Le vendredi 3 juillet, Anne Hidalgo, la maire sortante de Paris réélue avec 48,70% des votes le dimanche précédent au terme d’un second tour sans grand suspense, dévoilait une armée mexicaine de 37 adjoints. L’occasion pour elle d’inventer des postes inédits que n’aurait pas reniés Ubu. Cela dit, à ce petit jeu, elle n’est pas le seul acteur de la farce.
L’actualité montre à quel point le monde semble ne plus tourner rond. Les violences, les Gilets jaunes, les grèves à répétition et une crise sanitaire sans précédent, le tout allègrement commenté par des réseaux sociaux tout sauf sachants et informés, montrent l’urgence de refonder des valeurs de cohésion au sein de nos sociétés. L’enseignement, la culture, la cohésion sociale et les services publics doivent en être les outils.
A ce titre, la fonction de maire est le plus souvent plébiscitée. Pourtant, au lendemain des dernières élections municipales, il est permis de se demander dans quels mondes SpaceX a envoyé nos maires ces derniers mois.
Depuis des années, les maires ont eu de moins en moins de moyens et voient leurs prérogatives s’amenuir tandis que les dix plus grandes villes de France participent à une course toujours plus folle pour attirer dans leurs quartiers réhabilités et leurs musées, au détriment des classes populaires toujours plus insatisfaites et désabusées, les jeunes trentenaires en mal d’air pur, plus enclins à voter.
L’observation de la fabrique de la ville est un bon indicateur de la considération qu’entretient l’édile local avec ses électeurs. Pas une consultation ne passe à Lyon, Bordeaux, Lille ou Paris sans son lot de bienveillance, de mieux-vivre ensemble, de végétalisation à tout va quand, chaque jour, la pratique de la cité témoigne que les gens ne savent plus vivre ensemble justement. L’analyse des résultats du scrutin des Municipales de 2020 montre à quel point les politiques des grandes villes sont toujours un peu plus à côté de la plaque.
L’écologie fait écran de fumée pour éviter de réaliser que notre modèle de société risque bien de péricliter avant la planète. D’autant plus que la vague verte n’a de légitimité qu’à peine pour 58,4% des électeurs au niveau national, quand un votant sur six à fait son devoir à Bordeaux et que 62 % des lyonnais auront boudé les urnes.
A Paris Lyon, Bordeaux, Marseille, Strasbourg, Nantes ou Montpellier un premier constat s’impose : voici venu le temps des nouveaux mots pour des concepts et des idées plus vides que jamais, distillés à grand renfort de parité, d’écologie, de conception participative. Ce n’est pourtant sans doute pas avec tant de mièvreries que seront canalisés les mouvements sociaux et urbains qui sourdent doucement dans les banlieues que nos politiciens font mine d’ignorer.
Pour gérer la ville du quotidien, les maires élisent en général une petite vingtaine d’adjoints. 19 à Strasbourg, 26 à Lille … sauf à Paris où le budget devait être super large pour s’offrir le luxe d’embaucher 37 acolytes. 38 si on pouvait compter le RH de tout ça, super marqueteur et créateur de portefeuilles bien farfelus.
A Paris, dans l’ordre protocolaire, Jean-Louis Missika disparu est remplacé par le Vert Emmanuel Grégoire, en tant que premier adjoint en charge de « l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris et des relations avec les arrondissements ». Il y a du boulot ! A ce stade, tout va bien, la ville de Paris montre même que seule sans sa grande couronne rien ne se fait.
Dans la capitale, l’égalité homme/femme arrive en second. A Nantes, ce n’est que la 6ème adjointe – Mahaut Bert, 24 ans, doctorante avec sans doute de grandes idées – qui est désormais en charge de « l’égalité, de la ville non sexiste, de la lutte contre les discriminations et de la vie associative ».
A Paris toujours, ça coince dès la 3ème marche du podium, « dédiée à la Seine » et dédiée à Pierre Aidenbaum, ancien maire du IIIe arrondissement et ancien Président de la LICRA. Oui, la Seine ! A Nantes, l’adjoint à la Loire est au moins en 17ème position. A Paris, la Seine prime sur la « résilience », en quatrième position. A Nantes, c’est la 2nde adjointe qui est désormais chargée de la « prospective et de la résilience », comme à Strasbourg. Bien. Mais de quelle résilience s’agit-il étant donné que personne n’est en mesure de tirer les leçons immédiates des politiques locales menées ces dernières années ?! Quant à Lille, la première charge est dédiée au « développement soutenable » (notez l’exquis anglicisme, davantage LREM que PS).
A Paris, il faut attendre le 5ème adjoint pour enfin trouver un portefeuille concret et digne d’une des villes les plus importantes du monde, celui de « la construction publique, du suivi des chantiers, de la coordination des travaux sur l’espace public et de la transition écologique du bâti », tout comme à Lille où, dans un amalgame également vexant, ce maroquin est en sixième position.
La construction serait-elle la seule fautive face au dérèglement climatique ? A Nantes, il faut descendre onze marches pour comprendre que l’urbanisme n’est peut-être plus une des priorités de la maire réélue. Cela dit, reste-t-il encore beaucoup d’espaces vacants à donner en pâture aux requins de l’immobilier ?
Le logement et l’habitat restent des charges complexes, primordiales et très politiques. A Paris, Ian Brossat, fidèle parmi les fidèles suit, lui aussi à la 11ème place, en conservant « l’hébergement d’urgence et le logement et la protection des réfugiés ». Question naïve : qu’est-ce-qui justifie que l’égalité homme/femme et, surtout, la Seine passent avant un des droits les plus fondamentaux de nos sociétés, celui du logement ? A Lille, le logement « durable et innovant mais aussi indigne et vacant » monte en septième position. Le prix de la bonne conscience ?
A Lille et Lyon, le poste de la culture occupe les premières places, seulement la 9ème à Nantes. A Paris, pour une ville musée suréquipée et dans une période qui aura vu tout un secteur et un pan de l’économie sinistrés, la culture est littéralement noyée à la 15ème ligne, un poste revenant à Christophe Girard, Vert de la première heure et déjà adjoint de Bertrand Delanoë.
A croire que la culture est à Paris autant passée de mode que l’éducation : Patrick Bloche, 9ème adjoint. A Lille, « la ville éducatrice et ville à hauteur d’enfant » revient à la 3ème adjointe de Martine Aubry. L’aveu frontal que le citoyen n’est pas plus pris au sérieux que les gamins de l’école du quartier ?
Dans ce palmarès 2020, le dialogue social semble sans issue à une époque troublée où les manifestations sont de plus en plus virulentes et les suites de la crise sanitaire annoncées comme cataclysmiques. Les nouveaux maires préfèrent donc vendre la ville inclusive.
Pour ceux qui pensaient qu’Anne Hidalgo était une grande écologiste, visez la 21ème place du classement définitif (« transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie ») pour comprendre que les intérêts sont ailleurs, peut-être aux alentours du 25ème adjoint, Christophe Najdovski, en charge de « la végétalisation de l’espace public, des espaces verts, de la biodiversité et de la condition animale ». Les rats de l’esplanade des Invalides ont aussi droit à un représentant !
Plus profondément encore, voir du côté de la journaliste Audrey Pulvar, qui tient sans doute sa légitimité pour ce poste de ses liens avec le chef Alain Passard ou Arnaud Montebourg et qui se voit offrir brillamment le 26ème portefeuille d’adjointe à « l’alimentation durable, de l’agriculture et des circuits courts ». Ainsi menés, nous finirons bien tous par comprendre un jour la relation organique, si pertinente et sincère, que les Parisiens entretiennent avec l’agriculture urbaine.
Pour finir, notons enfin à Paris, et pour le coup hors compétition, la création stupéfiante d’un poste d’adjointe « à la ville du quart d’heure » pour Carine Rolland, ancienne élue du XVIIIe arrondissement. On dirait presque le nom officiel d’un emploi fictif dont Paris s’est fait la renommée. De fait, ni Martine Aubry à Lille ni Johanna Rolland à Nantes n’ont envisagé pareille charge écrasante au sein de leur conseil municipal.
Bref, à défaut de faire de la politique locale, nous pouvons compter, de la part des nouveaux édiles, verts, roses ou bleus sur toujours plus de politique politicienne. Soutenable, espérons-le, la politique politicienne.
Alice Delaleu