
La restructuration, réhabilitation et extension du centre d’animation Curial à Paris (XIXe), n’est, selon les architectes – Cyrille Hanappe et Olivier Leclercq (AIR*) – qui l’ont réalisée, «pas un bâtiment de haute technologie». Alors pourquoi ceux qui l’occupent aujourd’hui se montrent-ils dithyrambiques ? Et pourquoi le blockhaus existant ne fut pas détruit ?
Les photos avant-après, comme une coupe de cheveux par exemple, en sont presque caricaturales. Pourtant elles ont été prises du même angle, avec à peu près la même lumière. Sadia Diawara, le directeur du Centre d’animation Curial, est celui qui sans doute résume le mieux le sentiment qui prévaut dans la Cité Michelet, une ‘cité difficile’, selon le langage consacré, de l’Est parisien. «C’est comme un bouquet de fleurs qui aurait poussé au milieu du quartier,» dit-il. «Au milieu des tours grises, les gens ont compris que ce bâtiment est fait pour eux et, depuis janvier que nous avons aménagé, ils découvrent que c’est un lieu pour tous».
Dans son nouveau (petit) bureau, qui donne sur l’auvent et la porte d’entrée, Sadia Diawara insiste sur le contraste avant – un bâtiment sans cesse dégradé et cambriolé par exemple – et après – un lieu protégé par des grilles non intrusive et dont l’attrait du nouveau café associatif, notamment, va désormais au-delà de l’arrondissement. «Ce fut une vraie collaboration avec les architectes, ils ont pris en compte nos demandes ; quand j’avais un souci, ils étaient disponibles,» dit-il. Certes, il parlait le jour du voyage de presse mais ni Cyrille Hanappe, ni Olivier Leclercq n’étaient à ses côtés et, visiblement, les compliments étaient sincères.
«La restructuration du Centre Curial est une réponse au problème de l’insertion des bâtiments existants dans les espaces urbains générés par la résidentialisation, dans le cadre du GPRU de la Cité Michelet, projet phare de la Ville de Paris,» expliquent les architectes. La logique voulait pourtant que ce bâtiment, devenu un « Fort Chabrol » ou un « blockhaus » selon les interlocuteurs, soit rasé. Sauf que Roger Madec, maire du XIXe, ne voulait pas le détruire, ne serait-ce que parce que c’était le seul bâtiment en activité dans la cité et que sa scène de hip-hop était connue. Les architectes reconnaissent d’ailleurs que le bâtiment, moche à l’extérieur, fonctionnait bien à l’intérieur. L’ironie est aujourd’hui que nombre d’habitants de la cité pensent qu’il s’agit d’un bâtiment neuf.

«Par un travail de transformation et de distorsion, la façade est complètement remaniée et affiche un jeu de formes et de couleurs. Le bâtiment véhicule ainsi une image décalée dans la trame austère du quartier. Il répond à une demande de renouvellement urbain et donne une nouvelle vie à un ancien équipement délaissé,» assurent Cyrille Hanappe et Olivier Leclercq. Pour l’anecdote, les architectes notent, et se réjouissent, que l’un des intérêts de ne pas le raser est qu’ils n’ont pas eu besoin de travailler en profondeur, et donc de dépolluer le sol. En effet, tout le site est bâti sur une ancienne friche, polluée, de Gaz de France ; ce qui en dit long sur l’humanisme des décideurs à l’époque de la construction de la cité.
Tout le contraire de l’approche des architectes de AIR. «Nous travaillons beaucoup avec les associations, ce qui a sans doute joué dans le fait d’être retenu lors de l’appel d’offres,» explique Cyrille. «Notre champ d’intervention est le social, c’est un engagement éthique plus que professionnel ; nous maîtrisons bien ce sujet et nous constatons que les habitants sont souvent des plus ouverts,» assure pour sa part Olivier. Les compliments de Sadia Diawara n’en prennent que plus de sens.
Restait à transformer l’essai. Le programme était multiple et éclectique (comme en témoigne d’ailleurs le nom des salles, de John Lennon à James Brown en passant par Janis Joplin): en sous-sol, une salle de spectacles (290 places) avec scène, loges, régie, un studio d’enregistrement, une salle de répétition et un bar ; en rez-de-chaussée, la création d’une antenne jeunes, une salle de musique, une salle de danse, une salle d’art plastiques et un bar associatif ; en R+1, une salle d’activités, une salle de soutien scolaire, une salle informatique. Les demandes du programme étaient difficiles à réaliser car, par exemple, l’antenne jeune devait pouvoir fonctionner en lien et/ou indépendamment du café associatif, lequel devait pouvoir fonctionner en lien, ou non, avec la salle de spectacle et/ou indépendamment du bâtiment, la salle de répétition devant à son tour pouvoir fonctionner indépendamment de la salle de spectacle, etc. Le tout sur trois niveaux.

Les défis techniques – gestion des flux, des entrées et sorties, des gaines (lesquelles sont devenues des «objets plastiques»), de l’acoustique, des accès handicapés, pour en citer quelques-uns – étaient donc nombreux. Sans compter la volonté des architectes d’inclure dans l’équation des éléments de développement durable et d’importer la transparence à travers tout le bâtiment. «Une restructuration assez lourde,» soupire Cyrille. Euphémisme…
Pour y parvenir, ils ont d’une part «désymétrisé» l’existant et, d’autre part, créé une galerie de liaison qui est venue unifier les différents modules – anciens et nouveaux –, ce qui a permis la création d’un vaste hall d’accueil, lui-même liaison entre les deux jardins. Enfin, pour plus de clarté, chaque salle du centre est identifiée par une couleur, développée sur le sol, les murs et les panneaux acoustiques. «Il n’y a pas de prouesse technique. Quand l’ingénierie n’est pas trop compliquée, nous la faisons nous-mêmes,» expliquent les associés (l’agence AIR regroupe des architectes et des ingénieurs), ajoutant que «le programme était bien fait et nous avons travaillé en bonne intelligence avec le maître d’ouvrage». Bref, à les écouter, ils n’y sont pas pour grand-chose.

A l’extérieur, ils ont su ne pas tomber dans le piège de la grille carcérale ; elle procure la sécurité demandée mais, sans barre horizontale, n’enferme pas. Le jeu de ses couleurs, qui changent selon la direction du regard, répond aux teintes des façades et s’inscrit dans le cadre plus large de leur mode de conception, dans lequel la couleur est un élément majeur. Les jardins en bandes, avec des plantes qui ne requièrent aucun entretien, sont des «clins d’œil aux artistes Soto et Buren». L’auvent, enfin, «vient chercher les gens dans la rue pour créer le lien,» conclut Cyrille.
Christophe Leray
*AIR : Architectures Ingénieries Recherches

Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 14 mai 2008