Un ami est revenu de son voyage en Asie et il me raconte sa première impression en découvrant les «nouveaux» quartiers «modernes» des grandes villes asiatiques. «Je n’ai jamais vu des quartiers remplis d’autant de grands ensembles de logements. Des milliers de tours et de barres semblables. Qu’est-ce qu’elles sont massives, uniformes et laides ! S’il n’y avait pas de logo et de numéro peints sur le côté de chaque immeuble, il serait impossible de se repérer…», dit-il.
Ce n’est pas la première fois que mes amis expriment le dégoût qu’ils ont ressenti en Asie contemporaine, au point de me demander une explication. Ils sont interpellés par une incompréhension : comment ce type d’habitat aspire-t-il autant la population ? En France, les grands ensembles ne sont plus construits depuis plus de 30 ans et demeurent un symbole de l’urbanisme brutal et répétitif des années 60-70.
Pour bien comprendre la nature des villes verticales asiatiques, il faut abandonner les idées associées au modèle français, lequel est son exact opposé.
En France, l’abandon de l’idéal du propriétaire et l’engagement massif de l’Etat dans la production du logement social ont été les facteurs essentiels qui ont encadré la fabrication des ‘cités’ de l’époque.
L’Asie vit aujourd’hui une transition urbaine massive. Les lotissements verticaux denses sont l’outil majeur, en ville, de la rénovation urbaine des anciens quartiers et, en zones périurbaines ou rurales, de la conquête territoriale. Comme des soldats de premiers rangs, ils sont édifiés là où s’impose la ‘modernité’.
Contrairement au cas français, en Asie, le retrait de l’Etat – qui n’intervient qu’indirectement dans le domaine du logement – sert à promouvoir une classe moyenne urbaine de propriétaires. Bien équipés à la hauteur des attentes, voire des exigences, de ces propriétaires aisés qui les achètent et les habitent, quelques-uns de ces grands ensembles sont capables de susciter de nouvelles centralités dans leur quartier.
Ainsi, au-delà du processus de fabrication urbaine, l’opposition entre les deux modèles se trouve aussi sur le plan de sa représentation sociale.
En clair, à ce jour, les ensembles français, devenues ‘cités’ (sic), évoquent l’exclusion urbaine et le déclassement social. Par contre, le modèle asiatique représente l’intégration urbaine et l’ascension sociale. De fait, à Séoul, Shanghai, Ho Chi Minh Ville, etc., habiter dans un logement de plus de 90m² dans une tour en ville est même l’un des critères de la conscience d’appartenir à la nouvelle bourgeoisie urbaine qui conduit le développement du pays vers la ‘modernité’.
Il est dès lors simpliste et naïf de critiquer ces villes émergeantes en Asie d’un seul regard occidental défenseur de paysage pittoresque. Dans ce continent en pleine mutation, des populations diverses adhérent à ce type de logement, perçu comme autre chose qu’un simple habitat. Lequel fait preuve, il est permis de le penser, d’une efficacité certaine en tant que dispositif de développement du pays.
En Occident, quand les maisons individuelles, en détruisant la nature par amour de la nature, prolifèrent jusqu’en moindres recoins de la campagne, en Asie, si brutale et si raide soit-elle, si ironique soit le propos, la densification verticale est au moins à l’ordre du jour. Avant de juger une apparence, comprendre le phénomène social et économique qu’elle reflète semble indispensable.
Si les villes denses verticales dominent l’Asie contemporaine, leur devenir semble moins certain. Déjà, passée une période de construction massive de grands ensembles, quelques villes et pays asiatiques connaissent une évolution. Apparaissent ainsi de plus en plus de d’immeubles dotés de plus petites surfaces et destinés à des catégories sociales plus modestes.
Et la classe moyenne de craindre bientôt un déclassement.
Ainsi, même s’il ne concerne encore qu’une minorité de cette catégorie aisée, un mouvement vers une maison individuelle champêtre se fait jour, d’autant plus que se développent les résidences secondaires.
Question majeure à soumettre à mes amis occidentaux, puisqu’ils en ont l’expérience : si la classe moyenne urbaine délaisse les grands ensembles pour adopter un autre type d’habitat, que deviendront ces super structures ? Comment continuer d’assurer leur entretien, éviter leur dégradation puis un déclassement tel celui des grands ensembles français ?
Quel rôle de l’Etat ?
Pour le coup, c’est moi qui suis curieuse.
Hyojin Byun
Le blog de Hyojin Byun
Cet article est paru en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 26 juin 2013