«Droits de Cité» est un think tank apolitique fondé notamment par l’architecte rémois Jean-Michel Jacquet et représentant l’ensemble de la société civile dans sa diversité et travaillant exclusivement, depuis cinq ans, sur les politiques publiques territoriales. Tribune.
Les questions liées aux politiques d’aménagement du territoire sont majeures, parce qu’elles intéressent l’ensemble des Français dans leur quotidien et leur perception de l’action politique, dans leur identité culturelle, géographique, économique, territoriale et dans la cohésion nationale. Dans la France de 2017, l’aménagement du territoire est une coproduction entre l’Etat et les collectivités territoriales.
Or, cet exercice de démocratie est aujourd’hui en panne. Panne de l’Etat qui se cherche dans son rôle régalien, panne des collectivités territoriales qui jouent bien souvent le court terme et le contre-pouvoir. Pourtant le problème de l’aménagement du territoire n’est plus à considérer sous l’angle d’un héritage gaullien de l’époque de la DATAR et d’une France en reconstruction. Depuis, les sociétés ont connu de tels développements qu’aménager un territoire c’est prendre en compte des questions liées aux solidarités, au réchauffement climatique, au rapport public/privé, etc. Il s’agit donc de questions majeures et d’actualité que nous vous exposons ici.
1 – Comment faire jouer les solidarités entre territoires pauvres et riches ?
La France est soumise à plusieurs phénomènes migratoires concomitants, l’héliotropisme et l’attraction des grandes métropoles. Ces deux phénomènes induisent un déséquilibre du territoire français mais posent également question. Quels systèmes de régulation sont-ils possibles pour ne pas accentuer les déséquilibres territoriaux ? Comment la solidarité nationale peut-elle s’exercer à l’égard des territoires les plus déshérités ?
La surdensité du littoral liée au réchauffement climatique : la communauté scientifique prévoit une élévation du niveau de la mer de + 1.5 m à l’horizon 2100 et pose, par là-même la question du coût de la surdensité et de la prise en compte, en termes d’aménagement du territoire, des aléas prévisibles. Coût pour l’Etat au détriment des autres territoires.
2 – Comment réguler les équipements publics et privés dans une économie juste, entre désertification et surdensité ?
Dans une France majoritairement équipée, on observe une gestion des équipements publics erratique. Comment peut-on rendre obligatoire une étude de marché permettant, pour la collectivité, l’établissement d’un bilan prévisionnel prenant en compte, bien sûr, la dimension publique de l’équipement, mais aussi un modèle économique satisfaisant ? Comment réguler ces derniers pour que dans le même bassin de vie ils ne se phagocytent pas ? Les équipements privés, essentiellement commerciaux, détruisent nos villes, nos paysages, le commerce de centre-ville, comment les réguler ?
3 – Comment la société civile peut-elle participer à la définition de son propre aménagement, ou, autrement dit, comment d’une gestion administrative et institutionnelle, on peut envisager une co-construction des documents administratifs, type STRAT, SCoT, PLUI, PLU ?
Si on reprend la question de la submersion marine des littoraux, 80 % des terres concernées sont privées, comment peut-on imager que les premiers concernés soient exclus de leur aménagement ? Cette question se pose, bien entendu, pour tous les territoires liés à des aléas, mais pas seulement : aussi pour ceux qui ont à choisir entre équilibre écologique et économique, ceux qui ont à choisir entre plaisir de la ville, de la sociabilité et les usages automobiles, etc.
4 – Comment éviter l’anthropocène, c’est-à-dire prendre en compte immédiatement les moyen et long termes du réchauffement climatique et ses effets sur notre littoral et sur la France continentale ?
Cette question est majeure pour l’avenir de notre territoire. La France, pays côtier, est directement concernée. D’abord le littoral subit une pression foncière et de construction trois fois plus importante que la moyenne de la France métropolitaine. Les acheteurs présentent un profil plus âgé et socialement plus élevé que dans le reste du territoire. Le littoral est un territoire qui connaît la plus forte augmentation démographique et touristique, conduisant à un haut niveau d’artificialisation des communes, 2,5 à 3 fois la moyenne métropolitaine. La population des départements littoraux pourrait croître de près de 20 % entre 2007 et 2040 (4,5 millions d’habitants en plus).
Que constatons-nous ? D’une part un législateur qui, sur la loi d’adaptation des territoires littoraux au changement climatique, loi très raisonnable, n’a trouvé à ces textes comme seule vertu, que la remise en cause de la loi littorale ! Force est de constater qu’une majorité d’élus est dans le déni et le long terme.
Comment prendre en compte d’ores et déjà cet enjeu majeur pour nous-mêmes et nos enfants ? Au même titre, dans la France continentale, l’artificialisation des sols liée au réchauffement climatique génère des crues aux effets désastreux pesant sur l’ensemble de la collectivité nationale ; la pollution dans les vallées de montagne ; l’absence de baromètres pour mesurer toutes les pollutions dans quelque lieux de France que ce soit. Comment anticiper et s’inscrire dans le moyen et court terme ?
5 – Comment réguler le flux démographique de vingt millions de Français, dans les trente ans qui viennent, en n’accentuant pas la surpopulation des métropoles et la désertification des espaces ruraux ?
La loi NOTRe prévoit l’exercice de la solidarité entre territoires ruraux et métropoles. On peut bien entendu se poser la question des régions sans métropole ou celles géographiquement déséquilibrées et la forme de solidarité possible. Dans le monde occidental, les métropoles attirent toujours plus d’habitants, de richesses, comment peut-on réguler ce phénomène ou tout au moins exercer la solidarité inscrite dans la loi ?
6 – Comment mettre en oeuvre une stratégie qui définisse une dimension démographique pour les métropoles (aujourd’hui 400.000 habitants) fournissant une répartition harmonieuse des emplois et des ressources sur l’ensemble du territoire ?
Les métropoles constituent les moteurs économiques des territoires et doivent assurer la solidarité, d’après la loi NOTRe, avec les aires rurales. Jusqu’à l’été dernier la notion de métropole définissait le seuil minimum 400.000 habitants en un seul bassin d’emplois et répondait à une vision mondialiste voire transeuropéenne.
La métropole comme ville/land – ville/monde est une vision qui n’est pas adaptée aux réalités géographiques, économiques, administratives de la France. D’ailleurs, pour pallier à cette vision erronée, le gouvernement a, l’été dernier, assoupli les critères d’accession au statut de métropole pour quatre nouvelles villes : Dijon, Orléans, Saint-Etienne et Toulon, Clermont-Ferrand et Tours postulant depuis.
Le statut de métropole doit être accordé pour que chaque région puisse bénéficier d’un juste équilibre entre les métropoles et leur bassin d’attraction rural permettant ainsi d’accorder le statut de métropole, en évitant qu’elles se télescopent.
7 – Comment créer une identité, une qualité spatiale, environnementale, urbanistique à nos territoires réduisant les discriminations géographiques et développant une attractivité renforcée ?
La France, première destination touristique mondiale (1990 à 2015) doit valoriser son paysage au sens large du terme. Cela signifie que les territoires pourvus d’atouts naturels doivent s’inscrire dans un travail de valorisation, de respect et de conservation de ces atouts.
Pour les autres territoires continentaux du Nord, à l’Est et au Centre, plus déshérités, une lecture transeuropéenne est possible en négatif des centres urbains. Ces territoires constituent le jardin de la France, les forêts, cultures, vignobles, pâtures, sont le poumon vert de l’Europe de l’Ouest, entre les métropoles françaises et le sillon industriel du Rhin. Cette formidable ressource de biodiversité n’est-elle pas l’occasion d’un écodéveloppement, vertueux, permettant, dans le cadre d’une vision européenne, de mettre en oeuvre une fiscalité verte pour ceux qui polluent ?
8 – Comment présenter une offre de soin égalitaire quel que soit le lieu ?
Suivant notre lieu de résidence, l’offre de soins n’est pas égalitaire, voire, discriminante. Comment rééquilibrer cette architecture générale ? Nous nous interrogeons sur une offre de soin structurée autour de trois échelles ou trois dimensions :
– Celle de la proximité, à l’échelle du village, présentant, sous la forme de Point Santé, toutes les bornes de la prévention et de la télémédecine (voir les différentes recherches en ce domaine),
– Celle intermédiaire, à l’échelle du Bourg présentant par le bais de maison médicale, une offre de soin, de consultation, de radiologie, de chirurgie ambulatoire,
– Enfin à l’échelle des centres urbains – métropoles offrant CHU ou cliniques majeures et adaptées à tous types de pathologie.
Ce chaînage entre les trois échelles nécessite une communication et une collaboration entre le monde de la santé public et privé.
9 – La France numérique n’est-elle pas l’occasion de réduire la fracture entre les grandes métropoles et le reste du territoire ? Peut-elle être le support de concertation citoyenne, d’une force locale au service de son économie territoriale ?
Le numérique est un média qui peut être vertueux et qui peut organiser des circuits courts entre une demande, un besoin et ceux qui peuvent y répondre. Chacun est équipé d’un téléphone portable aux applications multiples, ces dernières répondent à des besoins personnels, il faut, à notre sens, organiser des applications institutionnalisées et territorialisées. Le numérique peut-il être source de décentralisation et de démocratie ?
10 – Les territoires pour financer leur économie propre, leur projet structurant public ou privé sont soumis aux réseaux bancaires nationaux aux institutions financières nationales voire internationales.
Chaque territoire important doit pouvoir financer son développement public ou privé. Par le jeu d’une place financière territorialisée permettant de faire appel à des sources de financement diversifié, à l’épargne publique. Pensez-vous que cette idée, selon laquelle chaque territoire majeur aurait les moyens de son développement, soit une idée pertinente ?
Synthèse
Ces dix questions / propositions ont comme objectif d’attirer l’attention des deux derniers candidats sur la nécessité qu’ils ont d’engager une réflexion sur l’aménagement du territoire. Cette réflexion est majeure parce qu’elle concerne directement le quotidien de chacun. Parce qu’elle peut générer une forme de démocratie renouvelée et parce qu’elle permettrait de rééquilibrer les pouvoirs entre les centres de décisions parisiens et la nécessaire décentralisation, à l’instar de nos voisins européens rendant ainsi les décisions moins subies.
D’ailleurs, si ces propositions / questions proviennent d’un Think Tank provincial ce n’est sans doute pas un hasard mais l’expression d’une interrogation depuis les territoires vers ceux qui demain auront les rênes de l’Etat.
Think Tank «Droits de Cité»
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