A Chroniques nous nous tenons aussi éloignés que possible de la question du plagiat en architecture, ou entre architectes plus précisément. Nous n’avons d’ailleurs à ce jour, en sept ans, abordé ce sujet qu’une seule fois, en octobre 2019.* La mauvaise humeur de ceux qui se sentent offensés d’une copie peu inspirée est bien compréhensible. Pour autant ne font-ils pas d’une souris une montagne ? Et à quoi peuvent bien penser ces auteurs à l’inspiration malheureuse ?
Il a suffi d’un seul ‘post’ sur un réseau (faussement nommé social) et de la rencontre fortuite de deux images pour relancer Chroniques, avec une prudence de Sioux, sur la piste du syndrome de Fausto. Dans cet article donc, en noir et blanc, la photo de la réalisation de Monsieur Blanc, une opération de 66 logements en péri-urbain livrée en 2007 ; en couleur, à gauche de l’image, les 18 logements de Monsieur Noir, un projet vendu en 2022 à Monsieur Rouge, maître d’ouvrage en péri-urbain.
Carambolage hasardeux ?
Tout à fait, selon Monsieur Noir, joint par Chroniques. D’ailleurs l’ordre régional des architectes est saisi, c’est dire s’il y a de l’émoi. « J’ai découvert le commentaire peu confraternel de Monsieur Blanc sur les réseaux sociaux, j’ai donc saisi l’ordre pour une conciliation. J’attends la réponse de l’ordre », explique Monsieur Noir.
Dans son territoire, Monsieur Noir, architecte DPLG, la soixantaine, a pour lui un solide porte-folio et une bonne réputation. Qu’a-t-il bien pu se passer ? Un projet délégué à un jeune chef de projet qui a coupé les coins ? Une inattention coupable ? Une urgence financière ? Un coup de pompe ? En tout cas, nul confrère ou consoeur du côté de chez lui ne pourrait imaginer de sa part une telle offense.
D’ailleurs, l’offense, Monsieur Noir s’en étonne. « Nous travaillons ces typologies depuis plusieurs années. Nos projets sont entre urbanité et ruralité. A part faire de la longère…, avec le même travail de paroi qui se retourne en toiture… », dit-il. « D’ailleurs je ne vois pas vraiment de similitudes, à part la volumétrie, toute en longère. Des typologies comme ça, il y en a plein en Scandinavie. Avec le même point de vue on arrive au même résultat, cela vaut pour toutes les typologies de bâtiment ».
Si Monsieur Noir concède que « effectivement, la photo, c’est la même prise de vue », c’est pour mieux relever que toute la « production architecturale se ressemble désormais, notamment dans le logement ». CQFD !
Monsieur Blanc, joint par Chroniques, ironise. « Certes la typologie de la longère est connue depuis des siècles et des siècles mais vous pouvez faire le tour de la planète, vous n’en trouverez pas deux exactement pareilles. Il y a toujours une part de contexte et des maîtres d’œuvre qui réinterprètent encore et encore cette typologie mais, en tous cas, il n’y en a jamais deux pareilles ».
Il est vrai qu’à Chroniques nous avons vu moult interprétation de la maison : la maison sur le toit, la longère, le logement intermédiaire, la maison qui pousse, celle qui ne pousse pas. Nous avons vu des dizaines d’architectes s’essayer à l’exercice, il n’y en a jamais deux qui tombent pile sur la même chose. Ce serait une sorte de miracle en somme !
D’où le trouble devant le projet de Monsieur Noir.
Lequel concède encore avoir déjà, dans une autre petite ville, ailleurs mais pas très loin, construit un équipement juste derrière… celui de Monsieur Blanc dont l’ouvrage semble en avoir inspiré le vocabulaire. « Quand on travaille sur les mêmes typologies, forcément, on se croise », explique Monsieur Noir. Cela ferait donc deux fois que les deux agences se croisent ? « C’est vrai, ce n’est pas de chance pour Monsieur Blanc », doit convenir Monsieur Noir. Mais bon, en ce cas, ce n’était pas le même programme.
Il demeure qu’après la découverte de ce nouveau croisement, la mauvaise humeur de Monsieur Blanc, bien compréhensible, l’a conduit à écrire au confrère, en privé, un courrier électronique peu amène. Un mardi soir, à 19h20, c’est évidemment peu protocolaire mais a le mérite de la franchise.
En guise de réponse, Monsieur Blanc apprend bientôt que, dès le lendemain de son courrier, à 16h52, Monsieur Noir a « saisi » l’ordre ; « question de déontologie », explique ce dernier. Bien empressée la déontologie quand même. Répondre au confrère directement et s’expliquer avec lui, ce n’était pas une possibilité ?
Pour le coup, après avoir pris le temps – deux jours – de digérer, Monsieur Blanc a choisi d’ironiser sur le réseau social favori des pros… Un seul ‘post’ a suffi et badaboum badabimboum, nous voilà à discourir de la multi interprétation de la longère comme un pompier en Gironde des feux de forêts !
« Je ne connais pas ce Monsieur et je ne suis pas dupe qu’il saisisse l’ordre. Pourquoi a-t-il besoin d’une conciliation ? Je le remercie de son estime pour mon travail, dont il me témoigne par deux fois, mais je souhaite surtout qu’il me lâche et je ne réclame rien d’autre sinon qu’il fasse son job », soupire Monsieur Blanc qui a d’autres chats à fouetter.
Pas de préjudice, fin de l’histoire donc.
Sinon peut-être pour Monsieur Rouge, le maître d’ouvrage de Monsieur Noir, qui va se retrouver avec un bâtiment identique à un autre existant déjà, et ce n’est pas une tour jumelle comme à New York. Et sans doute Monsieur Rouge, et à travers lui ses administrés, de pester contre ces architectes inconséquents, tous en l’occurrence jetés dans le même sac à malices. Le syndrome de Fausto de l’un est la malédiction de tous.
La bonne nouvelle cependant, à l’heure de la Stasi omniprésente, est le fait que, pour le meilleur et pour le pire, il va devenir difficile aux patients affectés de ce handicap de se cacher. Si Monsieur Noir n’avait pas publié son projet partout chez les gens sérieux, peut-être personne n’en aurait rien su, ou trop tard…
Maintenant, imaginons pourtant que le bâtiment de Monsieur Blanc s’avère être LA solution, presque aussi solide qu’une équation mathématique, à tel point que Monsieur Noir, face à la même situation péri-urbaine, n’a pu de bonne foi que rendre les armes : il n’avait pas de meilleure solution ! Pourquoi en ce cas ne pas rendre grâce à Monsieur Blanc, et par exemple partager les honoraires, en toute confraternité ?
Je sais, c’est tiré par les cheveux mais poussons la logique jusqu’au bout : et si cet ouvrage de Monsieur Blanc, tellement réussi dans sa forme et sa fonction, tellement utile apparemment, devenait au fil des ans un archétype, repris par chaque Monsieur et Madame de toutes les couleurs du pays pour le bonheur de tous ? L’auteur du projet original, qui touche des royalties, s’y retrouve pendant longtemps, ce qui n’est pas mauvais pour sa trésorerie, tandis que le nouvel architecte gagne beaucoup de temps en études, n’ayant plus qu’à adapter le projet en fonction du contexte, faisant ainsi réaliser au maître d’ouvrage des économies de trésorerie bienvenues.
Une reproduction quasi à l’identique en plusieurs exemplaires, ne serait-il pas le meilleur tribut à l’efficace génie de Monsieur Blanc ? Les amphithéâtres par exemple, les Romains en ont construit une palanquée sans se poser de question. Tout le monde d’accord, il serait alors possible d’imaginer pour cet ouvrage une forme de développement industriel, un peu comme Haussmann et ses carriers de la Creuse et ses ferronneries sur catalogue. Il ne faudrait alors pas longtemps que l’hommage architectural ne devienne un style : habiter en France en péri-urbain avec le même sentiment rassurant que d’être en Scandinavie ! Qui se souviendra alors de l’œuvre originale de Monsieur Blanc ? Voire même de son nom ? En revanche, quelle éclatante reconnaissance par ses pairs !
Il y a cependant fort à parier que Monsieur Blanc l’architecte, encore moins Monsieur Noir, ne retirerait un kopeck de son invention extraordinaire évidemment non brevetée. L’Etat prompt à inventer des normes et soutenir l’industrie dans son optimisation des coûts napperait alors le pays d’aucune œuvre autre que celle exacte de Monsieur Blanc, décoré de la légion d’honneur. Lequel cinquante ans plus tard, le péri-urbain tout pareil partout, serait honni et blâmé pour le désastre.
C’est vrai quoi, ce n’est pas comme si aujourd’hui en France un « eco-quartier » de logements à Amiens ne ressemblait pas comme un frère à un autre à Niort ou à Mazamet. Personne n’évoque pourtant le mot plagiat. Copier la médiocrité architecturale qui n’excite que les auteurs de bilans financiers ne trouble personne.
Tant qu’à faire, avec la plus grande des politesses, autant alors copier l’excellence !
Christophe Leray
*Lire notre article Plagiat ou copie, qui palpe le grisbi ?