Je suis allé à la rencontre de l’agence MDR, à Montpellier. Depuis 2003 que Sancie Matte-Devaux, Frédéric Devaux et Arnaud Rousseau se sont installés à Montpellier, après une dizaine d’années passées à Paris, les trois associés «fusionnels» partagent l’idée d’une architecture ancrée dans la culture et les usages locaux. Régionalisme ?
L’histoire commence comme le scénario d’un film. Sancie Matte et Frédéric Devaux sont Montpelliérains et étudiaient ensemble à l’ENSA Montpellier. A l’époque, l’école de Montpellier n’a pas encore viré sa cuti et, «après deux ans à faire du macramé», parce qu’ils voulaient être architectes, ils décident de «monter» à Paris pour boucler leurs études à Paris-Villemin, où les rejoint Arnaud Rousseau. Ils n’étaient pas les premiers à faire le voyage, ils sont peut-être les derniers.
Ils travaillent dans diverses agences. Alors chez Alberto Cattani, qui fut leur directeur de projet, ils se retrouvent tous les trois associés sur les études pour l’extension du Grand Rex à Paris, «une fierté», disent-ils. Puis un jour, ils sont chacun responsable d’un multiplexe : Arnaud pour 12 salles, Sancie à Bordeaux et Frédéric, alors envoyé chez Valode&Pistre, pour l’UGC Bercy. De quoi se faire un film. Ils ne se sont plus quittés. Ils n’ont plus jamais fait de cinémas.
A l’occasion de l’extension du théâtre d’Alès, si proche de Montpellier, Sancie a très envie de revenir et Frédéric a très envie de rester avec Sancie. Arnaud quant à lui, en a «déjà marre de Paris» et est installé à Lyon, depuis 18 mois chez Chabannes & Partners. Bref, en 2003, les voilà tous trois établis ensemble à Montpellier et fiers fondateurs de MDR (Matte-Devaux-Rousseau). Comme morts de rire ? Eux veulent y lire, disent-ils, MéDiteRranée.
Méditerrannée, ils ne sont pas les seuls architectes qu’elle inspire. Cette vision pose la question du contexte et, en prenant un peu de hauteur, la question du très grand territoire, là où la culture n’a plus que faire des limites administratives. Alors architecture régionale ? Régionalisme ? La discussion pouvait s’engager.
Au tournant des années 2000, des agences de province ont fait le choix de ne pas ‘monter’ à Paris. Rudy Ricciotti à Bandol, Tetrarc et Forma6 à Nantes, King Kong à Bordeaux, Véronique Joffre à Toulouse, Patrick Arotcharen à Bayonne, etc.
Pour leur part, une fois installés à Montpellier, les associé(e)s de l’agence MDR décident de ne pas se déplacer à plus de deux heures de trajet pour construire leurs bâtiments (les embouteillages, ils avaient donné…). C’est un vrai choix. «Le régionalisme ne nous dérange pas», disent-ils même si, en regard d’un mot connoté, ils préfèrent évoquer cette identité MéDitéRranéene, d’ailleurs plutôt portée vers la Catalogne et l’Espagne (ils revendiquent l’architecte Barcelonais Carlos Ferrater parmi leurs références). «L’ombre et la lumière sont une clef fondamentale de notre travail», disent-ils.
Ils ne sont pas les seuls à se prévaloir d’une identité «méditerranéenne». Ricciotti déjà cité bien sûr, mais aussi parmi d’autres CAB à Nice ou Corinne Vezzoni à Marseille, dont la dernière exposition en date était justement intitulée «Archiméditerranéenne». Tant d’agences se prévalent désormais de cette identité méditerranéenne que le concept finit presque par avoir les épaules trop larges, sinon dans son opposition à une «architecture parisienne», au moins dans le fait qu’il regroupe indifféremment entre Menton et Banyuls-sur-Mer des paysages et des contextes, puisqu’il en est question, très différents. Parle-t-on d’une identité atlantique ?
Ce qui renvoie à une absurdité purement française qui impose les mêmes normes du nord au sud et de l’ouest à l’est du pays sans distinction de culture et de climat. Dans le nord, il s’agit de faire entrer le soleil, dans le sud de s’en protéger. A l’ouest il faut se défendre de la pluie et du vent, à l’est d’un climat continental chaud l’été et froid l’hiver. L’architecture se doit donc d’être différenciée, contextuelle.
Dans le sud, les espaces extérieurs sont un élément essentiel du mode de vie. Se protéger de la lumière tout en concevant de vastes espaces vitrés donnant sur l’extérieur oblige les architectes à ruser avec des bureaux d’études qui, répondant aux injonctions de l’Etat centralisateur, sont souvent trop forts de certitudes quand il s’agit de «proposer des solutions simples pour résoudre simplement une équation simple». J’en veux pour preuve la multiplication apparemment infinie de labels et certifications de toutes sortes.
Un autre architecte de Montpellier se souvient par exemple avoir proposé de mettre tous les salons au nord pour rentrer dans les calculs thermiques d’un bureau d’études, à charge pour ce dernier d’en porter la responsabilité devant le maître d’ouvrage. De meilleures solutions furent trouvées, évidemment, mais l’architecte a dû batailler. «Si l’architecte est faible, les BET HQE vont imposer des trucs en dépit du bon sens, idem si la maîtrise d’ouvrage est faible», indiquent les associé(e)s de MDR.
L’une des difficultés quand il s’agit d’évoquer une architecture contextuelle au-delà de la seule dimension de la parcelle, à l’échelle du grand territoire, est liée à l’ambiguïté du mot ‘régionalisme’. Les maîtres d’ouvrage, publics et privés, même si d’aucuns notent une évolution dans ce domaine, ont encore trop souvent du mal à comprendre qu’une architecture contemporaine et novatrice puisse être légitimement fondée sur une culture locale, y compris architecturale et vernaculaire pour qui sait y regarder.
«La lumière, le moucharabieh, la minéralité font partie de la culture», insistent les associé(e)s de MDR. «Ici les gens ne veulent pas être vus dans leur espace privé, les canisses, voire les balustrades, protègent l’intimité et procèdent de la partition entre espace public et espace privé», disent-ils.
Au fond, chaque architecte sait qu’une vraie réflexion quant aux contraintes locales s’impose dans la conception d’un immeuble sinon le risque est grand de faire un bâtiment invivable. A Montpellier justement, l’hôtel de ville de Jean Nouvel, quelles que soient ses qualités par ailleurs, fait ainsi l’unanimité contre lui pour ceux qui le pratiquent tous les jours. Idem avec son tribunal de Nantes.
La référence à Jean Nouvel éclaire ici la différence entre deux générations. La première est celle de ces architectes qui étaient (sont encore) dans la posture et qui refusent de dénaturer leur œuvre. La seconde est beaucoup plus sensible aux demandes des usagers, ce qui permet de produire des bâtiments sans doute plus confortables et qui emportent plus facilement l’adhésion. «Nous sommes là pour faire des bâtiments pour les utilisateurs et leurs demandes sont souvent légitimes, une discussion doit avoir lieu», soulignent Frédéric Devaux, Sancie Matte et Arnaud Rousseau.
L’architecte local est-il le mieux placé pour comprendre les ressorts de la culture dans laquelle il construit ? C’est une idée de plus en plus partagée entre promoteurs et architectes, au moins pour ces ouvrages, qu’il s’agisse de logements, de bureaux ou d’équipements, qui n’ont pas valeur d’exception. A Montpellier, Philippe Saurel, ancien adjoint à l’urbanisme de la ville passé au Conseil général, a joué un rôle non négligeable puisque c’est lui qui a décidé «qu’il n’y avait pas forcément besoin d’aller loin pour avoir de la qualité architecturale».
De fait, à Montpellier comme dans les autres villes ayant fait un choix peu ou prou similaire, l’émulation entre agences est perceptible, à tel point d’ailleurs que L’ENSA de Montpellier connaît depuis peu une véritable révolution culturelle sous la houlette de l’architecte Jacques Brion (NBJ) et d’Alain Derey, le directeur.
A l’instar de MDR, nombreuses sont les agences à réfléchir à des modes d’expression qui laissent toute leur part à la ‘régionalité’ et l’esprit du lieu, plus communément appelés contexte, un mot un peu fourre-tout qui prête moins à haussement de sourcils. Quelle agence aujourd’hui n’est pas ‘contextualiste’ ? Mais si l’on pousse la logique du contexte jusqu’au bout, quelle que soit la singularité des projets et des hommes et femmes de l’art, une architecture régionale contemporaine doit bien finir par apparaître, ne serait-ce qu’autour d’une idée partagée de la lumière et de l’ombre, des relations intérieur/extérieur, des rapports au soleil et à la pluie, des matériaux disponibles peut-être.
En 2006, Rudy Ricciotti vilipendait «un urbanisme de planification soutenu par une stratégie commerciale à portée de tir du consumérisme régionaliste». En 2013 il affirmait encore : «la perspective de faire violence au régionalisme me redonne le goût du terroir». Le message est passé. Indubitablement, nombreuses sont les agences qui ont retrouvé le goût du terroir. Et quand tous les architectes construiront en fonction de leur terroir, il faudra bien alors parler d’architecture régionale, sinon régionaliste. Une sorte de loi physique, darwinienne, qui se sécularise au fil des siècles. Au sud, le soleil est (presque) le même pour tous. Alors, 50 nuances des mêmes solutions ?
La logique voudrait que d’ici vingt ans chacun puisse reconnaître au premier coup d’œil l’architecture marseillaise, niçoise, perpignanaise. Ce n’est pas le régionalisme qui pose problème, c’est son interprétation paresseuse par promoteurs, financiers, élus et architectes pressés et conformistes. C’est aussi pour beaucoup la tentation insidieuse du protectionnisme.
Il demeure qu’elles ne sont plus si nombreuses les agences de province qui souhaitent si ardemment ‘monter’ à Paris. Il y a 10 ou 15 ans encore, dès qu’une agence de province perçait à Lille, à Strasbourg ou à Grenoble, le développement, voire le prestige, de l’agence passait par Paris. Ces agences, 10 ou 15 plus tard ne le regrettent pas, mais la nouveauté est que tous les jeunes architectes prometteurs ne montent plus à la capitale. Ils/elles restent où ils/elles sont et rayonnent en région, puis par goût plus que nécessité, se mettent à écrire avec un vocabulaire architectural débarrassé des diktats centralisés. Paris n’est plus un passage obligé et l’architecture s’en trouve forcément affectée.
En regard de l’histoire, quel que soit le genius loci, la production n’est sans doute qu’une énième réinterprétation de l’architecture locale – les vents, tramontane, Sirocco et mistral en tête, sont les mêmes – mais celle-ci a le mérite de n’être pas contextuelle par atavisme et nostalgie mais par une volonté déterminée et une recherche délibérée.
Le régionalisme au risque du vase clos ? «Il n’y a pas de danger, Brenac et Gonzalez, Sou Fujimoto, parmi d’autres gagnent des concours ici, nous ne pouvons pas nous permettre de stagner», remarquent les associé(e)s de MDR. D’autant qu’il faut, à Montpellier, compter avec l’ombre tutélaire de François Fontès, lequel a livré en octobre 2017 la nouvelle faculté de médecine.
En tout état de cause, que l’architecte soit local ou vienne de loin, en toute logique, il reviendrait donc à l’Etat jacobin de lâcher un peu de lest aux 22 régions en termes réglementaires et normatifs pour accompagner ce mouvement de fond et permettre aux architectes d’être contextuels autant qu’ils le souhaitent. Qui mieux que les élus d’Occitanie, de Bretagne ou d’Alsace pour adapter les normes en Occitanie, en Bretagne ou en Alsace ?
La tendance est mondiale, comme en témoignent le Pritzker 2016 et le prix Mies van der Rohe 2017. Elle n’est pas sans danger. Sans s’en rendre compte peut-être, cette architecture de terroir est représentative des tensions régionalistes, voire localistes, qui s’expriment en Europe et dans le monde. Hasard sans doute, le dernier Pritzker est attribué aux architectes catalans de RCR qui prônent une «ruralité bienveillante» tandis que la Catalogne réclame l’indépendance. Que reste-il de l’architecture internationale ?
Si les architectes contextuels font bien leur boulot, des particularités régionales vont bientôt apparaître qui renforceront le sentiment d’appartenance – la fameuse appropriation – et créeront des tensions et des divisions. Pourquoi telle norme de ce côté de la frontière en Nouvelle Aquitaine et pas en Occitanie ?
«L’Empire, longtemps unifié, finit toujours par se diviser, et longtemps divisé, il finit toujours par s’unifier !», dit un proverbe chinois. L’Europe est en train de se fragmenter et l’architecture, de plus en plus contextuelle, en toute bonne foi, témoigne déjà insidieusement de cette régionalisation, d’aucuns diront balkanisation. Jusqu’à ce qu’une nouvelle architecture ‘internationale’ ne s’impose et vienne à nouveau unifier tout le bazar ?
«L’Empire, longtemps divisé, … etc.»
Christophe Leray