Le 22 septembre 2021, le monde entier, sidéré, apprenait que le méga projet de rénovation de la Gare du Nord, conçu par l’agence parisienne Valode & Pistre passait purement et simplement par pertes et profits. Pertes surtout. Une gestion de projet par le gouvernement qui impressionne.
Certes ce projet surdimensionné – le chantier devait tripler la superficie de la première gare d’Europe et prévoyait, entre autres, une reconfiguration du terminal Eurostar– avait ses détracteurs sitôt connus les résultats du concours en 2018. Certes les résistances étaient fortes et les négociations serrées avec la Ville de Paris mais, encore en janvier 2020, à l’issue de l’enquête publique, le projet était peu ou prou validé au coût annoncé lors du concours, soit 600 M€.
Certes, en novembre 2020, une version moins ambitieuse du projet, qui réduisait de 15 % la surface des commerces et services, soit 7 500 m² de moins, et supprimait notamment la salle de spectacle de 2 800 places, était adoptée, sans que le coût annoncé n’en soit modifié.
Il n’est pas ici question de discuter du bien-fondé ou non de ce projet, sachant que la gare a besoin d’être mise à jour, mais plutôt de la méthode. C’est au travers d’un communiqué de presse brutal que, le 22 septembre 2021, sous la pression du gouvernement, SNCF Gares & Connexions annonçait la fin des agapes. Il revenait à sa directrice générale, Marlène Dolveck, d’expliquer en quoi cette décision s’imposait.
Deux raisons, notamment :
« – des dérives irrémédiables de calendrier : StatioNord* nous ayant annoncé la livraison d’une gare rénovée au mieux en 2026, voire plus tard, au lieu de 2023, date initialement prévue » ;
« – une dérive budgétaire inacceptable qui amènerait le projet à dépasser 1,5 Md€ soit 80% d’augmentation du budget global du projet, accompagnée d’une aggravation des impacts sur les circulations ferroviaires pendant les travaux ».
Ces dérives dans le projet de transformation de la Gare du Nord, précisait-elle, « sont si importantes » que n’étaient plus réunies les conditions de réalisation qui avaient présidé à l’attribution du contrat de concession à Ceetrus, la filiale immobilière du groupe Auchan. Laquelle est sèchement et sans préavis prononcée « déchue ». Pourquoi pas puisque ce projet, tel qu’il avait été imaginé, ne sera pas pleuré par grand-monde ?
Il demeure une question de ‘timing’ : qu’a-t-il bien pu se passer pour que ce projet, prestigieux s’il en est, soit passé en moins de 18 mois de 600 M€ à 1,5Md€ ?
Un peu d’histoire de grands projets récents en Ile-de-France. En 2018, lors du concours de la Gare du Nord, nous sommes à l’époque de la start-up nation conquérante. Se souvenir d’EuropaCity, déjà un projet Ceetrus que le président Macron soutient résolument avant de soudain le déclarer, en novembre 2019, « daté et dépassé »**. Le projet de Gare du Nord pouvait alors apparaître comme un lot de consolation, la démesure libérale et commerciale dont fait preuve Ceetrus à chaque fois que la firme se pique d’urbanisme n’ayant alors pas trop l’air d’émouvoir le président.
Il nous était à l’époque expliqué que ce projet de rénovation de la gare signerait le top du top de la start-up nation ; l’enjeu était de taille, le nouvel ouvrage devant atteindre d’ici à 2030 les 900 000 passagers par jour, contre 700 000 aujourd’hui. La SNCF – dont il est permis de penser, depuis le temps qu’elle fait des gares en neuf et en rénovation, qu’elle connaît le prix des choses – ne s’est évidemment pas engagée sur un projet de cette dimension sans le feu vert de Jupiter, l’actionnaire.
Alors pourquoi maintenir la fiction d’un projet gigantesque à 600 M€ jusqu’à ce que soudain, le principe de réalité ne rattrape l’ambition d’une France parfaitement victorieuse avec ses équipements et infrastructures évidemment parfaitement innovantes et prêtes rutilantes pour les Jeux Olympiques de 2024 ? Et encore, dans le planning original, la nouvelle Gare du Nord devait être prête pour la coupe du monde de Rugby ayant lieu en France en 2023. Bonjour l’optimisme béat !
D’évidence, espérer construire en plein Paris dans un bâtiment patrimonial un projet de cette ampleur à 600 M€, c’est comme promettre de construire une philharmonie à 200 M€ qui en coûtera finalement 500 M€, soit le prix normal d’une philharmonie. D’ailleurs, dès le concours, les ingénieurs d’AREP, qui eux aussi à force de construire des gares partout dans le monde en connaissent parfaitement le prix (au moins à la louche), ont exprimé leurs incertitudes. Mais en 2018, fi des hésitations de la SNCF, rien n’était trop beau pour exalter la France conquérante : EuropaCity et la Gare du nord, question architecture environnementale et en même temps profitable en diable, les Américains n’avaient qu’à bien se tenir.
Plus important que le coût, connu donc, c’est sans doute le nouveau calendrier annoncé qui a fait capoter l’affaire : « 2026 au plus tôt », ce qui impliquait d’évidence que les touristes, qu’il faut espérer nombreux, auraient durant la coupe du monde de rugby et les J.O. découvert une Gare du Nord en chantier, couverte de bâches, impraticable avec des liaisons ferroviaires fortement perturbées. Manquerait plus qu’une goutte froide, ou pire une grève, pour transformer le désastre en naufrage !
Il fallait donc agir pour avoir une chance de faire bonne figure, et vite, et trancher dans le vif. Jean-Baptiste Djebbari, le ministre des Transports accordait dès le 22 septembre son plein soutien à la SNCF (BFM) : « On a demandé à la SNCF de préparer un projet beaucoup plus réduit, dans une dimension de l’ordre de 50 millions d’euros, pour faire des aménagements et répondre aux enjeux de 2023 et 2024 », dit-il. Dit autrement, juste un petit ticket à 50 briques, au cours d’aujourd’hui, et roule ma poule. Il suffit d’ailleurs de voir les objectifs ramenés à leur plus simple expression pour ces évènements planétaires pour comprendre qu’il va falloir aux pouvoirs en place se creuser la tête pour s’auto-congratuler devant les télés du monde entier.
En effet, Marlène Dolveck, la directrice générale de SNCF Gares & Connexions, de préciser avoir décidé en toute modestie d’entreprendre cette rénovation « différemment » et d’engager immédiatement « avec l’aide des équipes d’AREP et de Retail & Connexions des réaménagements à court terme de la Gare du Nord pour améliorer l’accueil des voyageurs et visiteurs lors des deux évènements sportifs de 2023 et 2024, la conception d’un nouveau projet de transformation de la Gare du Nord, élaboré en concertation étroite avec les acteurs publics concernés ».
S’il s’agit de redémarrer des concertations, alors que nous sommes en octobre 2021, sachant les temps d’études et de chantier incompressibles et connaissant la dextérité et la souplesse d’exécution des autorités françaises dont ce nouveau délai, après d’autres, témoigne encore, il n’y a plus de temps à perdre pour se mettre à concerter vigoureusement afin d’éviter la honte en 2023.
D’ailleurs Anne Hidalgo, maire de Paris et candidate à la présidentielle, citée par l’AFP (22/09) appelle à « ne pas reporter une nouvelle fois la modernisation et la rénovation de la gare » tandis qu’Emmanuel Grégoire, son premier adjoint indique sa disponibilité pour « engager un nouveau projet de rénovation de la Gare du Nord qui soit au service des usagers du quotidien, de l’insertion urbaine et de l’intermodalité ». C’est dire si ça va concerter à toute berzingue !
Après tout, la moitié du travail est déjà faite puisque le gouvernement propose déjà un plan B ainsi que, d’ores et déjà, un plan C (je n’invente rien). Peut-être que finalement un plan D comme débrouille, avec juste un coup de peinture appliqué par les retraités des syndicats de cheminots, suffira à l’affaire pour cent fois moins cher…
Je ne connais pas la solution pour que le pays soit mieux organisé mais, pour que les grands projets se réalisent, ce pourrait être une idée d’oublier la politique cynique du mensonge, au moins par omission, et du court-termisme affligeant de nos supposées élites et annoncer d’emblée aux Français, qui ne sont pas des veaux, le vrai prix des projets.
Il est entendu que chacun d’eux est unique en soi et une aventure humaine et blablabla mais bon, pour ce qui concerne une gare, fût-elle prestigieuse, la SNCF et AREP devraient pouvoir fournir une honnête estimation du montant et du phasage des travaux à son actionnaire. A moins évidemment que les pouvoirs en place ne soient sourds, voire sourds-dingues.
Christophe Leray
* La concession n’a pas été confiée à Ceetrus mais à SA Gare du Nord 2024 (StatioNord), une coentreprise formée par SNCF Gares & Connexions (34%) et la foncière Ceetrus (66%), cette dernière ayant la main pour la conception, les travaux et leur financement, ainsi que l’exploitation des boutiques pendant 46 ans.
** Lire notre article Europacity, merci l’Etat visionnaire !