La construction en bois impose ses propres contraintes et les bâtiments tramés en structure bois se ressemblent tous. Ni plus ni moins cependant que les barres en béton se ressemblaient toutes entre elles. Nous sommes ainsi passés de la ville du chemin de grue à la ville IKEA. Le matériau est différent mais cela reste de l’assemblage. Pourtant la théorie, devenue une doxa puis une idéologie, que construire en bois était la solution pour sauver la planète a conquis le monde entier.
Francis Kéré construit en bois à Munich,** Big construit en bois pour l’école d’architecture du Kansas*** et aujourd’hui, chez nous, il est expressément demandé au maître d’œuvre par le maître d’ouvrage dans son programme que son bâtiment soit « une référence en matière d’écologie et d’économie d’énergie. Il sera certifié BEPOS et bâtiment biosourcé et sera obligatoirement construit avec une structure bois ». Obligatoirement ! Bonjour le contexte, l’imagination et le libre arbitre de l’architecte, l’efficacité économique et écologique, tout ça…
Les élus et les pouvoirs en place parlent rarement d’architecture et la ville IKEA, rassurante, leur rappelle leur enfance sans ordinateurs ni réseaux sociaux quand ils jouaient au Kapla ou passaient noël au ski. Pourtant cette nouvelle architecture internationale, n’est que le symbole – car l’architecture est symbole – de la panique qui s’est emparée de l’humanité qui se jette sur la dernière solution magique en date en se disant que l’espoir fait vivre. Et encore, c’est avant celle des apprentis sorciers aux solutions de hautes technologies artificielles.
D’ailleurs si les pouvoirs en place se mettent à parler d’architecture, c’est que pointe leur désarroi : la recherche de solutions miraculeuses est alors lancée tandis que prospèrent les Nostradamus bardés de bonnes intentions. Il y eut d’abord le miracle des murs végétalisés qui a duré le temps d’un effet de mode, suffisamment longtemps cependant pour que des architectes sérieux se prennent à faire pousser un jardin vertical, et fièrement avec ça ! Ce miracle-là a fait pschitt.
Puis vinrent les terrasses et toitures végétalisées et jardins potagers partagés à des hauteurs où ne volent même plus les moustiques. Il fallut bientôt se rendre compte que, pour paraphraser Shakespeare, c’était beaucoup de bruit pour pas grand-chose aussi loin que la planète est concernée. Question d’échelle diraient des architectes.
Les élus n’en parlent jamais mais, revenant de pèlerinage à Lourdes, ils espèrent toujours dans l’architecture une porte de sortie. Alors, c’est la ville qui doit être végétalisée à grand renfort de forêts urbaines et d’immeubles aux mille arbres. Les perspectives ont fait le buzz d’un bout à l’autre de la planète. La construction bois donc. Comme quoi l’architecture est parfaitement en phase avec la panique des maîtres d’ouvrage – des élus qui craignent, qui sait, de devoir un jour rendre des comptes de leur impéritie – et celle de populations soudain apeurées de l’insupportable perte de leur confort.
Rien n’y fait : la catastrophe demeure annoncée !
Alors, nouvelle solution miracle dont se souviennent nos grands-mères, la fée électricité allait tout régler avec son lot de voitures autonomes – tant la voiture électrique devait être autonome ; l’intelligence artificielle peut guider des missiles nucléaires pour exploser la planète mais ne sait pas conduire… – le « tout électrique » donc avec son lot d’EPR et de grottes souterraines pour accueillir nos déchets pendant des DIZAINES DE MILLIERS D’ANNÉES – quelle arrogance ! Il y a 2 000 ans à peine, Jésus tétait encore sa mère !
Jusqu’à ce que les pouvoirs en place découvrent que la Chine contrôle les terres rares et s’apprête à inonder notre marché de ses voitures électriques pas chères et anti écolo au possible. Oups !
La voiture électrique n’est qu’une autre illustration des solutions miraculeuses que cherche de plus en plus urgemment l’humanité à bout de souffle. Elles font pschitt l’une après l’autre et personne ne sait plus ce qu’être « vert » signifie. Même les œufs et légumes des poulaillers et jardins partagés d’Île-de-France sont immangeables tellement ils sont pollués, ce qui fait le bonheur des industries agroalimentaires et chimiques du pays. Alors le steak au grillon, pourquoi pas, il rappelle aux édiles le temps où il y avait des grillons dans les champs. Ne jamais sous-estimer la nostalgie camarade, comme disait Gainsbourg.
Alors, pour en revenir à l’architecture, va pour la paille et les matériaux biosourcés, ce qui montre bien qu’au moins, ici en France, comme l’autruche, on s’inquiète…
Alors quelles nouvelles solutions pour laisser reposer nos âmes tourmentées ? De la couleur non genrée pour des rues non genrées ? Se souvenir que Poutine et tous les dictateurs et autres autocrates va-t-en-guerre qui pullulent comme un virus brun sont daltoniens, comme les Dalton de sinistre mémoire je veux dire.
La nécessité est mère d’inventivité. Pour un nouveau miracle, pourquoi pas en Bretagne que ceux qui élèvent les porcs par dizaines de milliers fassent sécher leur lisier à des fins utiles autres que les algues vertes en baie de Saint-Brieuc. Les Masaï construisaient bien leurs adobes avec de la bouse de vache séchée, alors plutôt que le granit importé de Chine… Et puis ça leur rappellera Joseph Kessel.
En tout cas, l’architecture n’a pas fini d’incarner la panique. Comment faire quand l’argile se rétracte avec la sécheresse, que l’eau en trop d’abondance entraîne des glissements de terrain imprévus, que des tornades arrachent des toitures ? Quelles solutions pour anticiper l’avenir inéluctable ? Au cas par cas histoire de mettre le feu chez les assureurs ?
Les élus pressés, plutôt que de se jeter sur le dernier effet de mode en date pour rassurer leur population et cacher leur impuissance, devraient justement, s’ils veulent à l’avenir une rue à leur nom, se mettre d’urgence à réfléchir d’architecture, première des protections contre les aléas qui menacent leurs administrés !
Christophe Leray
* Choisissez votre architecte : Immeuble de logements, Atelier(s) Alfonso Femia, La Défense @Diorama ; Immeuble de bureaux, DREAM, Saint-Ouen @Cyrille Weiner ; Ilot Bergeron, Alexandre Chemetoff & Associés, Nantes @Alexandre Chemetoff & Associés ; Le Berlier 77 logements Moreau Kusunoki, Paris @Maris Mezulis ; Immeuble de logements et services, LAN, Paris @LAN ; Immeuble de bureaux, Valode & Pistre, Saint-Denis @Valode & Pistre
** Lire La nouvelle crèche à l’Université technique de Munich (TUM), par Kéré Architecture
*** Lire Makers’ KUBe pour l’école d’architecture de Kansas University (KU), par BIG