En architecture comme en d’autres domaines, il est difficile de mesurer le coût de l’impéritie des hommes et femmes politiques qui gouvernent ce pays. Les conséquences en sont, elles, parfaitement concrètes. Démonstration.
Voyons les Jeux Olympiques (JO) 2024 à Paris. Pour qui s’intéresse au sport, même de loin, d’avoir compris que, à un an du plus grand raout sportif mondial, la performance sportive française est mal engagée. Cet été, compter une seule médaille, le dernier jour, aux mondiaux d’athlétisme, la compétition reine des JO, et pleurer devant les résultats des équipes de basket ou d’escrime, parmi d’autres, en les voyant se ramasser à leurs mondiaux respectifs. L’impréparation sportive du pays à l’orée de ses jeux saute aux yeux. Sauf en natation où le pays peut entretenir de gros espoirs de médailles grâce à un jeune homme très doué qui s’entraîne… aux États-Unis.
Reste à espérer que lors de la coupe du monde de rugby qui se déroule en France de septembre à octobre 2023, les Français pour une fois favoris, la police de notre ministre de l’Intérieur n’accueille pas les supporters anglais et autres amateurs de bière, autant d’écoterroristes sans doute, à coups de matraques et de gaz lacrymos comme ce fut le cas lors du fiasco monumental de la finale de la Ligue des Champions à Paris en mai 2022. Notre ministre de l’Intérieur, pas gêné, racontant alors à la planète entière des histoires truffées de mensonges. Certes, avec des ministres pareils, question image, notre pays n’est plus à ça près.
Paris et la France savent pourtant qu’ils accueilleront les jeux d’été 2024 depuis le 13 septembre 2017, date de la décision du Comité International Olympique (CIO) d’attribuer les JO à la Ville de Paris, ce qui correspond peu ou prou à l’arrivée au pouvoir de Vulcain ex-Jupiter. Huit ans pour s’y prendre comme il faut et préparer des champions, c’est une génération pour une start-up nation ! Le résultat, en cet été 2023, est inscrit sur les tableaux des médailles françaises, faméliques les tableaux. Heureusement que lors de la plupart des matchs internationaux, la Marseillaise résonne avant le début du match !
En réalité rien de nouveau sous le soleil, nos équipes de foot de club ne gagnent jamais rien en Coupe d’Europe, leur palmarès si anémique qu’il en devient anorexique. Depuis des décades ! C’est à se demander comment font les propriétaires de clubs des autres pays… Et même quand les propriétaires viennent d’autres pays pour s’installer en France, idem pour les meilleurs joueurs de la planète, ce n’est qu’une question de temps – très court – qu’ils ne se retrouvent les uns et les autres bientôt embourbés dans une spirale de défaites si typiquement française que les Américains et les Qataris, par exemple, qui font leurs courses en France, ont bien du mal à anticiper. À Roland-Garros idem la recherche de vainqueurs à l’esprit conquérant. Dernière vainqueure en date, en 2000, du prestigieux tournoi parisien ? Mary Pierce, qui a fait ses classes aux… États-Unis. Ne parlons-pas non plus du Tour de France, dont le dernier vainqueur français remonte à Bernard Hinault en… 1986 ! Le management à la française, pleurer beaucoup, gagner pas souvent ?
Une malédiction ?
Sans parler non plus du fait que les présidents de la fédération de foot et de la fédération de rugby ont été récemment mis dehors à coups de crampons dans le derrière mais seulement plutôt très tard que jamais, sachant d’ailleurs que nombre des fédés françaises se débattent avec des affaires plus ou moins glauques. Enfin d’apprendre (TF1, 20/06) que le COJO, le propre comité d’organisation des jeux olympiques à Paris, a vu ses locaux perquisitionnés le mardi 20 juin 2023, deux enquêtes préliminaires ayant été ouvertes pour des faits présumés de « prise illégale d’intérêts », « détournement de fonds public » ou encore « favoritisme ». Ces perquisitions concernaient le même jour plusieurs sites liés à l’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024, le tout dans une atmosphère de franche cordialité olympique, les ministres des sports, souvent juges et parties, essayant de marquer des buts des deux côtés du terrain. Le management à la française, tout comme les aventures maritales et extra-maritales de tous nos présidents depuis Mitterrand, ne laisse pas d’étonner, voire d’atterrer, les observateurs étrangers qui s’interrogent sur l’exception française. Très bananière l’exception !
Bonne nouvelle, les infrastructures sportives des JO seront prêtes sans aucun doute, ainsi que les logements des athlètes. La revanche des architectes ?
Ce qui nous ramène à l’architecture et aux conséquences visibles d’un gros retard à l’allumage de la part de nos élites.
Bon, le Grand Paris Express, tout le monde en a entendu parler. Pour mémoire, dans le cadre du Grand Paris, le Grand Paris Express est issu de l’accord intervenu le 26 janvier 2011 entre le Conseil régional d’Île-de-France et l’État, à la suite des débats publics portant sur leurs deux projets de métro en rocade, le Réseau de transport public du Grand Paris et Arc Express.
En janvier 2011 donc, c’est parti. Dès le début du chantier (des chantiers), sont excavées des millions de tonnes de terre, environ 50 millions prévus d’ici 2030 pour le seul Grand Paris Express, le Parisien (3/11) rappelant en 2021, dix ans plus tard, que la multiplication des chantiers, dont Eole et le prolongement du RER E, entraîne une production inédite de déchets : près de 20 millions de tonnes par an.
Qu’en faire ? Un problème ? Pas du tout. D’ailleurs Le Figaro (14/08) note encore en 2019 que la Société du Grand Paris (SDP), l’entreprise publique créée par l’État pour piloter le projet du Grand Paris Express, « se refuse pour le moment à transmettre des informations sur le choix des lieux de stockages des déblais ». Entre-temps, la Seine-et-Marne est devenue la plus grande zone de stockage de terre en France et les maires du coin, leurs administrés avec eux, commencent à râler. Parce qu’il s’agit bien de stockage, sur des terres agricoles en plus, peu coûteuses et faciles d’accès. À Fukushima, ils ont des millions de litres d’eau radioactive dont les Japonais ne savent que faire, en Île-de-France, nous avons des millions de tonnes de terre à épandre ou faire disparaître. Hélas, comme pour le beurre, on ne peut pas les refiler à l’Europe.
La SDP s’est réveillée en 2017 – six ans quand même après le lancement du projet – avec un concours intitulé Défi N°3 : « Le Grand Paris des remblais ». Sauf à ensevelir des départements entiers, l’idée était de trouver des solutions pour faire face à l’inondation de terre plus ou moins polluée. Il y eut six systèmes lauréats. Parmi eux, un « dispositif innovant de caractérisation et de gestion des déblais » et une « solution de wagons étanches et d’un système breveté de retournement des caisses pour optimiser l’utilisation des flux ferroviaires servant à l’évacuation des déblais ». Gestion des flux, certes, mais pour arriver où ?
Une autre innovation lauréate intitulée « Solpur » – cela ne s’invente pas – consiste à combler les innombrables carrières souterraines de pierre calcaire ou de gypse (pour la fabrication du plâtre) d’Île-de-France, au-dessus desquelles « l’extension des villes et la pression foncière grandissante obligent les promoteurs [à] construire ». La bonne affaire que de rendre constructibles les dépotoirs. L’enfouissement, une vraie nouveauté dans ce pays, technique d’ailleurs perfectionnée pour accueillir à Bure (Meuse) des déchets radioactifs pendant des milliards d’années. Au fond du trou, ou au fond de la mer comme à Fukushima, loin des yeux, loin du cœur…
Il est vrai que certaines de ces galeries et carrières qui se comptent en milliers (milliards ?) de m², faute d’entretien séculaire, se dégradent avec le temps au point d’entraîner des affaissements. Mais plutôt que d’imaginer un usage de ces vastes espaces quasi gratuits – une piscine ou des thermes souterrains sous Belleville à Paris pour des fêtes Eau & Techn’Eau courues en 2030 des fêtards du monde entier ? – la vision de l’aménagement du territoire qui prévaut est d’y enfouir tout un tas de choses dont notre humanité ne sait que faire. Trop forte l’innovation de la société « Solpur ».
À noter enfin, parmi ces lauréats de l’époque, une agence d’architecture. L’agence Joly&Loiret avait proposé, et démontré, une solution consistant à transformer les déblais de chantier en briques de terre crue pour le bâtiment. Pourquoi crue d’ailleurs ? En Afrique, Francis Kéré, moins stressé sans doute, prend le temps de les cuire au soleil ses briques ; cela lui a valu un Pritzker.
L’invention de la brique ne date pas d’hier, la preuve, en Afrique ils se souviennent encore comment faire tandis qu’en France des villes entières furent édifiées avec ce matériau. Même en Grèce, le pays qui a inventé le mot canicule, ils construisent leurs usines en poteaux-poutres en béton, avec un remplissage de briques. Bref, la brique, c’est le B.A.BA de l’architecture. Que Paul-Emmanuel Loiret & Serge Joly soient capables de montrer, dans leur agence parisienne, que l’on peut faire des briques avec la terre des déblais ne devrait étonner personne. En tout cas, l’école livrée en 2021 par l’agence à Villepreux (Yvelines), réalisée avec de la terre excavée des chantiers du Grand Paris, témoigne qu’il y avait de quoi faire.*
Sauf que, pour les pouvoirs en place, le mieux était alors sans doute de n’y pas penser plus. Grand Paris Express ?
En effet, personne chez les crânes d’oeuf, au début du processus en 2010, ne s’est exclamé :
« Au fait chef, vous avez prévu quelque chose pour les 50 millions de tonnes de déblais ? »
« Bah non, pourquoi ? Quels déblais ? »
« Parce que quand Haussmann – Haussmann, ça vous dit quelque chose chef ? – a transformé Paris, il ne s’agissait pas seulement d’un projet hygiénique, esthétique et militaire mais aussi d’un projet industriel : les pierres venaient de la Creuse, les ferronneries choisies sur catalogue. Toute la France a bénéficié de l’embellissement et des grands travaux parisiens ».
« Oui, et alors ? ».
« Alors, puisque nous savons que des tonnes de ce matériau quasi gratuit vont littéralement sortir de terre, pourquoi ne pas installer d’ores et déjà, tout au long des 200 km de voies des briqueteries dont la vocation sera de produire les briques qui serviront, dans quelques années, quand les études seront terminées, à construire les 68 gares du Grand Paris Express. Vous le savez, la terre est partout différente, ainsi chaque gare sera hypercontextuelle, de la couleur de sa terre. La brique peut être utilisée en remplissage, en parement. Aux architectes ensuite de se débrouiller avec leur gare du moment qu’ils utilisent la brique – avec du béton, avec du bois, avec de l’acier, avec de la paille, avec ce qu’ils veulent – mais de la brique locale, qui signifie quelque chose pour les gens du coin qui auront subi toutes les nuisances du chantier. Dieu merci, nous savons encore fabriquer des briques en France, quelques-uns de nos industriels étant d’ailleurs parfaitement compétents. Voilà chef un projet industriel, écologique, fournisseur d’emplois, permettant un recyclage en circuit court avec un bilan carbone incomparable propre à accompagner le développement du Grand Paris Express ».
« Mon cher, je vous recommande l’aspirine ».
Bref, personne n’y a pensé. Dommage ! Ces gares une fois construites, on en parlerait encore dans deux cents ans… D’ailleurs, à Paris, les HBM tiennent encore debout et je ne me souviens pas que les briques venaient de Chine.
Alors, certes, puisqu’il est trop tard pour les briques et que mieux vaut tard que jamais, aujourd’hui des solutions apparaissent enfin pour un usage intelligent de ces déblais. En avril 2023 – enfin ! – la SGP a annoncé (20 minutes, 12/04) que, en collaboration avec l’IMT Nord Europe de Douai (Nord) et avec Neo-Eco, spécialiste de l’économie circulaire, une partie des déblais pouvait être transformée en ciment « bas carbone ». Ciment bas carbone !!!!
Ce projet, intitulé « flash calcination », permet selon ses promoteurs d’obtenir un liant aux mêmes caractéristiques que le ciment mais produisant jusqu’à 80 % de CO² en moins qu’un ciment standard pour sa fabrication. « Les déblais d’argile meulière sont broyés à l’échelle du micron puis cuits dans un four », explique Mouhamadou Amar, ingénieur à l’IMT Nord Europe. « Cette étape de calcination permet d’économiser jusqu’à 80 % d’émissions de CO² par rapport au ciment standard CEMI parce que le procédé ne nécessite qu’un passage au four de quelques secondes à 750 degrés quand la cuisson du ciment classique dure plus d’une heure à 1 450 degrés », dit-il. Limpide !
« On obtient aussi une innocuité environnementale du ciment flash, il n’y a aucun rejet nocif dans les fumées de calcination, son usage est de 18 à 38 % moins émissif en CO² qu’un béton standard et le gain économique varie entre 1 et 7 € par m3 de béton », insiste Romain Genna, chef du projet « flash calcination » chez Neo-Eco, cité par l’article.
Enfin trouvée la martingale ?
Ce serait trop simple. D’une part les normes de construction n’autorisent l’utilisation de tels substituts au ciment qu’à hauteur de 5 % du mélange pour fabriquer du béton ; alors plutôt que de la terre d’Île-de-France, faire venir du sable de l’autre bout du monde… D’autre part, l’industrie cimentière, sans élan politique, n’a aucun intérêt à scier la branche sur laquelle elle est assise.
En attendant, nous informe l’article du Figaro déjà cité, plus de 600 000 m3 de terre vont servir à l’aménagement du parc urbain de Sempin, situé à proximité de la Ligne 16, sur les communes de Chelles et de Montfermeil (Seine-Saint-Denis). Pour sa part, le maire de Villeneuve-sous-Dammartin (Seine-et-Marne) a expliqué qu’une partie de l’Installation de stockage de déchets inertes (ISDI) de sa ville, destinée à recevoir ces tonnes de terre, « sera rendue publique avec la mise en place d’une œuvre de Land Art intitulée « Les Yeux du ciel », conçue par l’architecte et urbaniste Antoine Grumbach – ce qui ne nous rajeunit pas. ndE – et qui sera achevée en 2024 en prévision des Jeux Olympiques ».
Bref, tandis que les chantiers du Grand Paris Express avancent, voilà où nous en sommes de la réindustrialisation du pays, comme dirait l’autre.
Pour conclure, qu’il s’agisse des JO ou d’un enjeu d’aménagement du territoire, ce pays apparaît parfaitement armé pour anticiper les enjeux des évènements à venir et mener une politique écologique, industrielle, sociale, sociétale, culturelle et architecturale ambitieuse et volontariste. Ce qui est rassurant puisque, heureusement, l’État a décidé en 2023, prudemment, tout doucement, de se préoccuper du climat.
C’est donc bien parti pour l’avenir écologique et durable de la start-up nation !
Christophe Leray
*Lire la présentation A Villepreux, des terres du Grand Paris pour l’école de Joly et Loiret