Avis à Bruno Le Maire, ministre de l’Économie : les équipes municipales sont en première ligne pour observer l’inadéquation des nouvelles mesures environnementales avec la réalité. Tribune de François de Mazières, maire de Versailles.
Questionné par des lecteurs du Parisien (26/09), Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, confronté à la crise de l’immobilier, s’interrogeait sur l’opportunité de différer l’application de la loi interdisant la location des bâtiments anciens les plus consommateurs d’énergie à partir du 1er janvier 2025.
Sa prise de position a immédiatement soulevé une forte réprobation, y compris au sein du gouvernement, obligeant même le ministre à faire marche arrière. Cette polémique met en lumière de façon évidente la difficulté d’agir en matière environnementale à la fois avec détermination et en même temps réalisme.
Une problématique que les élus locaux et les maires en première ligne vivent désormais au quotidien. On ne souligne pas assez le fait que les acteurs essentiels du changement climatique sont les villes. Le climatologue Jean Jouzel rappelait récemment dans une conférence que 70 % des gaz à effet de serre sont émis par les villes. Et les villes en France n’ont pas attendu une planification écologique nationale pour s’attaquer à cet enjeu fondamental. Partout les initiatives fleurissent, que ce soit en matière de promotion de circulation douce, de meilleure gestion de l’eau, de protection de la biodiversité, de plantation d’arbres, d’économie d’énergie.
Quatre raisons
Pour autant, les équipes municipales sont les premières à constater le danger d’une application, dès 2025, de l’interdiction de louer un très grand nombre de logements alors que les tensions sur ce secteur ont rarement été aussi fortes. Si l’on essaie d’éviter les prises de position dogmatiques, quatre raisons poussent à envisager des adaptations de ce calendrier :
1. La mise en place du système de contrôle de la performance des logements est encore très défaillante. Les fameux DPE (diagnostics de performance énergétique) font l’objet d’appréciations parfois différentes d’un vérificateur à l’autre pour le même logement. Tous les maires ont un florilège d’histoires vécues. Le dispositif est en voie d’amélioration, mais les systèmes de recours sont complexes.
Il est surtout clair, vu l’engorgement des métiers de l’artisanat et du bâtiment, que même en supposant une correction très rapide de ce dispositif d’évaluation, le parc immobilier ancien, jugé non conforme, ne pourra pas être rénové en temps utile.
2. La canicule de cet été a encore prouvé que le patrimoine ancien est souvent beaucoup plus protecteur contre la chaleur, qui devient un problème tout aussi préoccupant que le chauffage en hiver. Il évite notamment la mise en place de climatiseurs, que l’on sait catastrophique sur le plan environnemental. Or, aujourd’hui, l’intérêt climatique du patrimoine ancien n’est pas encore pris en compte par la réglementation.
Là encore des démarches sont lancées au niveau local pour permettre une amélioration du dispositif d’évaluation existant. Les villes de Lyon et d’Angers viennent ainsi de mener des études avec le concours des architectes des bâtiments de France. Elles démontrent de façon concrète l’intérêt du patrimoine ancien en termes d’isolation, et appellent à repenser certains critères d’évaluation.
3. En 2025, tous les logements notés G seront concernés par cette interdiction de location. Les logements classés F le seront en 2028 et, enfin, les logements notés E en 2034. Les règles concernent les contrats de location signés à partir de 2023. Un bailleur qui possède un logement extrêmement énergivore est désormais tenu de réaliser des travaux avant de pouvoir y installer un nouveau locataire. Il ne pourra remettre son bien sur le marché qu’après avoir fait réaliser un DPE attestant que sa consommation énergétique est inférieure à 450 kWh/m2/an.
La loi n’étant pas rétroactive, pour les contrats en cours, la situation des bailleurs ne va pas changer subitement. Le bailleur sera tenu d’effectuer la mise à niveau énergétique de son bien au moment de la reconduction ou du renouvellement du bail (tous les ans pour un meublé, 3 ou 6 ans pour un non-meublé). Dès cette échéance, le locataire d’un logement qui entre dans cette interdiction peut saisir la justice. Si le juge du tribunal constate que le logement ne satisfait pas aux normes de décence, il peut contraindre le propriétaire à faire les travaux nécessaires, imposer la réduction de loyer à accorder au locataire ou encore imposer des dommages et intérêts à payer au locataire.
La loi prévoit que le locataire qui obtiendrait un DPE prouvant que son logement est classé G peut se retourner contre son propriétaire, qui serait obligé de lui rembourser les loyers perçus. En conséquence, nombre de syndics et propriétaires refusent, dès aujourd’hui, de poursuivre la location de logements, alors même que le parc de logements est insuffisant et que même certains d’entre eux sont appréciés de leurs locataires. Certes, il y a des cas scandaleux, personne ne le nie, mais ne faudrait-il pas mieux, dans un premier temps, avec le concours des mairies et leurs services d’hygiène et d’urbanisme, cibler ceux-ci…
4. Pour répondre à l’enjeu environnemental, tout en maintenant une dynamique de logement, tout le monde s’accorde aujourd’hui pour reconnaître qu’il est préférable, quand c’est possible, de préférer la rénovation de l’existant à la destruction/rénovation. Le risque de ne pas prendre en compte la dimension temporelle, sous la pression d’ailleurs d’un certain nombre de promoteurs, pousse à la logique inverse. Il y a actuellement en France trois millions de logements vacants. Il faut s’attacher davantage à l’aide à la rénovation. Aujourd’hui, il n’existe quasiment pas de dispositif allant en ce sens, notre politique d’aide au logement étant ciblé sur le neuf.
Si j’avais donc un conseil à donner au ministre de l’Économie, je lui dirais que je comprends son point de vue, mais qu’en même temps les maires, toutes tendances confondues, s’interrogent sur la multiplication d’annonces de montants de crédits très importants pour la transition écologique, sans qu’ils en voient, ou très peu, les traductions concrètes dans leurs villes.
Le ruissellement des crédits sur les villes, qui sont les plus concernées à la fois en tant qu’émettrices de gaz à effet de serre et d’opérateurs du quotidien de la vie des usagers, est encore à perfectionner. Pour être efficace, la planification écologique passe par une confiance accrue dans les mairies.
François de Mazières
Maire de Versailles, président de Versailles Grand Parc, ancien président de la Cité de l’architecture et du patrimoine.