Quand la bamboche était possible, dans le monde d’avant, il était fréquent que le logement, la qualité de vie des quartiers, les prix de l’immobilier s’invitent dans les conversations. Aujourd’hui c’est encore et toujours le cas. Les gens comparent les confinements en fonction de leur condition de vie, donc de leur logement. Bref, confiné ou pas, le logement finit toujours par arriver dans la conversation.
Pourtant, c’est un sujet qui n’intéresse personne. Le logement et les transports n’intéressent ni les Français, ni leurs représentants selon la cohorte de l’Ademe*. Un paradoxe difficilement compréhensible, tant le sujet est un marronnier de la presse (les « spécial immobilier » de la presse nationale constituent encore leurs plus belles ventes annuelles).
Bien de première nécessité pour l’insertion sociale, professionnelle, la cohésion, premier poste de dépenses des ménages, dont le poids ne cesse de s’accroître selon l’INSEE… Pourtant rien, pas d’opinion, pas d’inquiétude, pas de sujet.
Par ailleurs, loin d’être un sujet de préoccupation, le modèle même de la maison individuelle ne semble pas inquiéter non plus. Quelques pages plus loin dans ce baromètre, la dégradation des paysages, sans que précision ne soit apporté sur ce que sous-tend cette dénomination, est un sujet également dévalué, en 7ème position, loin derrière le réchauffement climatique. Par ailleurs, les Français considèrent qu’il faudra modifier nos modes de vie (58%) et cela représente pour 56% d’entre eux une opportunité plutôt qu’une contrainte (contrairement aux élus).
Cependant des idées qui pourraient être de « bon sens » ne parviennent pas à percuter l’opinion. En effet, la densification des villes et la limitation du pavillonnaire au profit d’immeubles collectifs ne sont considérées comme souhaitables que par 39% des Français et seulement 48% des parlementaires. L’habitat individuel avec jardin en périphérie des villes a encore de beaux jours devant lui…
Avec des sujets sur la renaissance des villes moyennes et sur ces habitants des grandes villes qui partent à la campagne pour y chercher de l’espace, du calme, et de la verdure elle, la presse entretient la machine à rêver** : bref, la maison individuelle apparaît comme le logement parfait (pas nécessairement pour le bien de la planète cependant) en cas de confinement.
Le logement individuel s’est largement imposé après la 2nde guerre mondiale, notamment dans les années 60-70 avec la contestation grandissante des grands ensembles. De grandes expositions de logement individuel – par exemple en 1965, avec le premier village de Levitt & son à Mesnil-Saint-Denis (Yvelines) et ses 510 maisons, puis en 1966 de Villagexpo*** à Saint-Michel-sur-Orge (Essonne) qui connaîtra des déclinaisons régionales labellisées – consacrent le pavillon standardisé.
Edgar Pisani, lors de l’inauguration de Villageexpo, assure que chaque Français doit pouvoir choisir son logement entre collectif et individuel. Les architectes, déjà hors course, contestent l’approche individuelle et standard, à l’inverse de la presse grand public, qui salue ces constructions. Les promoteurs ont commencé leur lobbying et s’affirment contre la présence des architectes pour la construction du pavillonnaire****.
La promotion du logement individuel continuera avec force compétitions, notamment le concours international de la maison individuelle de 1969, qui donnera naissance aux chalandonnettes, nom inspiré de celui du Ministre de l’Equipement et du Logement, Albin Chalandon, organisateur du concours, qui veut construire à prix cassé afin de se rapprocher du prix de construction du logement collectif, qui bénéficie d’aides publiques conséquentes.
La mobilisation pour la maison individuelle a permis de construire et favoriser un imaginaire idéalisé (Ne dit-on pas couramment « que l’on va à la maison » pour aller chez soi ?), loin des réalités liées aux problèmes d’isolement et de consommation en transports. Même les chocs pétroliers n’ont pas remis ce modèle en question. La standardisation a rendu le programme accessible, et les années 2000 ont connu également leur lot d’initiatives politiques dont le but était de poursuivre le développement de la consommation individuelle avec, par exemple, les maisons Borloo (à moins de 100 000 euros) ou encore les maisons à 15€/jours de Christine Boutin. Et que dire des 5 maisons – en locatif social – des 5 continents construites en 2019 à Bézanne***** ?
Le rapport de force entre individuel et collectif, qui s’est cristallisé dans les années 70 avec une part égale dans la construction, est depuis largement gagné par le logement individuel, qui n’a cessé de gagner des points, pour représenter en 2015, 56,5% des logements en France******.
La maison individuelle est encore et toujours un produit standardisé dans lequel les architectes n’ont pas ou peu de rôle à jouer. Leur imaginaire a peut-être failli au fil du temps. Seul Jacques Ferrier a osé s’y aventurer en 2005 en repensant les maisons Phénix. La conclusion de l’ouvrage de Monique Eleb et Lionel Engrand évoquent cet abandon de la maison par les architectes : « Le fait est qu’à l’exception d’une niche stable depuis 30 ans (5% de la production) qui recèle des réalisations sur mesure inlassablement médiatisées dans des cercles d’initiés, il y a peu d’architectes dans la maison » (p.256).
Peut-être que cet abandon n’est pas une mauvaise idée ? Aujourd’hui, face aux défis climatiques, les architectes ne cessent de réclamer une densification des villes, de repenser l’habitat pour mieux répondre aux défis, notamment de l’étalement urbain. Mais les citoyens ne le conçoivent pas, et les élus encore moins, surtout s’il faut abandonner les taxes attenantes aux développements de leur territoire.
Comment changer la donne ? Faut-il organiser de nouvelles expositions grandeur nature sur du collectif pour donner envie ? Retisser du lien avec des constructions à visiter et à acheter ? La question est ouverte, mais les moyens politiques mis depuis 60 ans pour le pavillonnaire devraient aujourd’hui être mis au service de la densification et du collectif.
Julie Arnault
* https://www.ademe.fr/representations-sociales-changement-climatique-21-eme-vague. En dehors des questions en elles-mêmes, cette étude montre un désaccord important entre les Français et leurs élus sur les moyens de faire face au changement climatique.
** Voir la série d’article d’Elodie Cherman dans le Monde du 21 février : https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/02/21/calme-cout-de-la-vie-espace-les-villes-moyennes-tiennent-leur-revanche_6070730_3234.html
https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/02/21/les-villes-moyennes-doivent-devenir-la-strate-urbaine-prioritaire_6070728_3234.html
*** https://www.villagexpo.fr/le-villagexpo/
**** Voir l’ouvrage de Monique Eleb, Lionel Engrand, La maison des Français : discours, imaginaire, modèle (1918-1970), Bruxelles, Mardaga, 2020
***** https://chroniques-architecture.com/bezannes-5-continents-5-agences-5-maisons-du-bout-du-monde/
****** Virginie Dejoux, David Valageas et Maryse Gaimard, « Panorama de l’évolution des conditions de logement en France depuis la fin des années 1960 », Espace populations sociétés, 2019/3 : http://journals.openedition.org/eps/9201