À Londres, le Victoria and Albert Museum (V&A) propose jusqu’au 22 mars 2026 une exposition au titre intrigant – Marie Antoinette Style, la première consacrée à la reine décapitée. Visite.
Ne se revendiquant en aucun cas historique, l’exposition questionne l’idée de l’empreinte et de la trace – Marie-Antoinette style – ne se privant cependant pas, émotion ou racolage, de présenter la guillotine* qui aurait décapité la malheureuse reine en 1793, la chemise en lin blanc portée pendant sa captivité à la Conciergerie, une mèche de cheveux et une lettre écrite peu avant son exécution.
Vols, destructions, peu de robes nous sont parvenues de la garde-robe de la Reine. Cependant, son influence sur les cours européennes fut telle, pour son élégance, sa théâtralité, son audace, mais aussi son avant-gardisme, qu’une robe directement inspirée de son style, crée à la demande du Roi de Prusse Frédéric-Guillaume II pour sa sœur s’est soudain mise à nous parler.
En voici le récit…
Je suis née dans le murmure des aiguilles et le bruissement des soies. On m’a tissé comme on élève une cathédrale. Sur des plans secrets, avec des rêves de grandeur, d’apesanteur et d’immémorial.
Je suis la robe – édifice. Mon architecte n’était pas tailleur ni couturier mais bâtisseur. Le corset et les paniers sont mes armatures, mes structures sont mon ossature. Je suis une façade qui me protège, me dissimule et m’incarne. Je suis un palais, fait d’ors et d’ombres. Je ne protège pas un corps, j’en érige la légende, on ne me porte pas, on m’habite.
Je suis un édifice de vanités, je suis un monument à la gloire de l’éphémère, et pourtant, j’ai survécu.
Je suis l’incarnation du passage de l’intime au politique, je suis le témoin, une matière vivante qui a survécu… et n’a rien oublié.
Mon corsage est un portique qui abrite le souffle d’une reine. Mes épaules sont des frontons.
Ma jupe est une façade, de vastes panneaux d’argent brodé, rythmée de guirlandes et de pilastres de fils d’or.
Chacun de mes plis est une colonne, chaque broderie un reflet du soleil.
Mes manches sont des arcades.
Je suis façade, corniche, balustrade, je suis architecture par vocation, tissu par accident.
Je ne suis pas née dans un atelier de couture mais sur une planche à dessin. Je suis un déploiement de volumes, une façade, une symétrie parfaite.
Je suis un parterre, le jardin à la française où jadis je m’égarais. Je suis faite d’or et d’ombres.
Les palais se sont fissurés, les royaumes se sont effondrés. Je suis un rêve debout, j’ai entendu tomber les pierres de la monarchie. Mais moi, je tiens.
J’ai senti le vent de l’échafaud, j’ai entendu les pleurs et les prières. Je tiens.
Je suis un bâtiment survivant, façade d’un monde en ruine, longtemps cachée, enfermée, oubliée.
Je suis un bâtiment résurrection, le palais nomade d’une reine fantôme.
Je suis la légende, l’ombre des rois bâtisseurs devenue parure d’une reine suppliciée, ruine et palais.
Le jour viendra où l’on m’exposera dans la section Architecture car je suis une coque, un abri, un volume.
Je suis la robe-bâtiment
La pierre devenue soie
Le tissu devenu plan
Construction itinérante, plan symétrique, hiérarchie des ordres, travées brodées, charpente cachée
La mémoire d’une architecture qui savait vivre.
Entre le passé et l’utopie.
Car le matin du 6 octobre 1789 où le peuple envahit Versailles après avoir forcé la grille de la Cour des Princes et pénétré dans les appartements de la reine Marie-Antoinette**, ce n’est pas seulement une robe qu’on abandonne, mais une époque, un ordre, une illusion…

Tina Bloch
* La famille Sanson était une dynastie de bourreaux parisiens. La guillotine qui exécuta la Reine fut achetée selon la légende par Marie ou Joseph Tussaud vers le milieu du XIXe siècle auprès de la famille Sanson puis exposée au musée de Madame Tussaud dans la « Chambre des Horreurs ».
** Madame Campan, première femme de chambre de la reine a laissé un témoignage précis. Louise-Elisabeth Vigée Le Brun – célèbre portraitiste de Marie-Antoinette – relate l’effroi et la panique de la cour dans ses mémoires, ainsi que la fuite précipitée de la Reine au petit matin par les couloirs secrets.


