Ce mercredi 23 juin 2021 à Paris (1er arrondissement) était inaugurée en grande pompe la nouvelle Samaritaine, dernier fleuron de la flotte LVMH. Après une attente de 16 ans, l’excitation était au rendez-vous. Mais qu’ont-ils fait de cette madeleine ? Visite désenchantée à la « Samar’land ».
Après seize ans de fermeture pour mise aux normes sécuritaires, l’emblématique Samaritaine – bâtiments et grand magasin – ouvrait de nouveau ce jour-là ses portes au public. Le ramdam, loin d’être discret, avait ameuté curieux opportunistes, influenceurs ‘surlookés’ et autres Parisiens nostalgiques des après-midi avec Mamie. Depuis ce jour, trois files d’attente semblent installées là à demeure.
Souvenons-nous de ce désuet magasin déserté des foules qui lui préféraient le BHV à quelques encablures ou les Galeries Lafayette un peu plus loin. Pour un magasin déficitaire en 2005, propriété du groupe LVMH depuis 2001, la réouverture est d’ores et déjà un succès.
Il faut dire que le festoiement était à la hauteur de l’événement, tout en clichés béret-salopette-marinière, costume quotidien du Lutécien moyen, cela va sans dire, depuis Ernest Cognacq, fondateur en 1870 du mythique magasin. Il y avait même un crieur de nouvelles. Ne manquaient que l’accordéon et le saucisson !
De fait, la réouverture de la boutique, et son succès – une immense opération marketing – démontrent toute l’inculture de la maison mère et la réécriture de l’histoire du lieu au profit du tourisme bling-bling, pas vraiment de l’ancien temps, ni même dans l’air du temps. Rien de vraiment parisien en somme !
Beaucoup d’espoir avait pourtant été mis dans le travail de SANAA, annoncé comme la fin de la frilosité architecturale., l’événement caricatural de la réouverture aura réussi à éclipser les deux lauréats du Pritzker qui ont finalement fabriqué un objet architectural destiné davantage aux touristes fortunés qu’aux Parisiens.
A raison de 750 millions d’euros de coût travaux annoncé, la réhabilitation des 48 000 m² historiques répartit sur quatre îlots commerces, bureaux, hôtel de luxe et, pour faire joli, quelques logements sociaux et une crèche. Soit une énième opération immobilière rendue possible grâce à la négociation de quelques logements et d’un équipement. Ironie du sort, ce n’est même pas une première dans l’histoire de la vieille dame qui, à son époque, avait déjà négocié un bout de rue contre une école.
Un peu d’histoire s’impose sans doute ici. La Samaritaine, qui porte le nom de la première pompe à eau qui fut installée sous Henri IV, est née grâce à Ernest Cognacq, vendeur et entrepreneur de talent (qui formera ensuite le futur couple philanthrope avec sa femme Marie-Louise Jaÿ, ex-première vendeuse au Bon Marché). Jusque dans les années 1960, La Samaritaine est un modèle de réussite. Depuis l’échoppe initiale, de nombreux bâtiments ont été annexés et réhabilités dans le goût de l’époque. C’est d’abord Frantz Jourdain qui adaptera les bâtiments au style art nouveau et dont les coupoles et dorures auront le bon ton de heurter les édiles. Plus tard, c’est Henri Sauvage, plus sage et policé, qui réhabilitera le bâtiment sur le quai.
La Samaritaine, c’est donc l’histoire d’une annexion urbaine comme il en a peu existé, mises à part celles du Carré des Archives ou du Rectangle Richelieu. C’est aussi une leçon de réhabilitation. En 1904, pour la création du vaste magasin, Jourdain choisit des planchers constitués de dalles de verre posées sur des poutres métalliques pour augmenter la capacité de portance des planchers, réduire leur épaisseur, et par là-même d’augmenter la hauteur sous plafond, et enfin laisser passer la lumière entre les niveaux, ce jusqu’aux sous-sols. Un détail a son importance : le tout sans fermeture du grand magasin !
A 151 ans, La Samaritaine se trouve désormais interdite de ses planchers de verre (que l’on espère encore au chaud), lesquels sont vaguement évoqués avec à un « carrelage imitation pavés de verre » au dernier étage. Quant à la lumière naturelle, la vaste verrière dont les vitres bleutées filtrent un éclairage fantomatique ne risque pas de l’amener bien loin dans les entrailles du bonheur des Dames.
Et puis La Samaritaine, l’entreprise, fût aussi un modèle du paternalisme social, qui mêlait ‘success story’ commerciale et sociale, en suivant le même modèle que celui d’Aristide Bousicaut au Bon Marché. Par exemple, chaque rayon se devait d’être géré par de véritables « petits patrons » responsables et autonomes. Un esprit bien loin du luxe mondialisé et normé que le citoyen cosmopolite retrouvera dans chaque grand magasin de la sorte n’importe où dans le monde.
Alors bien sûr, les garde-corps et les fresques art nouveau ont été fort bien briqués et les badauds se sont empressés de les photographier. Si bien que ce grand magasin, autrefois lumineux, calme et où l’on trouvait « tout », est aujourd’hui devenu le nouvel Eldorado de l’Instagram du quidam en goguette. Car cette semaine, ce n’étaient pas les collections ni même les quelques promotions qui attiraient les foules, à peine la réalité du bâtiment, mais le simple fait d’y être.
La Samaritaine s’est transformée en une espèce de Disneyland tapageur et vulgaire. Au milieu des piles de bouteilles de champagnes Krug et Ruinart, on ne trouve plus rien à la Samaritaine, si ce n’est des sacs qui brillent dans le noir et des chaussures qui ne sont pas faites pour marcher. Pour contenter un peu les Parisiens, le mobilier aura été remplacé par des restaurants et bars, un sou reste un sou !
Avec La nouvelle Samaritaine, Paris, après avoir cédé bureaux et musées, cède encore un peu plus son âme à LVMH qui ‘disneyifie’ encore un peu plus les week-end des Parisiens, en attendant les touristes. A 5 min de la nouvelle bourse du commerce revue par Tadao Ando (sous l’égide de François Pinault patron de Kering, rival de Bernard Arnault), Paris devient surtout le terrain de jeu des rivalités en toc de milliardaires.
Car là où les Galeries Lafayette et la majestueuse coupole du grand magasin haussmannien ont réussi le pari de l’effet Waouh avec un vague parfum de temps qui passe, là où le Printemps a conquis une image jeune et branchée, là où le Bon Marché sait toujours surfer sur son image d’institution bourgeoise du VIème arrondissement, La Samaritaine, elle, a ostensiblement perdu tout élan de subtilité.
Cette opération pose d’ailleurs la question de la nécessité d’un nouveau temple de la mode à l’heure du pari(s) écolo ? En effet, quid du développement durable quand les caisses attendent patiemment que les touristes du bout du monde puissent prendre des avions pour les remplir ?
Mais Paris n’est plus à un paradoxe près. Boire des bières à moitié chaudes et à peine micro brassées entassés sur des terrasses éphémères en palettes, cela fait gagner des élections mais ne comble pas le budget de la ville. Les pépettes, elles se trouvent plutôt du côté des capitalistes propriétaires de cloaques dédiés à la surconsommation, alors qui pour faire la fine bouche ?
Après 16 ans de fermeture et 750 millions d‘euros, La Samaritaine est certes désormais le magasin d’un autre temps, mais pas celui que les moins de 20 ans …
Alice Delaleu