Deux études concernant le logement des Français sont parues à l’été 2021. La première, présentée le 27 août et menée par l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idheal) analyse la baisse de la qualité d’usage des logements en Ile-de-France. La seconde, à l’initiative de SeLoger avec OpinionWay et dévoilée le 31 août, analyse les envies d’évasion des Français en matière d’immobilier. Concordance des temps ?
Avec ces travaux, alors que le gouvernement a lancé début septembre six semaines de débats dans le cadre de son programme de réflexion « Habiter la France de demain », promoteurs et agents immobiliers, dressant le constat d’une réalité pas si neuve, enfoncent les portes ouvertes (malgré tant de conflits de portes dans nos intérieurs trop petits).
Scoop : en vingt ans, les logements franciliens sont devenus trop petits et trop chers ! Conclusion ? Les Franciliens quittent Paris pour aller non pas en banlieue – nous ne sommes plus dans les années ’70 – mais dans les villes moyennes. Celles-là mêmes, temples érigés à la gloire des voitures, des centres commerciaux et de la maison Phenix, qui étaient désertées il y a quelques décennies à peine. Le Covid serait-il passé par là ? A moins que le monde de la promotion immobilière accoquiné aux courses politiques n’ait aussi joué un petit rôle dans le film ?
L’étude d’Idheal, intitulée « Nos logements, des lieux à ménager : études sur la qualité d’usage des logements collectifs, construits en Ile de France entre 2000 et 2020 » est au demeurant bien documentée. A l’échelle de la ville, c’est long vingt ans. Surtout pour découvrir que l’eau mouille toujours autant quand il pleut. Mais cela, les promoteurs participant au Think Tank Idheal le savent bien.
De l’art de faire passer une tempête tropicale en crachin breton, l’étude de 77 pages, hors bibliographie – c’est du sérieux – analyse à coups de jolis schémas et de pourcentages 52 opérations livrées ou en cours depuis 2000 sur le territoire francilien. Soit 1703 logements construits par 45 architectes, en zones aménagées ou dans le diffus. La caution de la neutralité ?
Pour apprendre quoi ? La faute de l’Etat qui fixe des objectifs de constructions aux maires sans plus vraiment planifier quoi que ce soit ? La faute aux lois fiscales ? La faute aux labels tous plus farfelus les uns que les autres ? Aux normes PMR et environnementales toujours plus contraignantes ? Sans doute mais, jusque-là, rien de vraiment neufs. Le feu, à l’inverse de la pluie qui mouille, ça brûle.
En revanche, la faute aux promoteurs, c’est à quelle page ? Sans doute, les lois, chartes et autres normes nivèlent par le minimum acceptable pour le commun des mortels les exigences des opérateurs économiques obnubilés par le bilan de leurs opérations. Cependant, et jusqu’à présent, il n’a jamais été interdit d’imaginer améliorer les minima. Ainsi page 58 de l’études, il est écrit que selon la Charte promoteur de la Ville de Saint-Germain-en-Laye (78), un T3 doit faire au minimum 55 m². Ce qui est petit pour une famille de trois personnes. 55m² ! Quid alors dans cette étude de l’hypocrisie ambiante, du promoteur renvoyant la balle au politique quand bien même tous s’entendent sur les prix, toujours à la hausse ?
La faute aux politiques publiques, c’est à quelle page ? L’étude d’Idheal dessine en négatif les vrais fautifs de la baisse de la qualité des logements en Ile-de-France, et pas seulement sur les vingt dernières années : la politique politicienne et la course à l’habitant, le développement territorial comme Graal des mandatures, encouragé par la baisse historique des taux d’emprunt.
A titre d’exemple, pour acheter un modeste T3 à Paris, il faut pouvoir justifier de près de 8 000 euros mensuels de revenus pour cette année 2021 (à condition d’avoir déjà un petit pécule). Les citadins quitteraient donc la Ville seulement à cause du Covid ? Allons-bon !
Quant au site seloger.com, les sondés semblent corroborer sans trop d’audace ce que les observateurs ont déjà compris depuis un an et demi au moins : que les citadins néo-bobos en ont marre des cages à poules, même de luxe. Ils veulent des jardins pour le basilic et un vrai parc avec de vrais arbres dedans pour que s’ébroue en sécurité la chair de leur chair. C’est beau comme les années ‘60. Bref, les 35-49 ans veulent une maison, aussi pour pouvoir y télétravailler. Au regard de l’argument, chacun a compris que les sondés, donc la cible, ne sont pas ouvriers dans le bâtiment ou femme de ménage (technicienne de surface en novlangue) dans des bureaux.
Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au Logement, protégeant ses ouailles, tempère cependant*. « Plusieurs centaines de réalisations en France montrent que nous sommes capables de proposer des habitats respectueux de l’environnement, économes en espaces naturels, confortables et de grande qualité. Les Français connaissent peu ces réalisations mais ceux qui y habitent en sont pleinement satisfaits. Les modèles collectifs évoluent, ils sont plus écologiques, ouverts sur l’extérieur, lumineux », explique-t-elle. Il serait en effet un peu compliqué de gérer en plus une crise immobilière, mais le rôle d’un ministre est-il vraiment de se soustraire à un agent immobilier ?
Un tiers des acheteurs recherchent un bien dans une ville comptant entre 20 000 et 150 000 habitants. Les fameuses villes moyennes telles Angers, Saint-Etienne ou Libourne. Dans les faits, tandis que des acheteurs à fort pouvoir d’achat investissent la région, d’autres acheteurs ne désertent pas leur région mais déménagent vers les campagnes. C’est un autre exode urbain, l’exode des urbains, tant que les lignes à grande vitesse pourront remplacer le métro ! D’aucuns se poseront alors la question du bilan environnemental de ces déménagements qui oblige les ex-citadins à vélos à désormais se déplacer en voiture quotidiennement ou encore à chauffer des maisons plus grandes (malgré l’engouement noté pour le dispositif MaPrimRenov). La France de l’étalement urbain, épisode 2, est en marche.
A l’aune de ces deux études et à quelques semaines du verdict de la consultation citoyenne « habiter le monde de demain », quelle géographie se dessine progressivement depuis quelques mois ? Avec le retour en grâce des villes moyennes, c’est la France de Napoléon, découpeur régionaliste avant l’heure qui retrouve les grâces des Français, 170 ans après Haussmann, 150 ans après la première révolution industrielle et… 30 ans après la naissance d’internet.
Dans les années 1860, les grands travaux menés par Napoléon III et le Baron Haussmann avaient vu l’avènement d’une ville mixte et verte conçue par des promoteurs pour tous les habitants. Les classes populaires sous les toits, les bourgeois en bas. Puis il y eut l’invention fantastique mais aussi dramatique d’un point de vue urbain de l’ascenseur qui en apportant la lumière des hauteurs à la bourgeoisie, relégua les classes les moins aisées de la population d’abord dans les sombres cours d’immeuble, puis dans les arrondissements périphériques et enfin en banlieue.
Pendant les vingt ans scrutés à la loupe par Idheal, l’Ile-de-France a toujours un peu plus érigé ces distinctions de classes en modèle urbain, amplifiées sans doute par l’augmentation et l’ambition des CSP+ venus des régions et attirés par les fastes de la métropole. Aujourd’hui ce sont les mêmes, devenus néo-ruraux mais issus comme avant des catégories aisées, protégées et opportunistes, qui en fuyant vers les régions vont augmenter la tension foncière au point que la population historique de ces territoires ne pourra plus se loger.
Que signifie une hausse de 16% en un an de l’immobilier à Tourcoing, par exemple, où le revenu net moyen est de 1 927 € ? D’autant que le télétravail, qui permet de s’extraire des contraintes de déplacements et de temps, fera émerger une nouvelle dialectique entre télétravailleurs et travail en présentiel qui laisse présager une augmentation des inégalités entre ceux qui vivront dans des espaces agréables en télétravail et ceux obligés de se coltiner embouteillages et transports bondés version Grand-Paris avant de rentrer dans des banlieues dortoirs toujours plus éloignées des centres-villes. Car le luxe de l’espace retrouvé, c’est aussi du temps gagné.
Le « droit à la Ville » ou la gentrification globalisée…
Alice Delaleu