteint de cécité.
Cette expression construite par accumulations de gestes fulgurants, tout autant que maîtrisés, me donne, tous les jours, à penser (la pièce occupe, en effet, un pan de mur d’un de mes espaces de vie) que si l’écriture automatique n’avait pas été inventée, nous aurions, là, le prototype d’une pensée astrale qui aurait, tout aussi bien que les plus officielles d’entre elles, pu en définir un nouvel alphabet.
Ni conscients, ni volontaires, les gestes de François, avec un pinceau au bout des doigts, forçaient l’admiration. Car comment savait-il qu’il en ressortirait à chaque fois, et à chaque cri, un si grand équilibre des forces enfouies, admises alors à apparaître dans l’expression si vive des formats abordés ?
Nous avons dépensé du temps. Beaucoup de notre temps, chez lui, à Arles, à dessiner bien d’autres choses que de l’architecture, à jouer du photocopieur couleurs jusqu’à épuiser tous les supports possibles, à parcourir Bricorama pour acheter tous les plumeaux à poussières rose-fuchsia, qu’il aimait assembler comme des bouquets de fleurs au-dessus de son piano, à aller chez Truffaut pour remplir son caddie avec toutes les barquettes-plastique de pétunias pourpres qu’il pouvait trouver, ce jour-là, parce que le vert de son jardin, disait-il, ressortait mieux ainsi.
François était un artiste, un poète, un mélomane, un fou génial dont la mélancolie profonde en dessinait les contours si étranges. Il était un acte inédit dans la pièce qui se jouait entre les arts et l’architecture. Un acte qu’aucune des cages dans lesquelles se sont faites cloîtrer ces deux disciplines ne pourra jamais l’enfermer.
Francis Soler/ octobre 2019
François Seigneur, In Memoriam – David Trottin
François Seigneur est mort. Quand Aldric Beckmann m’a appris cela le mercredi 9 octobre 2019, je suis revenu 35 ans en arrière. Avec ce sentiment que la littérature et le cinéma nous ont maintes fois fait vivre : le flash-back sur un moment fondateur.
Moi, 20 ans, étudiant à l’école d’Architecture de Paris Villemin, qui arrive pour un stage dans l’agence de Valérie Vaudou et Yves Luthi. Je découvre François, leur associé. La quarantaine, une beauté rock qui a vécu et instantanément le sentiment d’être face à un génie. Pendant deux mois nous allons travailler sur un concours à Los Angeles pour un ensemble de tours de bureaux cristallines et sophistiquées.
C’était un concours improbable par son échelle gigantesque réalisé par une micro équipe depuis l’autre bout du monde. Cela avait été rendu possible par Valérie Vaudou et sa proximité avec Richard Meier qui était l’un des membres du jury.
C’est pendant ces deux mois que je suis devenu architecte.
J’ai découvert ici, au-delà de l’enseignement que j’avais reçu, ce que pouvait être l’aventure créative de ce métier. François en a été le principal révélateur. Lui, qui n’était pas architecte, ouvrait des connexions entre l’art et l’architecture qui résonnaient en moi qui hésitait encore entre la peinture et l’architecture. Le cross over des idées et des arts nourrissaient son architecture en rupture avec cette époque néo moderne auto référencée et déprimante. Nous voulions fabriquer pour Los Angeles un projet «sauvage et incertain» comme dirait plus tard l’architecte et critique Patrice Goulet.
Le talent de François, c’était aussi les images qu’il peignait, dessinait dans un mélange de lavis expressionniste d’encre à l’éponge et de milliers de traits de crayon rehaussés de blanc pour faire vivre les lumières du soleil ou de la nuit. Ses images faisaient le projet. C’était beau, on était dans l’univers de Wim Wenders, De Donald Judd, d’Ed Rusha, de Jean Nouvel, de Dan Flavin et de John Cassavetes. C’est là que je voulais aller.
Son histoire était fascinante. Je ne sais pas vraiment ce qui était vrai, je l’ai apprise par bribes de son petit groupe de fans. Sa proximité avec Nouvel bien sûr dans ses jeunes années. Claude Parent qui les rassemble. Puis les virées punk/hippies. Puis le retour à l’architecture. Son talent de ‘perspecteur’ qui fait vendre les projets d’une génération d’architectes. Le triomphe minimal du pavillon de la France à Séville. Puis sa maison d’Arles et son slogan : «Je ne finirai pas ma maison car je ne veux pas mourir !»
Puis le temps qui passe où l’on se perd de vue, avec seulement les nouvelles transmises par Aldric, le fidèle. Après cette expérience fondatrice, il y eut d’autres concours avec François tout aussi mémorables et perdus, dont la maison de la culture du Japon à Paris.
Puis il encadra officieusement mon diplôme qui fut largement réalisé sous influence. Enfin son nom fut le sésame qui me fit rentrer chez Francis Soler après ce diplôme.
Merci François.
David Trottin le 10 octobre 2019